A la tête de la cellule Afrique de l’Elysée depuis quatre ans, la conseillère de Hollande n’a pas réussi à imposer une « Afrique normale » au « président normal »
C’est par hasard qu’Hélène Le Gal est nommée en 2012 à la tête de la puissante cellule africaine de l’Elysée où lui avaient précédé tant de poids lourds de la « Françafrique ». A commencer par Jacques Foccart, le tout puissant conseiller de l’ombre des présidents De Gaulle et Pompidou qui le chargèrent de maintenir, par tous les moyens barbouzards possibles, l’influence de la France dans ses anciennes colonies.
La Françafrique, c’est fini !
Et c’est sans bruit qu’elle quittera, dans les semaines qui viennent, ce costume qui n’était pas taillé pour elle. Militante, technocrate et femme, autant de raisons de ne jamais nommer cette énarque âgée alors de 45 ans au coeur d’un monde de brutes, où les bons sentiments n’ont pas grande place. A moins de vouloir éradiquer définitivement les relations incestueuses que l’ancienne métropole entretenait avec l’Afrique francophone. Ce fut en effet la feuille de route que lui rendit François Hollande en la faisant venir. Son tort fut de le croire…
Malgré quatre années passées à la tête de la prestigieuse cellule africaine de l’Elysée, Hélène Le Gal n’a jamais pris le pli de l’africaniste cynique et chevronnée. Et pour cause. Dès sa nomination au 2 rue de l’Elysée, la jeune diplomate a mis un point d’honneur à remplir la mission qu’Hollande lui avait confié au début de son mandat : incarner la « normalisation » des relations entre Paris et ses ex colonies.
Fini l’opacité, les intermédiaires véreux et les traitements de faveur. Réputée hostile aux basses manœuvres, au mieux avec l’ex conseiller diplomatique de Hollande, Paul Jean-Ortiz, aujourd’hui décédé, la cellule Afrique « clean » version Hollande, lui tend les bras. Lorsque dans son discours de 2012 à Dakar, le président fait l’apologie ce « grand continent émergent » avec lequel Paris souhaite nouer « des relations fondées sur le respect, la clarté et la solidarité », Hélène Le Gal est sacrée gardienne des valeurs de transparence. Pour le meilleur et pour le pire.
Aucun passé africain
L’arrivée de la jeune conseillère dans ce marigot d’eaux troubles créé d’abord la surprise. En poste à Madrid, Tel Aviv, Bruxelles, puis Consul au Québec avant d’être rappelée à Paris, son histoire africaine relève davantage du concours de circonstances que de la prédestination. « Comme beaucoup de diplomates, elle a grimpé au gré des opportunités. Sans vrai tropisme pour les affaires africaines » note un ambassadeur.
A peine en poste, son expérience africaine jugée modeste lui vaut immédiatement les critiques acerbes des barons impitoyables de la « Françafrique ». « Sur le continent personne ne la connaît ! » s’agace un ponte des fameux « réseaux » franco-africains. « Elle ne connaît pas les dossiers » persiffle un autre. Contrairement à ses prédécesseurs, la jeune conseillère n’a jamais servi à la tête d’une ambassade africaine malgré une tentative avortée. Fin 2011, Alain Juppé alors ministre des affaires étrangères souhaite la nommer ambassadrice au Rwanda. Les relations du ministre avec le président Rwandais Paul Kagamé qui l’accuse de complicité dans le génocide de 1994 sont au plus mal. « Nommer une socialiste proche de lui à l’ambassade lui permettait de torpiler la politique de Sarkozy et de Kouchner qui voulaient normaliser les relations avec le Rwanda » explique un ancien du Quai d’Orsay. « C’était une manière aussi de régler ses comptes avec le président Kagamé et l’ambassadeur de l’époque Laurent Contini qui appuyait à demi mot la thèse de la responsabilité de Juppé ». Conséquence : la nomination d’Hélène Le Gal est immédiatement rejetée.
A l’Elysée, son clône en charge des affaires économiques, Thomas Mélonio, n’a pas non plus de passé d’ambassadeur. Ex responsable Afrique du PS, ancien d’HEC, le jeune conseiller a notamment bénéficié de ses bonnes relations avec le directeur général de l’AFD, Jean-Michel Severino chargé des pays émergents au sein de l’équipe de campagne de Hollande pour s’imposer à la cellule Afrique. Critiqué dans son propre camps notamment par son prédécesseur au PS, Guy Labertit, Melonio, réputé lui aussi pour son attachement à la défense des droits de l’homme, n’est guère mieux considéré que son binôme à l’Elysée. « C’est un duo naïf qui joue la petite musique droit de l’hommiste de Hollande » tranche un ancien du Quai d’Orsay.
C’est pourtant dans un pays clé des magouilles « françafricaines », le Burkina Faso, qu’Helene Le Gal a fait ses premières gammes sur le continent. Vice-consul à la fin des années 1980 alors que Blaise Compaoré vient d’arriver au pouvoir, elle n’imagine pas qu’elle devra gérer, vingt-cinq ans plus tard à l’Elysée, la chute précipitée du président renversé par un soulèvement populaire. Discrète, elle passe inaperçue aux yeux des huiles de la « Françafrique » qui se pressent au portillon de l’ambassade française à Ouagadougou. « A l’époque, elle faisait les bouts de tables. On la remarquait à peine » pique l’avocat Robert Bourgi, ancien conseiller de l’ombre de Nicolas Sarkozy pour les affaires africaines.
L’expérience lui sert de tremplin vers la direction Afrique du Quai d’Orsay où elle se charge des pays des Grands Lacs, de la Corne et de l’Est. Proche de Charles Josselin, l’ex ministre délégué à la coopération sous le gouvernement de Lionel Jospin dont elle intègre le cabinet, la jeune diplomate développe une sensibilité particulière pour les thèmes liés aux droits de l’homme. Une fibre qui, à l’Elysée, lui vaudra les bonnes grâces de la société civile. « Elle nous reçoit, écoute nos remarques. Une première pour un conseiller Afrique ! » note le directeur d’une ONG française de renom.
Jeunes loups contre vieux baobabs
Louables, les engagements des deux conseillers ne résistent pas longtemps au virage à 180 degrés de François Hollande métamorphosé en chef de guerre au Mali puis en Centrafrique. Débordée par les impératifs de lutte contre le terrorisme au Sahel, la cellule Afrique s’assoit sur ses principes. Place à la realpolitik militaire. « Ils voulaient jouer du Kouchner, ils ont fait du Védrine » ironise un député. Ouvertement opposé pendant sa carrière aux dérives autoritaires du président tchadien Idriss Déby, Thomas Mélonio fait profil bas lorsque le Tchad devient l’un des partenaires privilégiés de la France dans la zone. En envoyant ses soldats se battre aux côtés de l’armée française dans le nord Mali, Idriss Déby donne des gages à Paris qui choisit N’Djamena pour installer le commandement de Barkhane.
En un an, la liste des priorités de la cellule Afrique réduit comme peau de chagrin. L’objectif numéro un consiste avant tout à ménager les « amis africains » de François Hollande. « Ils voulaient mettre un terme à la Françafrique, résultat, ils nagent en plein dedans » résume un avocat. A l’Elysée, Hélène Le Gal réserve un accueil chaleureux aux alliés de Paris membres de l’Internationale socialiste. Tapis rouge pour les présidents malien Ibrahim Boubacar Keïta, nigérien Mahamadou Issoufou, guinéen Alpha Condé, burkinabè Roch Marc Christian Kaboré. Quitte à fermer les yeux sur la corruption, les violations des libertés fondamentales ou de l’Etat de droit. Au prix également de maladresses envers ceux dont l’opinion diffère. La défense impassible du président guinéen Alpha Condé par Hélène Le Gal lui a notamment valu les foudres du leader de l’opposition Cellou Dallein Diallo qui a brutalement quitté son bureau en claquant la porte. Le tranchant de la conseillère, qui lui vaut une réputation de dogmatisme chez plusieurs officiels africains y compris parmi les alliés de Hollande déplaît à bien des responsables habitués aux louvoiements tortueux de la Françafrique. « Elle s’adresse de la même manière aux politiques, aux militaires, aux hommes d’affaires… » note un ancien du Quai d’Orsay.
Un ton incisif qui réveille régulièrement les réflexes sexistes de bon nombre de ses visiteurs. « Elle n’est pas aidée ! Non seulement Hollande ne lui laisse pas les mains libres mais en plus, c’est une femme et elle est jeune ! Or l’Afrique reste inexorablement une affaire d’hommes âgés… » regrette un membre du PS. « Les politiques africains tout comme les français qui s’intéressent à l’Afrique font preuve d’un archaïsme intolérable à son égard ! » tempête à son tour un diplomate d’Afrique de l’Ouest.
L’armée chef d’orchestre
Autant que le sexisme, les orientations décidées par François Hollande ne jouent pas en sa faveur. Les sursauts démocratiques sont rares, tardifs, brouillons. Alors qu’il prend position, quoique tardivement, contre la volonté de l’ex président burkinabè Blaise Compaoré de briguer un troisième mandat au Burkina Faso, Hollande donne son aval pour la tenue d’un référendum constitutionnel au Congo permettant au dictateur Sassou N’Guesso de se maintenir au pouvoir. Le tout avant de se rétracter à travers un timide communiqué de l’Elysée. Un rétropédalage poussif, dû en partie, murmure-t-on à l’Elysée, aux efforts d’Hélène Le Gal que le président ignore le plus souvent. « Sur les questions africaines, Hollande a pris l’habitude de consulter les militaires » affirme une source proche du dossier qui dénonce un « court-circuitage » répété de la cellule élyséenne et des réseaux diplomatiques. Selon plusieurs sources, Hélène Le Gal n’aurait par exemple été informée du choix d’intervenir militairement en Centrafrique qu’une fois la décision prise par le chef de l’Etat. Edifiant.
En faisant entrer une diplomate à la cellule Afrique, Hollande avait pourtant fait naître l’espoir d’apaiser les querelles entre l’Elysée et le ministère des affaires étrangères longtemps relégué au second plan sur les questions africaines. Peine perdue, à défaut de voir leur blason redoré, les diplomates Afrique de l’ère Hollande, resteront, pour l’essentiel, sur le banc de touche. Tout comme la cellule Afrique. Les conseils décisifs, le président les prend ailleurs. Auprès de son chef d’Etat major particulier, Benoît Puga, en place depuis Sarkozy, et du ministre de la défense Jean-Yves Le Drian épaulé par son influent chef de cabinet Cédric Lewandosky. Même l’ex ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius, faisait passer ses idées sur la diplomatie économique en Afrique en s’adressant directement à Hollande ou à Bercy.
De leur côté, les chefs d’Etat du continent ont de plus en plus recours aux conseillers d’origine africaine des politiciens qu’ils souhaitent approcher. Ainsi, le franco-mauritanien Ibrahim Diawadoh N’jim, proche de Manuel Valls depuis ses débuts à Evry s’est imposé comme une personnalité incontournable dans la mise en place des partenariats franco-africains.
Dans la droite ligne de Sarkozy, le 2 bis du de l’Elysée se vide de sa substance politique. Au mépris des diplomates et de l’administration, l’ex chef d’Etat français avait en effet déjà chamboulé les règles du jeu relationnel avec les officiels africains. « A l’époque, tout le monde savait que pour être en ligne directe avec Sarko, c’était par Claude Guéant, Patrick Balkany ou Robert Bourgi qu’il fallait passer. Le Monsieur Afrique n’était plus là où on l’attendait ! » explique un ancien ambassadeur sous Sarkozy.
Encore influent sous Chirac, le conseiller élyséen perd du galon. Lors de l’intronisation d’Ali Bongo, André Parant, qui occupe le poste à l’époque a été empêché pendant plusieurs minutes d’accéder à la salle du Palais du bord de mer où le président gabonais s’entretenaient avec l’avocat Robert Bourgi, l’ex Monsieur Afrique d’EADS, Philippe Bohn, et l’actuel directeur général de Necotrans, Jean-Philippe Gouyet. « C’était le début de la fin de la cellule à l’ancienne » comment un ancien ambassadeur. « Bourgi et surtout Guéant faisaient l’interface avec les visiteurs du soir qui déboulaient en Mazzeratti ». A ces éminences grises, l’ère Hollande a substitué les militaires, véritable courroie de transmission des pouvoirs africains avec l’exécutif. Résultat, les relais diplomatiques sont délaissés et le rôle du conseiller Afrique, « Monsieur » ou « Madame » confine tout au plus au passe-muraille. Avec pour conséquence désastreuse le délitement de la politique africaine de la France dont les rapports avec le continent sont désormais dominés par une approche sécuritaire.
Par Thalia Bayle
Mondafrique
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