« Faure lève des milices en ce moment, achète des armes comme il achète des consciences, reécrit les textes, redessine les préfectures, cherche des appuis improbables dans la sous-région et sur le continent, amadoue Nicolas Sarkozy de mille manières, bref « le Petit » se bat comme un beau diable. Pendant que l’opposition, convaincue de son échec, a les yeux rivés sur l’affaire Kpatcha et sur 2015, la machine à frauder se met en place » Interview réalisée par Camus ALi
Lynx.info : La presse est sous le feu du pouvoir.Comment l’expliquez-vous à quelques mois des élections présidentielles ?
Eh oui nous voilà partis de nouveau pour un tour de manège qui ressemble aux tours précédents quand même bien les joueurs ont physiquement changé. A la veille de chaque élection, surtout présidentielle, il est coutume de voir le pouvoir procéder au bouleversement du cadre juridique et institutionnel vers plus de lois liberticides en l’occurrence de la presse au travers de la HAAC à la tête de laquelle est placé un ancien journaliste, lui-même arbitrairement jeté en prison en juin 2003. Faure est dans la tradition paternelle et on ne voit pas comment il peut agir autrement qu’il ne le fait depuis sa captation du pouvoir. Y a-t-il vraiment lieu de s’en étonner ? Ce sont ceux qui s’étonnent des comportements de Faure qui étonnent au contraire de leur naïveté, eux qui appelaient à accorder au « Petit » un sursis lui permettant de nous démontrer de quoi il est capable, puisque les cadavres et les Te Deum meurtriers qui ont jalonné son accession vers le sommet n’ont pas suffi à nous convaincre. Mais quand les victimes font très bien le travail du bourreau, ce dernier n’a que les bras à croiser et son gosier à pousser des vivats d’encouragement. Dans ce domaine de la liberté de la presse, on a l’impression d’assister à une mise en scène bien réussie du roman, La ferme des animaux, de Franck Kafka. Heureusement qu’il n’y a pas que des Philippe Evegno au Togo. Il faut noter la résistance salutaire qui s’est organisée pour dénoncer la HAAC métamorphosée en une énorme chauve-souris vampirisant l’espace encore très réduit de la liberté de la presse et des libertés publiques. Ces résistances constituent des coins, certes symboliques, mais des coins réels bien ressentis dans la gueule de la HAAC et de ses commanditaires tapis à Lomé II.
Lynx.info : Beaucoup disent que le RPT et le pouvoir veulent occulter les vrais problemes en mettant l’affaire Kpatcha au devant de la scène togolaise…
C’est aussi mon point de vue et je suis surpris que l’UFC tente d’exploiter maladroitement cette affaire familiale qui a bien sûr des implications politiques. J’aurais aimé voir ce parti et d’autres exiger la lumière autour de l’assassinat d’Atsutsé Kokou Agbobli, de Tavio Amorin, et d’autres disparus, connus et inconnus, depuis le processus démocratique. Est-ce que celui qui court nu après un fou n’est-il pas aussi sinon plus fou ? Pendant ce temps, le chronomètre décompte inexorablement le temps alors que l’organisation technique, et aussi politique, du scrutin du 28 février prochain est toujours dans les limbes. Faure est pris dans les rets de son affaire Kpatcha qu’il a créée de toutes pièces et dont il ne sait plus comment se dépêtrer. Il faut interroger le quarteron ad hoc que constituaient 1) le président du Faso, liquidateur expéditif de ses amis et adversaires devant l’Eternel, mentor françafricain de Faure, 2) le commandant qui dirige le service des renseignements qui doit aussi savoir beaucoup sur la mort d’Agbobli, 3) un ancien secrétaire d’Etat chargé du Secteur privé, ami très proche de Kpatcha, mêlé à des détournements de fonds liés à la cité OUA et au trafic de drogue, et 4) bien sûr le grand Faure lui-même. Tous ces braves messieurs connaissent par cœur l’affaire Kpatcha, non en théoriciens mais en praticiens expérimentés des coups tordus. Ils savent comment ils ont mis leurs méninges ensemble à Lomé, à Ouaga, à Karapya, et enfin pour conclure le marché en mars 2009 au Maroc, pour mettre au point le scénario d’assassinat de Kpatcha. Le scénario a dérapé lorsque le colonel Kadangah n’a pas tué son beau-frère conformément à l’ordre formel reçu. Bref, tant que ce quarteron adoptera la stratégie du mensonge tous azimuts, Faure continuera à s’embourber et à s’empoisonner la vie déjà polluée par le narco-pouvoir hérité de papa dont il a la charge de faire prospérer dans un contexte où la Drug Enforcement Administration américaine est à ses trousses.
Lynx.info : Quelle regard portez-vous sur l’armée togolaise sous Faure qui vient de lui accordée son soutien ?
Vous savez, régulièrement, vers la fin de l’année, le général Eyadéma aimait réunir ses gradés autour de lui pour un grand raout où tout le monde, la main sur le cœur, se jure fidélité et loyauté. C’est un rituel ancien qui renouvèle le stock d’allégeance que le fils réactualise. On a donné à ce raout le nom faussement techniciste de « grand rapport ». En réalité, il ne s’y passe rien de renversant qui subjugue la raison et l’intelligence, si ce n’est qu’on y renverse quelques croupes du coin ou emmenées de Lomé. Et ce mot « rapport » ne viendrai-t-il pas à désigner ces galipettes et les beuveries qui vont avec ? Faure sait en son for intérieur que ces « grands rapports » sont des rapports de dupes. Dans cette optique, il faut lire le document d’allégeance plutôt comme une expression de défiance sourde qui révèle une relation de crise entre le pouvoir et son épicentre qu’est l’armée. Si malgré l’affaire Kpatcha bien centrée comme un nez au visage et qui continue de connaître de nouveaux rebondissements, si malgré de récentes nominations-éjections sans logique apparente au sein de l’institution militaire, Faure peut s’accrocher à son grand rapport à la veille de la présidentielle, tant mieux pour lui. Mais c’est que l’armée est un vieux baobab rongé de l’intérieur par mille factions rivales qui se regardent en chiens de faïence en attendant l’inteincelle qui mettra le feu aux poudres. Un vieux baobab qui se sent déshonoré du fait que certains officiers soient des cocufiés de Faure lui-même et qui digèrent mal cette situation. Un vieux baobab vampirisé par le VIH Sida dont les pauvres militaires sont des agents distributeurs ambulants : c’est la corporation où le taux de séropositivité est le plus élevé dans le pays. Derrière l’uniforme qui roule des épaules et rançonne dans les rues, se cache une véritable détresse humaine. Nos militaires sont des naufragés, sans doute les premiers de la longue dictature du clan Gnassingbé d’autant qu’ils en constituent la racine pivotante et le pilier.
Lynx.info : Les coups de gueule inapropriées de Gilchrist Olympio font dire aux togolais qu’il est conscient de ne jamais gouverner le Togo .Partagez-vous cet avis ?
C’est une des clés pour comprendre l’homme politique qu’est Gilchrist Olympio. Il faut ajouter une autre peut-être moins rationnelle : son maraboutage ou envoûtement supposé par les Gnassingbé qui font circuler la rumeur. Revenons au do de la clarinette : il est difficile de croire, mais je pense être un tout peu petit bien placé pour dire que Gilchrist Olympio ne veut pas prendre le pouvoir, que le pouvoir ne l’intéresse pas. C’est un monsieur qui n’aime pas fondamentalement s’enfermer dans des cadres institutionnels, dans des cadres contraints ou rigides. Ainsi constitution, code électoral, statuts de parti, lois, cérémonies de négociation, etc. sont situés loin, très loin de son schème de pensée et de conception de la vie, du monde, de la politique. Par contre il adore les honneurs, les comités d’accueil chantant des Te Deum, les courtisans, la foule nombreuse et grouillante autour de sa personne. Quand il connaît quelque moment d’éclaircie, il lui arrive de ne pas chercher à convaincre son interlocuteur de son ambition présidentielle, comme Bruno Joubert le « Monsieur Afrique » de l’Elysée le 6 février dernier. Les Togolais sont très avisés qui disent et pensent qu’il ne veut pas le pouvoir. Tout chez Gilchrist Olympio (actes, propos, comportements, etc.) en tant qu’homme politique pose cette question perturbante. Il faut savoir que Gilchrist Olympio est fondamentalement un rentier (plutôt qu’un businessman comme il aime se présenter) qui préfère son petit confort bourgeois (et pourquoi pas ?). Il est dans la lutte contre la dictature des Gnassingbé à cause de son nom devenu un fardeau ruineux à porter pour lui, pas forcément pour l’objectif du combat pour l’alternance. Il le sait mais par orgueil, il ne renoncera pas. Il occupe sa retraite en dilettante en s’appropriant la lutte collective qu’il confond avec son nom et sa personne. Pour lui, faire de la politique au Togo des Gnassingbé c’est exactement comme aller au cinéma, au restaurant, à la plage ou voyager. Les violences meurtrières du régime sont des accidents de parcours sans grande importance. S’il a été traumatisé par l’accident de Soudou, il n’y voit pas plus un accident ou un malentendu banal entre lui et les Gnassingbé. C’est pourquoi il ne fera rien, absolument rien, pour leur intenter un procès. Il fait semblant de participer à la lutte, mais son intérêt fondamental est ailleurs, différent de l’objectif de l’alternance politique. Ne lui dit rien l’existence de son propre parti, l’UFC dont il lui arrive de souhaiter la disparition, du moins couper des têtes gênantes. Il y a à l’origine un quiproquo entre lui et les Togolais. Gilchrist Olympio ne cherche pas à conquérir le pouvoir : c’est le sésame, c’est la grammaire pour le comprendre au travers de ses bourdes monumentales qui confinent à de l’incompétence notoire chez quelqu’un qui par ailleurs affiche un curriculum vitae alléchant. Dans tous les cas, les Togolais, qui continuent à croire en lui, méritent d’être psychanalysés, à commencer par Gilchrist lui-même!
Lynx.info : Faute d’instituts de sondage le paysage politique reste flou. Faure si il était élu par son parti part-il favori en face d’une opposition plus que divisée ?
Dans une élection à un tour, on peut dire que Faure part favori face à une opposition divisée. Bien qu’il soit fragilisé au sein de son propre camp, il a l’avantage d’être au pouvoir, d’être dans la place, et de détenir les leviers de commandement de l’Etat. Il a par ce fait une capacité forte d’imposer une victoire frauduleuse à ses adversaires et à la population qui n’aura que ses yeux pour pleurer en espérant une revanche illusoire en 2015. Faure lève des milices en ce moment, achète des armes comme il achète des consciences, reécrit les textes, redessine les préfectures, cherche des appuis improbables dans la sous-région et sur le continent, amadoue Nicolas Sarkozy de mille manières, bref « le Petit » se bat comme un beau diable. Pendant que l’opposition, convaincue de son échec, a les yeux rivés sur l’affaire Kpatcha et sur 2015, la machine à frauder se met en place. Le car ou la voiture de l’opposition rentre dans le mur à vive allure, mais on continue à enfoncer la pédale plutôt que de décélérer et freiner. Alors que les représentants des Etats-Unis, de l’Allemagne, de la France, de l’Union européenne et du PNUD au Togo se battent au corps à corps avec le pouvoir pour un scrutin transparent et honnête, pour l’opposition la devise semble être « Moi ou Faure, et personne d’autre » qui fonctionne fort.
Lynx.info : Vous avez prédit dans une interview datée du 20 septembre 2008 á Togoforum que vous voyez Gilbert Houngbo á la fin de son mandat avec des cheveux blancs, et une fatigue signe de lassitude. Les togolais disent qu’il est inexistant et effacé.Ne faut-il pas prendre l’exemple du Bénin en ôtant ce poste que beaucoup trouve pas important et coûteux ?
Depuis la modification de la constitution en décembre 2002, le poste de Premier ministre ne sert plus à grand-chose. Il est devenu un étui dans lequel le chef de l’Etat se cache. Edem Kodjo ou Yawovi Agboyibor ont été utilisés comme des étuis péniens et actuellement le pauvre Gilbert Houngbo. On peut évoquer des raisons financières pour supprimer ce poste, mais l’architecture institutionnelle présidentialiste de l’Etat pousse à l’inexistence du Premier ministre. Au Bénin et au Ghana ce poste n’existe pas. Les choses sont claires qui instituent le chef de l’Etat comme chef de l’exécutif. S’il faut supprimer les organes qui ne servent à rien, il faut supprimer aussi l’Assemblée nationale. Allons plus loin. Supprimons aussi le chef de l’Etat : il sert à quoi ? Les partis politiques aussi : ils servent à quoi ? Les syndicats : ils servent à quoi ? La HAAC : elle sert à quoi ? Tous ces trucs servent l’intérêt général ? Est-ce que l’intérêt général doit être le critère d’évaluation de performance ou d’efficacité d’une institution ?
Lynx.info : La transparence des élections occultée au profit des égos personnels ….
Au Togo où les valeurs sont inversées, pour une question de cohérence de sens global, est-il étonnant que l’on assiste à l’occultation de la transparence des urnes au profit des ego personnels au lieu de l’inverse. C’est cela la marque d’identité de notre Togo aujourd’hui : le dérisoire, l’accessoire, le ridicule, le minime au détriment du principal, de l’essentiel, de l’élevé, du maximal, sachant très bien que le principal et l’accessoire doivent pouvoir se combiner parfois pour faire avancer les choses. Ici on a choisi le parti pris du ridicule absolu au détriment du sublime.
Lynx.info : A cinq mois des élections le RPT n’a pas encore dévoilé sa stratégie.On parle dans les couloirs d’une stratégie qui va embraser tout sur le passage.Faure a t-il les moyens humains au sein du RPT de sa politique ?
Comme en 2005, les élections de février 2010 risquent d’être saignantes. Plus Faure se sentira affaibli et fragilisé dans son camp, plus il sera tenté de rouler des mécaniques pour démontrer qu’il est capable de contrôler l’héritage de papa. L’affaire Kpatcha est une démonstration de force dans ce sens. Il a testé sa capacité à neutraliser son demi-frère supposé turbulent, donc à un niveau familial et micro, maintenant il peut se projeter au niveau national et macro. Son problème est de savoir au regard de leur état dépressif, si les forces répressives (armée, gendarmerie, police) sont en mesure de se mobiliser pour exécuter ses basses œuvres. Il convient de savoir qu’en 2005 ce sont des milices paramilitaires pour l’essentiel encadrées par quelques militaires qui avaient opéré. Le sinistre major Kouloum est, dit-on, en train de lever des troupes de miliciens en ce moment. La FIR du colonel Kadangah est-elle prête à se donner en spectacle sanglant une fois de plus ? Toutes les options sont ouvertes, attendons-nous au pire pour consommer le meilleur.
Lynx.info : Deux ambulances aux hôpitaux de la Binah et de Bassar sur « instruction de Faure »,Un président bienfaiteur il paraît …
Voilà encore une pratique de papa qui perdure : c’est à la veille des élections que le pouvoir sait faire de la « politique publique » pour séduire les populations. Il multiplie préfectures et sous-préfectures, il arrose de billets de banque, il implante un camp militaire à Zowla, il nomme des ressortissants de telle région à des postes de responsabilité pour attirer le vote desdites régions, mais des routes, du transport collectif, des écoles, des hôpitaux, du logement social, du ramassage d’ordures ménagères, des ponts, de l’eau potable, de l’électricité, du crédit bancaire moins élitiste, du personnel qualifié, etc. toutes ces choses importantes qui doivent composer des politiques publiques dignes de ce nom, point du tout. Des Togolais applaudiront ces accessoires, mais Faure trouvera difficilement ces applaudissements dans les urnes.
Lynx.info : Kofi Yamgnane propose « l’alternative » á « l’alternance » au Togo. A t-il tort au raison ?
Si j’ai bien compris son idée : oui. L’alternance pour reconduire la politique des Gnassingbé ! Par contre, l’alternative c’est une autre politique possible. Si Kofi Yamgnane s’est lancé dans cette bataille, c’est probablement qu’il considère que les vieux routiers de l’opposition parlent plus d’alternance que d’alternative qui est plus radicale. L’alternative postule une rupture totale d’avec l’ancienne corde par laquelle le Togo a été torsadé jusqu’à ce jour. C’est une autre perspective. Mais a-t-il les moyens de son ambition si on considère d’où il est parti ?
Lynx.info : La diaspora gronde de n’être pas mélée á la chose publique.Que fait fuir le ministre de tutelle et Faure ?
Ah il y a un ministre de tutelle de la diaspora ? Attendez… je cherche. Il semble que c’est l’autre Gilbert. Me suis-je trompé ? Il est trop obsédé par son enrichissement personnel pour s’occuper de la diaspora. Il faut le comprendre : pour lui et son gouvernement, la diaspora c’est d’abord des opposants en tout genre réfugiés à tort à l’extérieur pour salir l’image du pays. Leur simple présence hors du territoire national est une provocation inadmissible. Les Togolais de l’extérieur ne peuvent pas être des citoyens à part entière, pouvant exercer leur droit élémentaire de vote à l’instar de nos voisins du Bénin, du Mali, du Sénégal, etc. Faure a hérité de son père dans ce domaine où il n’y aura pas de changement notable pour demain, même en cas d’une éventuelle accession de l’UFC au pouvoir qui est à peu près sur la même longueur d’onde que le RPT.
Lynx.info : Merci d’avoir accepté répondre à nos questions.
Merci à vous. Mais je suis triste pour février 2010 pour le Togo. L’avenir immédiat de notre pays me laisse perplexe.
Comi M. Toulabor
Bordeaux
Vendredi 13 novembre 2009