Interview: Pr Aimé Gogue « Je serai intéressé à savoir d’où provient la fortune de Faure. »

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« Mais si une solution idoine n’est pas trouvée aux crises guinéennes et nigériennes, alors on peut craindre la possibilité de recours à la violence de la part du pouvoir en place au cas où il perdrait les élections en 2010. » Interview réalisée par Camus Ali

 Lynx.info : Des chantiers tout azimuts.Marchés ,dispensaires stade tout financé par la cagnotte personnelle de Faure comment vous l’expliquez  Pr. Gogué ?

La construction de marchés, dispensaires et autres infrastructures publiques est une bonne chose pour le pays et la population. Dans toute société il y a des philanthropes qui sont capables de ces gestes au profit de leurs compatriotes ou même de personnes d’autres pays, d’autres sociétés. Si l’on est philanthrope on ne doit pas attendre quelque chose en retour des gens pour qui l’on a posé des gestes généreux. Ted Turner  a donné des centaines de millions de dollars américains aux Nations Unies ; et pourtant, à ma connaissance, il n’a jamais rêvé, voire demandé à l’humanité de devenir le Secrétaire Général de l’Organisation des Nations Unies. La Fondation Robert et Bill Gates distribue chaque année des centaines de millions de dollars pour le financement d’œuvres charitables ou pour subventionner des activités de développement dans nos pays ; et pourtant ni Robert Gates, ni  Bill Gates n’ont rêvé un seul instant devenir président d’un des pays africains ayant bénéficié de la générosité de leur fondation.

Mais ce qui est important à souligner, c’est que les Togolais doivent séparer les promesses de mise en place de ces infrastructures da capacité de diriger le pays : lors des élections de 2010, les électeurs devraient tenir compte de ce qui s’est passé depuis au moins février 2005.

En outre, nous savons d’où provient les ressources de Ted Turner : ses activités dans les médias ; nous savons d’où les Gates ont accumulé tant de richesse qui leur ont permis d’être sinon la première fortune de la planète, mais d’être classé parmi les dix premières : l’informatique. Je serai intéressé à savoir d’où provient la fortune de Faure.

Lynx.info : La cours des comptes dans sa configuration actuelle assure t-elle la transparence ?

La Cour des comptes est une institution chargée d’apprécier la gestion des ressources publiques. Dans ce sens, elle doit apprécier l’exécution du budget de l’Etat et donner un avis et des recommandations pour des améliorations éventuelles. Ce sera à partie de ses observations que l’Assemblée Nationale vote la loi des règlements.

Pour faire correctement son travail, la Cour des comptes elle doit être indépendante. Du fait de la mauvaise qualité de la gestion des finances publiques dans nos pays et pour la promotion de la bonne gouvernance, les pays de l’UEMOA avaient décidé de la création de cette institution dans chacun des pays membres. Le Togo, avec la Guinée Bissau son les derniers pays à remplir cette obligation. En dépit de ce retard, sa création est un acquis pour le pays.
Cependant, comme tout organe, l’efficacité de la Cour des comptes dépendra de la compétence, de l’expérience et surtout des valeurs morales de ces membres. Je constate qu’en son sein il y a des personnalités qui ont occupé des postes de responsabilité en matière justement de gestion des finances publiques : ministre des finances et directeur des finances… du régime en place. Le fait qu’ils aient occupé ces postes de responsabilité dans un passé très récents n’augure pas de bonne chose ; il n’est pas évident qu’il soit neutre quant à la réalisation de la mission de l’institution.

Lynx.info : La reprise de la coopération paraît ne pas être encore une réalité au Togo.Le ministre Gilbert Bawara pense que il faut payer d’abord les dettes. Que dit le Pr Gogue ?

« Les bons comptes font les bons amis », dit l’adage. Un Etat souverain peut il ne pas payer sa dette ? Le Togo pouvait-il continuer à ne pas honorer son endettement après la reprise de la coopération ? Des raisons objectives peuvent justifier que des gouvernements soient réticents à rembourser la dette publique. En effet, une partie de la dette extérieure des pays africains, a été contractée durant la période coloniale, pour le financement d’activités décidées par la puissance coloniale et qui pouvaient ne pas répondre aux préoccupations des populations de ces pays. Des gouvernements dictatoriaux, décriés aussi bien par leurs populations que par la communauté internationale et dont les leaders sont connus pour leur mépris du respect de l’Etat de droit et des droits de la personne que pour leur cleptomanie légendaire et leur performance notoire en matière de corruption, ont également été responsables de l’accumulation de la dette de leur pays. Certains des gouvernements plus démocratiquement élus qui leur ont succédé se sont posés la question de savoir s’il fallait ou non honorer la dette ainsi contractée ?

Ce dilemme ne s’est pas posé et ne se pose pas uniquement aux pays en développement. Le cas le plus illustre connu est celui du gouvernement américain qui avait contracté une dette importante pour les efforts soutenus exigés par la guerre de sécession ! Le Secrétaire au Trésor d’alors, Alexander Hamilton, en décidant que l’Etat devrait honorer ses engagements a établi un précédent que tous les gouvernements, en développement ou non appliquent depuis lors. Cette décision du gouvernement américain était motivée par la volonté de maintenir la crédibilité de l’Etat américain auprès de ses créanciers de peur de ne plus avoir accès dans le futur au crédit.

En outre, suivant les dispositions des institutions de financement multilatérales comme la Banque Africaine de Développement, la Banque Mondiale ou le Fonds Monétaire International (FMI), tout retard de paiement des services de la dette contractée vis à vis d’elle, entraîne  automatiquement la suspension de la coopération avec le pays en faute. La suspension de l’assistance de ces institutions au Togo par le passé, est le résultat de l’accumulation des arriérés de paiement de la dette. Ceci n’était pas le cas de des relations de coopération avec l’Union Européenne qui ont été suspendues à la suite de graves violations des droits de l’homme par le gouvernement. Pour continuer de bénéficier du soutien de leurs pourvoyeurs de ressources, le remboursement de la dette est donc  important.

En tenant compte de ces dispositions, les arriérés de la dette devraient donc être totalement éliminés avant que ces institutions ne recommencent à financer les activités de développement dans le pays. Cependant, à la lumière du niveau considérable de ces arriérés, le Gouvernement n’était pas en mesure d’y faire face, du moins à court terme. C’est pour cette raison que la Banque africaine de développement et la Banque mondiale notamment, ont accordé au Togo des crédits dont les ressources qui ont d’abord servi pour rembourser les arriérés accumulés  des services de sa dette contractée auprès d’elles.

Il ressort donc de qui précède que le Ministre Bawara a raison de dire que l’Etat se devait d’abord d’utiliser les premières ressources accordées par ces institutions aux lendemains de la reprise de la coopération pour le remboursement des arriérés de la dette.

Mais l’important ne réside pas là. La question que nous devons nous poser est de savoir comment en sommes nous arrivés à une accumulation aussi importante des services de la dette ? Il faut noter en passant que le montant de la dette du Togo n’était pas connu des autorités !  C’est avec le concours de ces institutions que ce montant a pu être déterminé !

A quoi ont servi les ressources provenant d’abord de la dette et ensuite pourquoi l’accumulation des arriéré de paiements. Une partie des ressources de la dette est allée dans les poches des personnalités du régime. Le gouvernement actuel peut dire qu’il n’est pas responsable de l’endettement visé ni d’une grande partie des arriérés de paiement. Mais du fait de la corruption endémique qui continue de miner le pays, les dirigeants actuels ne peuvent pas prétendre qu’ils n’ont pas contribué à l’accumulation des arriérés. Ceci d’autant plus que les Togolais se rappellent qu’à plusieurs reprises les mérites du gouvernement ont été vantés. Les performances des services de l’Etat responsables de la collecte des revenus de l’Etat (impôts et douanes notamment) ont été jugées d’excellentes. Malheureusement les Togolais sont nombreux à ne pas avoir vu ces performances transformées en amélioration de l’offre des services publics. Malheureusement également, les arriérés de la dette ont continué à s’accumuler. Alors pour quelles raisons ce gouvernement a-t-il renforcé l’accumulation de la dette ? Et que dire de la dette intérieure qui, en plus d’accroître les  coûts des biens et services offerts par les opérateurs économiques au gouvernement réduit les ressources de ces PME qui sont les véritables acteurs de la relance économique tant attendue des Togolais.

Lynx.info : Bourreaux et victimes iront votés en 2010.Que répondez vous à Mr Nicolas Lawson du PRR qui dit que Faure en est le bénéficiaire de ces tueries.Le risque d’une récidive n’est-il pas grand ?

Je ne suis pas un devin. Mais j’ose espérer que nous ne connaîtrons pas les lendemains de février 2010 seront différents des lendemains d’avril 2005. J’ose espérer que nous ne connaîtrons pas les violences et les tueries qui ont suivies l’élection présidentielles de 2005. Cependant, beaucoup de Togolais craignent encore le pire. C’est dire que la psychose est réelle. La pression qui s’exerce sur les présidents de Guinée et du Niger, suggèrent cependant que la communauté internationale prend un peu plus au sérieux le non respect des droits de l’homme et du choix des populations. Mais si une solution idoine n’est pas trouvée aux crises guinéennes et nigériennes, alors on peut craindre la possibilité de recours à la violence de la part du pouvoir en place au cas où il perdrait les élections en 2010.  

Lynx.info : Quels rapports avez vous á l’ADDI votre parti avec l’UFC de Gilchrist Olympio ?

L’ADDI et l’UFC son deux partis qui luttent pour l’avènement d’une véritable alternance politique dans le pays. Pour les deux partis, depuis leur création, la voie des urnes est l’option choisie. Tout comme Gilchrist l’a dit dans sa dernière entrevue à RFI, les deux partis sont convaincus de la nécessité de ne pas recourir à la vengeance et partagent également la vision d’un Togo uni.

L’ADDI et l’UFC savent que, pour une démocratie participative et effective, dans l’intérêt de la population, seuls un nombre restreint de partis politiques peuvent survivre dans un pays comme le Togo ; et que dire du cas où il ya plus de 80 partis politiques comme au Togo. Donc des partis disparaîtront ; des partis fusionneront. C’est fort de ce constat que l’UFC avait proposé en 2008 la fusion de nos deux organisations. La fusion de deux partis politiques suppose beaucoup plus que la mise en commun de membres des organes directeurs : il est important de synthétiser les projets de sociétés, de tenir compte de l’histoire des organisations à fusionner, mais aussi des différentes personnalités des membres des deux organisations, etc. Ce n’est pas chose facile. Pour me résumer, ADDI et l’UFC sont des partis qui sont très proches et partagent beaucoup de choses ensemble et qui discutent de la forme idoine que devrait prendre leur collaboration.

Lynx.info : Pour Olympio trois partis dominent le paysage politique au Togo. Dans le contexte actuel on dit que le RPT se frotte les mains.Etes-vous de cet avis ?

Pouvons-nous sincèrement dire que ce soit la déclaration de Gilchrist qui donne au RPT la raison de se frotter les mains ? Je ne le crois pas. Qui peut nier qu’à la suite des résultats officiels des législatives de 2007, le paysage politique du pays est dominé par trois partis : le CAR, le RPT et l’UFC ? Cette déclaration du président national de l’UFC est donc une tautologie. Dans plusieurs pays, l’histoire a montré que des partis naissent, peuvent grandir, dominer et .. disparaître. Un parti qui n’est pas parmi les partis dominants aujourd’hui ne va pas le demeurer indéfiniment. Un parti dominant aujourd’hui pourra devenir un petit parti demain voire disparaître. Je suis de l’ADDI et je sais qu’aujourd’hui je suis le leader d’un petit parti. Si je veux devenir un parti important, je dois concevoir et mettre en œuvre une stratégie à cet effet. Je ne dois pas être gêné que l’on me qualifie aujourd’hui de petit parti ; je devrais plutôt considérer cette déclaration comme un défi qui m’est lancé.

Soit dit en passant, demandez à ceux qui se plaignent d’être traités comme petit parti comment ils ont traité par le passé des partis comme l’ADDI ?

Lynx.info : Un bilan mitigé pour les uns catastrophique pour les autres et salutaire pour le RPT. Quelle note donnez-vous á  Faure depuis sa capture du pouvoir en 2005 ?

A la lumière de celui  qu’il avait proposé comme candidat, je crois que le bilan n’est pas satisfaisant.

Lynx.info : Dans un de vos articles intitulé « Ne nous trompons pas de cible » vous semblez mettre l’accent sur la politique  de « dialogue »du CAR.Les togolais disent que tous les dialogues ont  eu  pour finalité la duperie.L’APG en est une ?

Je suis un homme qui croit fermement au dialogue. Il permet d’éviter des conflits, voire des guerres. Ils concluent également des conflits et des guerres. Mais pour que cela soit ainsi, il faut la sincérité de part et d’autre. Les conditions sont elles réunies pour un dialogue sincère au Togo. Oui, parce que nous sommes tous des Togolais et à ce titre nous souhaitons la résolution de la crise togolaise pour le bien être de tout un chacun de nous. Non, parce que pensant beaucoup plus à leur pouvoir et à tout ce qui lui est rattaché, nos gouvernants font tout pour des simulacres de dialogues. C’est pour cela que nous avons eu plusieurs accords qui comme le disent les Togolais ont eu pour finalité la duperie. Je suis donc totalement d’accord avec l’opinion générale. Pour nous l’APG n’a servi qu’à légitimer le pouvoir du régime en place.

C’est l’incohérence dans le comportement du CAR que je dénonçais :   être d’accord à poursuivre le dialogue avec le RPT en dépit des résultats obtenus. Cela est une excellente chose que l’on peut comprendre. Mais arrêter toute discussion avec l’UFC, envoyer des missions dans presque toutes les localités du pays pour vilipender un autre parti de l’opposition,  parce que, suivant la déclaration du leader de cette organisation, «  la candidature unique  n’était pas essentielle », constitue pour moi une incohérence que je n’arrive pas à m’expliquer. Réclamer seul (alors qu’il y a quatre autres partis qui auraient peu le faire également) « le retour d’un ascenseur » qui n’était pas parti, était également pour moi incompréhensible.   

Lynx.info : De nouvelles préfectures, de nouveaux préfets, une armée qui soutien  l’action du chef Faure une assemblée acquise. Les analystes disent que les ingrédients de 2005 sont réunis pour une élection contestables en 2010.Quelle est la position l’ADDI votre parti ?

Dans un pays normal, il est normal que l’armée soutienne l’action du président surtout s’il est élu au suffrage universel. Ce respect doit se faire dans la légalité, suivant les voies constitutionnelles. Est-ce le cas dans notre pays ? Espérons que les choses changent dans le bon sens.

La création de nouvelles préfectures peut constituer une bonne chose pour rapprocher les populations de l’administration. Mais quels sont les critères permettant de délimiter une préfecture ? Qui a participé à la définition de ces critères et à la délimitation des nouvelles et des anciennes préfectures ? Le tapage fait par les ministres actuels avec des deniers publics soit dit en passant révèle les intentions du régime en place : la démagogie.

Lynx.info : Votre mot de fin Mr Gogué

Le Togo notre patrie, est caractérisé par des divisions diverses : divisions ethniques ; division régionale ; division suivant les partis politiques, etc. Ce n’est pas tant la multitude de ces diversités qui m’inquiètent, mais plutôt notre incapacité à trouver un consensus. Le RPT a recommencé à jouer allègrement la fibre ethnique et régionale pour apeurer les électeurs du Nord sur l’élection éventuelle d’un candidat de l’opposition provenant du Sud. Ainsi la déclaration de Gilchrist à son interview à RFI selon laquelle, « loin de lui la vengeance », est passée totalement inaperçue sur les médias et n’ont fait l’objet d’aucun commentaire. Des militants de partis du Sud estiment être très rationnels voir très intelligents en clamant que le pouvoir ne doit pas revenir à quelqu’un du Nord ! De tels propos sont très graves. Notre diversité devrait être plutôt source de richesse.

Le fait que l’opposition n’arrive pas à dégager un candidat unique s’inscrit également dans le cadre de notre incapacité à retrouver un consensus. Pour moi, tous ceux qui veulent l’alternance, doivent se poser la question de savoir qui parmi les leaders de l’opposition est en mesure de nous assurer la victoire à partir de ce principe : « un électeur, une voix ». Des raisons pour rejeter un ou des candidats donnés ne sont que pure spéculation au regard de ce principe « un électeur, une voix ». Jusqu’à quand continuerons-nous à discuter du choix du candidat unique ? N’est il pas temps de passer à l’étape de la définition d’un programme commun de gouvernement et de partage de responsabilités/pouvoirs en cas de victoire. La formation de sous groupes de l’opposition, ne nous rapproche pas de la candidature unique : c’est une diversion qui est contre productif et ne saurait en aucun cas être considéré comme une stratégie pour nous conduire au choix du candidat unique. Les économistes savent que la constitution d’union douanière ne favorisent pas nécessairement l’amélioration du bien être de l’ensemble,  cette stratégie nous éloigne plutôt du choix du candidat unique et va également compliquer la réalisation de cet objectif.

Je suis persuadé qu’une société ne peut avancer lorsque ses membres n’arrivent pas à se mettre d’accord sur un minimum. Les activités préparatoires de l’élection présidentielle de 2010 vont bientôt démarrer avec la révision de la liste électorale. Si le problème de candidature unique concerne l’opposition, ceux des autres formes de division constituent  une préoccupation pour tous les Togolaises et Togolais. Nous devons commencer à réfléchir sur comment faire de la diversité ethnique, régionale et politique que nous vivons, une richesse pour le pays.

Je souhaite du courage et de la persévérance à tous les Togolais qui œuvrent sincèrement pour l’avènement de la démocratie au Togo.

Interview réalisée par Camus Ali

Lynx.info 18.11.2009

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