Le musée avait donc, en plus de ses fonctions classiques, une fonction politique pour les nouveaux pouvoirs qui venaient de s’installer. Ici, je vais surtout voir dans quelles mesures le MNT à valoriser ou non l’histoire nationale et les cultures nationales.
Le 26 avril 1975, le Musée National du Togo ouvrait officiellement ses portes au public après que le Président Gnassingbé EYADEMA ait pris le 08 avril 1974 un décret le créant. En ce jour où l’institution muséale fête ses 35 ans de fonctionnement, il est tout à fait judicieux de jeter un regard sur ce parcours et d’envisager l’avenir de cette institution que peu de nos compatriotes connaissent vraiment mais qui est appelé à jouer de plus en plus un rôle important dans nos vies au moment où le monde se globalise avec un risque d’uniformisation des cultures.
Les musées se définissent comme « des institutions permanentes sans but lucratif au service de la société et de son développement, ouvertes au public ; ils acquièrent, conservent, diffusent et exposent à des fins d’étude, d’éducation et de plaisir, les témoignages matériels et immatériels des peuples et de leurs environnements ». (Code de déontologie du Conseil International des Musées, l’ICOM.). Au Togo indépendant, la création du premier musée remonte au 08 avril 1974 par le décret n°74-71/PR/MJSCR portant création du Musée National Togolais. Mais il faudra attendre le 26 avril 1975 pour son ouverture effective. Par la suite, quatre musées publics dits régionaux ont vu le jour. Il s’agit par ordre chronologique du Musée Régional de Kara, du Musée Régional d’Aného, du Musée Régional de Sokodé et du Musée Régional de Dapaong. En dehors de ces musées publics, il se développe de plus en plus des initiatives privées dont la plus caractéristique est l’ouverture le 03 février 2007 du Musée International du Golfe de Guinée. Nous citerons aussi le Musée Royal de Togoville et le Musée animalier d’Adidogomé comme des tentatives louables. En février 2009, l’UNESCO a marqué son accord pour la création d’un Musée régional de l’Afrique de l’Ouest à Lomé dans le but de promouvoir le patrimoine culturel africain et de mettre en valeur les richesses de notre continent.
Tous ces musées qui sont donc des lieux publics où sont rassemblées des collections d’objets d’art, ou des pièces présentant un certain intérêt historique, scientifique, archéologique ont entre autres missions la protection et la conservation du patrimoine culturel togolais, la mise en valeur des collections (recherche, exposition, documentation), l’éducation et la délectation.
Même si le Musée National n’expose qu’une infime partie de ses collections faute d’espace, il essaie de remplir ses fonctions essentielles que sont la collecte, la recherche, la mise en réserve, la conservation, la présentation et l’éducation. Il a, pour cela, besoin du public. Pour avoir ce public sans lequel son existence ne saurait avoir un sens, il ne doit plus rester une simple vitrine de l’identité et de l’orgueil national au risque d’être vu comme un réceptacle d’objets tombés en rebus. Le Musée national du Togo se doit désormais d’avoir une démarche éducative porteuse de sens du point de vue pédagogique. Et dans cette perspective, le public scolaire doit être sa cible prioritaire.
Après presque 35 ans d’existence, le Musée National du Togo et tous les musées du Togo doivent faire ce saut qualitatif pour devenir un équipement communautaire qui soit un instrument de développement. Car il ne s’agit pas seulement d’appeler les populations à devenir des « consommateurs culturels » mais bien de mettre en œuvre de nouvelles modalités de partage du patrimoine, en vue de rendre chaque citoyen capable de participer à la construction et à la transformation de ce patrimoine, créant par là même des liens entre la population et son territoire.
Mais le Musée National a aussi des défis personnels liés à son cadre, à son statut, à son mode de gestion et de fonctionnement qu’il lui faudra relever pour être à même de remplir toutes ces missions. Au Togo, presque la totalité des musées publics ne dispose pas de bâtiments appropriés conçus et construits pour servir comme tel. Le cas le plus caractéristique est celui du Musée National .En effet, le musée est d’abord un espace public qui doit recevoir des visiteurs. La question de son cadre et de son accessibilité est donc cruciale. Le MNT est, depuis son ouverture, provisoirement logé dans un bâtiment que le togolais ordinaire n’a toujours pas le reflexe de visiter en raison de son prestige et des fonctions très politiques qu’il a joué et continue d’ailleurs par jouer et qui font qu’il est trop souvent gardé par des militaires et qui en contrôle l’accès: le Palais des Congrès de Lomé. Cette situation est la même pour le Musée Régional de la Kara abrité par le Palais des Congrès de Kara.
En outre, on accède au MNT par une voie à sens unique qui en fait un espace presque enclavé. En dehors de cet handicap considérable on se demande si le MNT est disposé et préparé à recevoir des visiteurs qui y arrivent malgré tout. La réponse est malheureusement non. Les raisons sont simples, d’abord il dispose de peu d’espace avec ses 280 m2 et ne peut exposer qu’à peine 1% de ses collections alors que les 99% restants sont entassés dans une cave. Ensuite, sa salle d’exposition est tout vitrée, sans fenêtres d’aération et sans climatisation. Les visites sont pénibles dans ces conditions avec en plus une faible luminosité qui donne une impression de gâchis aux visiteurs. Enfin, l’exposition permanente est vieille et depuis des années il s’organise même plus d’expositions temporaires faute de moyens et d’espace. Pour la lancinante question de son statut et de son mode de fonctionnement, le MNT est le seul de la sous-région sinon de l’Afrique qui malgré son statut de MUSEE NATIONAL évolue encore dans cet amateurisme déroutant.
En effet, au Togo le ministère en charge de la culture coordonne toutes les activités des musées qui sont sous sa tutelle et qui fonctionnent de ce fait en gestion directe. Leurs crédits de fonctionnement et d’équipement quand ils existent sont gérés par l’administration à travers une direction centrale, la Direction du Patrimoine Culturel. Actuellement, bien que créé par décret présidentiel, le MNT ne reçoit aucune dotation (ni budget ni subvention) de l’Etat. Cette situation incompréhensible lui donne peu de visibilité. Pour le Musée National, il faudra évoluer vers une autonomie financière comme recommandée par le Conseil International des Musées en en faisant un Etablissement Public Administratif à caractère scientifique et culturel. Tous les musées nationaux de notre sous-région tels que ceux du Burkina, du Niger, du Mali en sont arrivés là et rien ne justifient que le MNT ne fasse pas ce pas qualitatif dont dépend sa survie.
L’Etat devra continuer de toutes les manières continuer à jouer un rôle de contrôle et de régulation étant donné d’ailleurs que la Constitution de la IVème République dispose en son article 40 que « L’Etat assure la protection et la promotion du patrimoine culturel national ». Aujourd’hui les Musées Nationaux de toute la sous-région (Mali, Burkina Faso, Niger entre …) ont ce statut. En ce qui concerne la question du personnel et de sa formation, presque tout le personnel actuel du MNT est constitué par des agents n’ayant aucune formation initiale dans le domaine spécifique du musée. Cette situation est proprement scandaleuse au 21ème siècle. Le secteur de la culture et plus encore du musée s’est beaucoup spécialisé et il est inconcevable que pour le Musée National de notre pays, nous nous contentions encore de l’amateurisme qui le caractérise encore aujourd’hui. Est-ce à dire qu’il n’existe pas de spécialistes bien formés dans notre pays après cinquante ans d’indépendance ? Pendant longtemps (et encore aujourd’hui) on a pensé qu’il faut envoyer au musée des agents fatigués ou malades et qui ne peuvent plus avoir aucun rendement dans les autres secteurs de notre administration.
Il est donc souvent arrivé qu’en termes d’effectif, le MNT ait sur papier un effectif acceptable de 5 à 10 agents mais que dans la réalité aucun d’entre eux ne soit productif ou même s’il l’est, il ne sait absolument rien du musée. Une étude réalisée dernièrement par l’Ecole du Patrimoine Africain pour l’Union Africaine analyse la situation du MNT comme l’une des plus mauvaises en Afrique . En outre, un conservateur de musée, c’est comme un médecin : plus il le temps passe, plus il est performent. Sans pour autant aller vers l’inamovibilité du Conservateur, il faudra éviter d’avoir un nouveau Conservateur pour le MNT tous les 10 mois. La question peut paraitre banale mais elle est symptomatique d’un des maux dont souffre aussi le MNT à savoir la léthargie. En effet, en tant que responsable scientifique des collections de son musée, le Conservateur ne peut rien entreprendre de consistant s’il ne connait pas très bien au préalable ses collections.
Et aussi surprenant que cela puisse paraitre au commun des citoyens, cette maitrise totale de ses collections lui prend parfois des années car chaque pièce est une histoire particulière et un bon Conservateur se doit de connaitre sinon l’histoire particulière de toutes les pièces du moins celle des pièces caractéristiques ou celle des fonds qui constituent ses collections. C’est un travail de longue haleine indispensable à tout Conservateur qui veut faire évoluer son Musée dont n’est pas toujours conscient le regard extérieur y compris certains responsables hiérarchiques.
Comme on peut le voir, les musées du Togo sont confrontés à ces défis de changement qu’il lui faudra rapidement relever sous peine de les voir mourir véritablement et totalement. Ce ne sont pourtant pas les réflexions et les solutions qui manquent. En 1997 déjà, Komlan Agbo, l’actuel Directeur du Patrimoine Culturel et des Arts à la Commission de l’UEMOA à Ouagadougou au Burkina Faso avait, dans son mémoire de DESS en Gestion du Patrimoine Culturel à l’Université Senghor d’Alexandrie en Egypte dont le thème est Pour une réhabilitation des musées au Togo fait une analyse sans complaisance de la situation des musées togolais notamment du MNT et fait des propositions de solutions pertinentes qui restent encore d’actualité.
Il y 35 ans le Président EYADEMA en créant le MNT lui nourrissait des grandes ambitions comme peut en témoigner le décret n°74-71/PR/MJSCR du 08 avril 1974. Le décret qui le crée en est la plus grande preuve. Aujourd’hui, ses fonctions vont plus loin et si nous voulons vraiment nous développer, il nous faut inscrire la culture au cœur des priorités, car aucun pays ne s’est développé en dehors de sa culture. Comme l’a si bien écrit Xavier Dupuis « il ne peut y avoir de développement économique sans pris en compte et aussi intégration de la dimension culturelle du développement ». C’est donc aussi à cette tâche que nous devons convier tous les partenaires en développement en ces moments où le Togo sort d’une crise politique de plus de 15 ans et est en train de se repositionner sur la scène internationale. Le développement de notre pays est aussi à ce prix là.
En écrivant cet article, nous voulons tout simplement mettre à la disposition des décideurs politiques de notre pays au haut sommet de l’état ces quelques analyses et suggestions comme des outils d’aide à la décision dans la mise en œuvre des nouvelles orientations culturelles de notre pays. Car nous refusons d’adhérer à une quelconque politique de l’autruche et à faire croire, en tant que professionnel de la culture et du musée que tout marche ou que la situation est acceptable. Pour les prochaines années, notre pays mérite mieux et il est de notre devoir d’aider à cela. Nos réflexions ne s’inscrivent que dans cette logique. Bonne fête donc à tous les Togolais qui, comme moi, pensent que la célébration de ce cinquantenaire est une occasion unique de faire des projections sur l’avenir à la lumière des succès et des échecs des 50 premières années de notre accession à la souveraineté internationale.
Par Yves Komi N’kégbé F. TUBLU
Gestionnaire de Patrimoines Culturels
Ex-Conservateur du Musée National du Togo
Ecole du Patrimoine Africain-EPA
Porto Novo, Bénin