Gilchrist Olympio, les derniers secrets d’un gourou sans héritiers

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Depuis, Faure Gnassingbé est habitué à le voir avec l’une de ces deux acolytesses…

Juillet 2009. A Kouméa. 460 km de Lomé, au domicile de Pascal Bodjona dans son fief princier. Autour du ministre, dans son salon, quelques journalistes béninois de la même rédaction. En marge des Evala (luttes traditionnelles initiatiques marquant la maturité chaque année chez les Kabyè du nord du Togo), le ministre souffle un champagne avec les journalistes et se laisse aller. Une confidence ? Le puissant ministre d’Etat sait très bien qu’on n’en fait pas à un journaliste. « Nous allons tout faire pour que Gilchrist participe au scrutin mais il n’y prendra pas part, je vous jure » blague de ministre fier de ses derniers exploits ? Il avait réussi, deux ans plus tôt les élections législatives qui ont donné son parti gagnant alors qu’il en était le secrétaire national aux affaires politiques. Six mois après, à l’occasion des festivités marquant les 5 ans du décès de Gnassingbé Eyadema, l’ex dictateur, les mêmes journalistes sont invités par le même ministre. Nanti d’une mémoire d’éléphant, Bodjona reprend les discussions là où il les a laissées. « Il n’y sera pas, je vous l’avais dit« . Quelques jours après, l’opposant historique est victime d’un mystérieux accident et ne soumet pas sa candidature. L’idée de cet accident imaginaire serait une esquive du ministre d’Etat. Quelques mois après le scrutin, en recevant à Lomé, l’auteur de ces lignes, le ministre insiste « je te l’avais dit, on a bien préparé le coup« . Quel coup ? Depuis, personne n’a jamais apporté la moindre information sur le deal qui rapproche Gilchrist Olympio de Faure Gnanssingbé, fils de celui qui est accablé d’avoir assassiné son père Sylvanus Olympio, le 1er président du Togo indépendant. Pour la présidentielle de 2015, le vieil opposant veut avoir son mot à dire, à la tête d’un parti qui n’a plus de fief qu’un rocher et dont la grandeur n’existe plus que dans les illusions séniles de son fondateur. Pourtant, il s’y accroche, menaçant d’empêcher Faure d’être élu en lui opposant un candidat. « Quel que soit le candidat de l’Ufc, il empêchera Faure de se faire élire » confie-t-il, éhonté. Ridicule présomption d’un homme qui fut, pendant un demi-siècle de lutte, à l’image de lui-même, gueux et chauvin.

Gilchrist et son accord

13 septembre 2013. Gilchrist Olympio vient de finir une longue réunion. Une réunion qui fut sans aucune aisance pour le gourou habitué à être vénéré et à ne jamais rencontrer de résistances. Ce soir-là, il fera face à la première résistance après le départ de Fabre et « des radicaux ». Il fera face à un autre « petit » qui vient de lui tenir tête. Oré Djimon. Modeste historien, cet enseignant fut l’un des piliers du parti pendant la longue traversée de désert. Il vient d’être élu député à l’Assemblée nationale et à la veille de la reconduite de l’accord qui unit son parti à celui au pouvoir, il repose la question de son utilité, allant jusqu’à demander une « rupture » dudit accord. Insoutenable pour Gil qui coupe court. « J’ai tranché » a-t-il lancé comme il aime à en répéter pour signifier sa suprématie sur tout le parti. Le lendemain, Jean Luc Homawoo l’informe de ce qu’il y a un communiqué de dissidents, mené par Oré, sur Radio Victoire Fm, station locale de Lomé. Christelle, sa secrétaire particulière de toujours l’approche avec une radio pour lui faire écouter le communiqué, Gilchrist la ramasse avec mépris et lui lance « fou moi le camp, n’importe quoi« . La colère du gourou est à son paroxysme. Il convoque un comité restreint qui tarde à se réunir, et en attendant, il accumule des bouteilles de vin. Le rouge ? Il en est un fou passionné. Parfois, pendant plusieurs heures, il vide des verres aussi facilement qu’on suce des oranges. Pas une autre boisson alcoolique, sinon rarement, mais le vin rouge. Toujours le vin et toujours le rouge. La réunion n’aura jamais lieu, le gourou était déjà dans un état second, ivresse aidant. Il s’est senti humilié mais sait qu’un autre challenge l’attend, dispersé les pro-oré. Il réussira, ne serait-ce que pour le vieux Diabaté qui finit par se mettre à genoux pour lui demander pardon. Il en fera un ministre dans la foulée. On appelle cela la » récompense du mépris« . Pour Nicodème Habia, un député sortant, le vieux ne veut pas perdre son temps. « C’est un inculte qui traine des talismans, j’allais le laisser périr aux USA » s’amuse le lion qui a du mal à rugir. Quant au vieux Diabaté, il l’a vite pardonné, « c’est un villageois qui a été trompé par Oré. Je le pardonne cette-fois et s’il répète, je le punis comme un enfant. On verra s’il peut continuer à vivre à Lomé s’il nous quitte » mauvaise blague en petit comité. L’accord vient ainsi de prendre un autre tournant, sonnant ainsi le début de sa fin. Mais de quel accord s’agit-il exactement et comment en est-il arrivé là?

Début 2009, Faure comprend qu’à travers les discussions de Sant Egidio, censées ramener la paix sociale durable au Togo et qui se tiennent à Rome, il peut franchir un pas, avoir Gilchrist avec lui. L’idée vient de l’un de ses envoyés spéciaux. Il en parle avec Blaise Compaoré et demande son aide. Le président du Faso est partant et confie la mission à Alain Yoda, son « ministre des missions complexes ». Olympio et Yoda se rencontrent deux fois à Paris puis une fois à Ouagadougou. Pascal Bodjona est associé. Il a entamé depuis deux ans des relations presque amicales avec Gilchrist. Février 2009, la première proposition pratique est faite. 40 milliards de cfa, remise de dettes au Ghana et à Londres et plusieurs autres facilités. L’opposant encore « historique » hésite mais « jamais n’a pu dire non » selon l’un de ses anciens collaborateurs. Les discussions continuent, informelles. En octobre 2009, Gilchrist fait une blague avec Bodjona, « votre stupide proposition est-elle encore en jeu » fit-il semblant d’en rire, en éwé. « Bien sûr, à condition que tu ne sois pas candidat« , le ministre lui rend la politesse, avec sourire. Trois mois plus tard, après avoir consulté longuement ses deux enfants, sa fille (supposée unique) et son seul garçon (qu’il dit avoir adopté mais qui serait un enfant naturel), il demande à voir Blaise Compaoré. Rendez-vous en début d’année 2010. Le deal est conclu. Gilchrist demande 500 milliards. Pharaonique, s’exclame Yoda. Mais c’est à l’image du gourou. Finalement, la somme de 150 milliards, soit le tiers du budget de l’Etat togolais est réclamé. Compaoré, pour garder le ministère, demande à Faure de lui apporter ce qu’il a. Personne ne saura exactement combien le président togolais enverra, mais avec le complément burkinabé, le deal est conclu. Un assistant-conseiller financier est mis au service de Olympio pour disposer de son argent et le rendre rentable. Pourtant, au moment des candidatures, il tente encore d’être candidat, feignant d’oublier l’accord. Il embrouille les pistes et fait des confidences à Patrick Lawson qui alerte Fabre. Le Secrétaire général de l’Ufc annonce sa candidature, Gilchrist s’obstine à la colère mais il n’a rien à perdre, il a eu sa part. L’objectif pour Faure est de pouvoir rester éternellement au pouvoir en versant quelques milliards à l’opposant historique mais il n’aura plus que le gourou, sans ses héritiers, la branche dissidente suit Fabre, avec la grande majorité des militants. Aux législatives suivantes, en juillet 2013, l’Ufc du gourou n’aura que trois sièges. Une humiliation que Gilchrist Olympio n’a jamais fini de digérer.

Fabre et les anciens de l’Ufc ?

Un jour, alors que l’Ufc tenait une réunion importante, l’un des participants aperçoit chez le secrétaire du président un enregistreur et l’interpelle aussitôt. « C’est pour les archives du président » dit-elle et Olympio d’ajouter « cela me permet de suivre vos réflexions évoluées » quelle particularité ? Sauf qu’un mois plus tard, l’une des cassettes s’est retrouvée sur le bureau du président de la République. Désormais, Faure sait que Oré Djimon ne l’aime pas et se méfie de lui et le critique à la limite de l’injure, selon Faure, lors des réunions de l’Ufc. Ainsi, pendant ses années au gouvernement, l’ex ministre de la communication n’a vu le président que très protocolairement, trois fois en trois ans, pour des seul à seul.

La réincarnation du mépris devrait ressembler, comme deux gouttes d’eau à Gilchrist Olympio. Si on en croit ses collaborateurs de longues années. Tous ceux qui l’ont fréquenté en parlent, avec la même indignation et la même colère. Le plus virulent aujourd’hui, Oré Djimon. Hier c’était Jean Pierre Fabre. Aujourd’hui à la tête de l’entité la plus importante de l’opposition, l’héritier d’hier fait cavalier seul. Gilchrist dit souvent « avoir regretté le départ de Fabre, son fou à lui » mais celui dont le départ lui fait plus mal encore, c’est Patrick Lawson. Les deux hommes se connaissent dans les réseaux d’Aného depuis 32 ans. Olympio ne veut pas le lui pardonner et en privé, le maudit sans cesse. « Ses aïeux vont le punir, sans moi, il n’était rien » insiste-t-il quand la colère le prend. Quant à Isabelle Améganvi, c’est » la frivole sur laquelle il ne fallait jamais compter« . Les autres, il s’en moque, « s’ils ne s’accolent pas à Fabre, ils n’ont aucun avenir chez moi, je ne leur faisais pas la moindre confiance« . Et Georges, le vieux sage ? « Il a abandonné le préfet pour le chef canton, il s’est humilié« . Mais plusieurs proches de Gilchrist le disent, il n’a jamais accepté le départ de Fabre, même s’il ne veut pas trop le faire savoir.

2015, ses derniers fidèles et sa stratégie

Olympio rencontre de temps en temps le Chef de l’Etat. Environ une dizaine de fois par an. A l’une de ses rencontres, Faure lui propose de venir avec une délégation de son parti, pour parler de l’avenir de l’accord. C’était dans la foulée de la disparition du Rpt (Rassemblement du peuple togolais), l’ex parti de Faure avec qui l’accord fut signé. Depuis Unir (Union pour la République) a remplacé le Rpt. Ce qui met naturellement mal à l’aise l’accord. Tenons-nous aux faits. Quelle ne fut pas la surprise de Faure Gnassingbé quand il aperçut son interlocuteur accompagné de deux femmes. Pour toute délégation, Gilchrist apparaît avec Dorian Olympio, sa cousine et puissante trésorière du parti, disons du maitre et de sa troupe et Chrystelle, son éternelle secrétaire particulière, plutôt sa nièce celle-là. Fille de Evelyne Olympio, une sœur lointaine du gourou. Belle délégation. Et comme pour s’en amuser, Faure se laisse, « je présume qu’il y a la secrétaire générale et la vice-présidente ??? » et le président sourit, les deux hommes éclatent de rire, « mieux vaut s’entourer de ses gens de confiance et je ne vous apprends rien » dixit Olympio. Depuis, Faure Gnassingbé est habitué à le voir avec l’une de ces deux « acolytesses ». Elles sont naturellement les fidèles des fidèles. Après, c’est Jean Luc Homawoo. Gil les appelle les Homawoo. « Celui de la Haac » et « Celui de la Ceni » et « le coadjuteur », l’agitateur disons, quand il veut donner une précision. Il y a trois Homawoo, Jean Luc, Jean Pierre et Jean Claude, tous à l’Ufc. L’un à la Ceni (Commission électorale nationale indépendante), l’autre à la Haac (Haute Autorité de l’audiovisuel et de la communication) et le troisième mène la jeunesse du parti. Pour Gilchrist, il y a « l’idiot » à la Haac, « le goujat » à la Ceni et « le borné » était au Conseil d’administration de la Régie des Eaux. Drôle manière de désigner ses collaborateurs.

C’est à Jean Luc qu’il a confié sa nouvelle stratégie. Tâter les pools. Depuis, « le borné » se borne à crier que le parti soutiendra Faure Gnassingbé à la présidentielle et malgré la colère des autres membres du bureau national, le président national se contente de dire, « laissez-le raconter sa vie » comme il l’a souvent fait quand il envoie l’un d’entre eux en mission. L’objectif de Gilchrist est de pouvoir monnayer là encore son soutien, contre quelques milliards, sa dernière bataille. Et quand les services de Faure lui font un compte rendu, il en sourit, « il vaut trois députés et trois députés ne font pas un président de la République« . Sauf que, fourvoyé sur la scène politique depuis la débâcle électorale de 2013, Gilchrist n’aura pas un autre choix, même s’il fait semblant de faire croire à Ohin qu’il sera le prochain candidat. Imaginez-vous qu’il a évoqué un jour la dissolution de l’Ufc en faveur de Unir, c’était à la veille de la création du parti présidentiel, ses lieutenants s’étaient farouchement opposés. Même ses derniers jours, il les passe dans le passe-passe comme si quand on est de là-bas, on ne peut qu’être « malin ». Regardez la direction de mon regard ! Sourire ? Non rire aux éclats.

MAX SAVI Carmel

avec l’aide  http://afrikaexpress.info
 

 

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