Homme au discours dérangeant. Haï et aimé, rejeté et recueilli, vomi et ravalé, ce diable a conquis le cœur de ses ennemis. Embastillé seul, plusieurs millions d’autres en liberté se sentent en prison avec lui. Cet homme qui force admiration même dans les cercles les plus insoupçonnés sera en procès le 28 Janvier. Le procès d’un insoumis. Vitrine.
Victime de son insoumission
“Gbagbo serait en prison parce qu’il a perdu les élections et aurait refusé de quitter le pouvoir. ” C’est la version les impérialistes et de leurs laquais. Sur ce, quel sens donner à l’embastillement du président Laurent Gbagbo? Des voix diverses répondent. De leurs réponses, on comprend ce qui se cache derrière le maintien du président Ivoirien Gbagbo en prison.
“Laurent Gbagbo-corps physique, est en otage parce qu’il s’est montré peu docile,” dit Bernard Belin Dadié, romancier, dramaturge, et poète prolifique, ex-administrateur et ministre de la Culture dans le gouvernement de la Côte d’Ivoire de 1977 à 1986. Selon l’ancien Président sud-Africain Thabo Mbeki,“Le Président Gbagbo est victime d’un système mondial qui, tout en criant haut et fort les droits universels de l’homme, ne cherche qu’à perpétuer dans son seul intérêt, la domination du plus grand nombre par quelques-uns qui disposent de la prépondérance du pouvoir politique, économique, militaire et médiatique.” Mbeki poursuit en exposant l’implication des puissances dans la déstabilisation des pouvoirs Africains. “Combien de violations flagrantes du pouvoir, l’Afrique et le reste des pays en développement devront-ils encore subir avant que la vision d’un système démocratique de la gouvernance mondiale ne se réalise?” Question phare aux Ivoiriens et Africains.
Selon Gildas Le Lidec, ex-ambassadeur de France en Côte d’Ivoire entre 2002-2005, “Gbagbo a fait peur” à l’occident sûrement à cause de ses idées souverainistes et de sa politique économique. En estimant qu’il n’y avait pas de raison que les occidentaux prennent peur face à un homme qui n’avait que les intérêts de son peuple à défendre, il croit comme beaucoup, qu’ “il n’y a pas de raison qu’il soit à La Haye.” Après ces déclarations qui dédouanent Gbagbo, il poursuit, “si quelqu’un comme Laurent Gbagbo est, à cause de ce qu’il a fait devant la CPI de La Haye, à mon avis …beaucoup de chefs d’Etat Européens doivent y être. Pourquoi pas mettre Sarkozy compte tenu de beaucoup de choses qui se sont passées ou Berlusconi.” En passant, il décoche une flèche sur cette cour de justice raciste avec une négresse, esclave de maison aux commandes. “Pourquoi c’est réservé aux Noirs et pas aux Blancs?”
Des faits soutiennent ces arguments de Le Lidec. François Mattei, dans son livre Côte d’Ivoire: Révélation sur un scandale Français, révèle que Jean-Marc Simon, ambassadeur de France en Côte d’Ivoire à l’époque des fait, “a conduit l’assaut de la résidence de Gbagbo que l’armée rebelle ne parvenait pas à faire tomber.” Acte criminel qu’il considère “comme un haut fait de sa carrière.” Cette chasse à l’homme pour des élections supposées apporter la paix et la démocratie en Côte d’Ivoire a été décrite par cet ambassadeur-barbouzard comme une partie de corrida. “On a d’abord bien fatigué la bête, par des pressions politiques, économiques, puis militaires, pour la mise à mort… l’estocade, ” a-t-il dit.
Ce n’est pas tout. Il dénonce ses complices. “Je passais mon temps au téléphone avec le com’zone Koné Zakaria, avec Guillaume Soro, avec Ouattara, et avec l’Elysée, pour diriger les opérations.” Dans ses hauts faits de guerre pour une élection dans un pays qui n’est pas le sien, Jean-Marc Simon poursuit, ironique, “pendant que nous les bombardions, on entendait là-dedans des salves d’Alléluias, de chants et de prières. Ils croyaient sans doute que le ciel allait venir les sauver… alors qu’il leur tombait sur la tête.”
Avant lui, Alain Juppé en Août 2011, tout en parlant du rôle que la France a joué dans le désastre Libyen, fit une révélation sur le coup d’état perpétré contre le président Laurent Gbagbo en Côte d’ivoire, quatre mois plutôt. “Les insurgés n’auraient pas pu entrer à Tripoli sans l’aide des militaires Français. Le France a pris des risques en Libye, comme elle en avait pris en Côte d’Ivoire,” confessa le chef de la diplomatie Française. Par cette déclaration, Alain Juppé avouait, enfin, que c’est la France qui avait renversé par un coup d’état militaire, le Président Laurent Gbagbo, le 11 Avril 2011.
Un discours qui dérange
Tout ceci prouve d’une part que Gbagbo se trouve à la CPI non pas parce qu’il a perdu les élections et aurait tué ses concitoyens comme on le lui prête. Il y est pour des raisons politiques. Les prises de position politique de Gbagbo le démontrent aisément. A plusieurs occasions et à des tribunes différentes, l’ex-président Ivoirien a lui-même clamé haut et fort l’objet de son combat qui lui vaut aujourd’hui sa déportation. Il disait, “Je veux une Côte d’Ivoire ouverte aux autres, pas une Côte d’Ivoire à qui l’on donne des ordres. Des conseils, oui. Des ordres, jamais. Ce pays n’est pas re-colonisable. Nous n’avons pas peur d’être libres.” A ces propos qui constituent un crime de lèse-majesté pour les puissants de ce monde, il a ajouté: “J’ai choisi d’être acteur de l’histoire de la Côte d’Ivoire et de ne pas être une marionnette.” Une gifle aux colons et à leurs agents.
Il ne s’arrête pas là. Lors de l’audience de confirmation des charges de la CPI le 5 Décembre 2011, alors que tout le monde attendait qu’il se renie, il exprima une fois de plus sa conviction profonde pour le respect des institutions et des textes qui régissent une nation. “Bâtir des institutions fortes en Afrique, telle est ma conviction. Et la démocratie que nous voulons, c’est le respect des textes, à commencer par la plus grande des normes en droit qui est la Constitution. Qui ne respecte pas la Constitution n’est pas un démocrate .” Sur ce, il apporta un faisceau de lumière sur les raisons de sa détention à la CPI. “Je suis ici parce que j’ai respecté la Constitution de mon pays.”
Aux Africains qui s’attachent les services de l’occident pour déstabiliser leur pays afin de s’emparer le pouvoir, il donna cette instruction; “Je souhaite que tous les Africains comprennent que le salut pour les Etats Africains, c’est le respect des Constitutions que nous nous donnons et les lois qui en découlent.” Par ricochet, “celui qui respecte la Constitution de son pays, mais qui piétine la Constitution des autres pays,” comme l’ont fait la France et les Etats Unis en Côte d’Ivoire, “n’est pas un démocrate.” L’on ne peut être un démocrate en France et se comporter en potentat en Afrique.
Sur ces faits, l’arrestation et l’emprisonnement du Woody Gbagbo, ne sont ni plus ni moins que “l’art de vaincre sans avoir raison,” qui est le propre de la France. Mais pour combien de temps encore?
La Haye, haut lieu de pèlerinage
La déportation du Président Laurent Gbagbo qui, selon les intellectuels(?) coloniaux occidentaux–et Africains à la solde du capital–, mettrait fin aux revendications de souveraineté de ses compatriotes a produit l’effet contraire. Dès son kidnapping, Jean-Marc Simon, ambassadeur de France, Choi, représentant des Nations Unies en Côte d’Ivoire, deux des trois artificiers du conflit Ivoirien en plus de Philip Carter III, ambassadeur des Etats Unis, avaient annoncé au monde entier, via les journalistes que le président Gbagbo était fini.
Une fois l’onde émotionnelle évacuée, les Ivoiriens, soutenus par les panafricanistes, avaient repris leur destin en main pour la libération de Gbagbo et la reconquête de leur souveraineté. Pour ce faire, ils ont bravé les arrestations, les jugements extra-judiciaires, les emprisonnements dans des prisons privées, les assassinats et les crimes d’une violence inouïe. Sous cette impulsion, l’ex-président Ivoirien est cinq ans plus tard, selon les analystes politiques non-corrompus, la clef maîtresse de la réconciliation dans son pays.
Ceci est perceptible même dans le camp Ouattara. Le quotidien Ivoirien Soir Info, aligné sur la politique dictatoriale de l’autocrate Alassane Ouattara est convaincu que Gbagbo est la plaque tournante de la politique Ivoirienne. Il écrit “Laurent Gbagbo, faiseur de roi? Comment Gbagbo est sollicité. L’effet boomerang ou quand La Haye devient la plaque tournante de la politique Ivoirienne. La CPI est devenue un lieu de pèlerinage depuis que Gbagbo y a été déporté.” Il n’a pas tort. En prison, Laurent Gbagbo reçoit régulièrement. “Les intellectuels et les hommes politiques d’envergure y affluent tous les jours pour le rencontrer”; affirme Idriss Ouattara, Secrétaire général de la Coalition des Patriotes Ivoiriens en Exil (Copie). Ceci fait dire à Amara Essy, diplomate discret, que ce Gbagbo “est l’un des hommes les mieux informés de Côte d’Ivoire, et dans son esprit, c’est comme s’il était à Abidjan.”
Sur ce même refrain, le politologue Michel Galy analysant “Le pèlerinage à La Haye,” note que Gbagbo est “l’épicentre de la vie politique Ivoirienne, et à tout le moins ‘faiseur de Roi.’” Ce recours au président Gbagbo s’expliquerait par l’absence du jeu politique intérieur.
Ces faits s’entremêlant, Konan Kouadio Bertin, député de la coalition politique au pouvoir, a affirmé sans ambages que “Gbagbo est incontournable” en Côte d’Ivoire. Mamadou Koulibaly, ancien président de l’Assemblée nationale et soutien obscur au régime Ouattara, qui a contesté la réélection du président Gbagbo en 2010, sans jamais apporter les preuves de ce qu’il affirme, estime que “même incarcéré, Gbagbo peut influencer et nul ne l’ignore” le jeu politique dans son pays.
L’ex-ministre Ivoirienne Ohouochi Clotilde Yapi, chargée de la solidarité, voit dans le ballet des personnalités Africaines et étrangères à La Haye, un “effet boomerang” qui a fait que “La Haye devienne la plaque tournante de la politique Ivoirienne [et]le centre névralgique où se prennent les plus grandes décisions concernant la marche de la Nation.” Elle conclue donc que “Le ballet diplomatique exécuté par des personnalités politiques Ivoiriennes et Africaines de premier plan, … démontre clairement le rôle central et la place prépondérante qu’occupe, bien qu’embastillé et emmuré à Scheveningen, le président Laurent Gbagbo sur l’échiquier politique Ivoirien.”
Beaucoup l’ont souvent clamé, Gbagbo est un esprit. Un esprit bienfaisant comme l’écrit MagMonde. “Les Pays-Bas, Abidjan, Paris, La Haye, cette route est devenue celle d’un étonnant pèlerinage de candidats en quête de la bénédiction de Gbagbo qui est considéré comme un diable par le pouvoir en place.” Au plan national, surtout dans les rangs de l’opposition Ivoirienne, on a vu défilé à La Haye des politiques comme Konan Kouadio Bertin, Charles Konan Banny, Essy Amara, Laurent Dona Fologo, et bien d’autres, qui ont eu des réunions informelles de travail avec le président Laurent Gbagbo.
Le Woody est donc, comme écrit Marie Pierre Fargaux, “ le socle de la vraie réconciliation” en Côte d’Ivoire.
Esprit des nouvelles générations
Gbagbo n’est pas simplement le point de repère et le modèle d’inspiration des politiques. Il est le creuset de l’émancipation historique de la nouvelle génération consciente des Africains. Après son kidnapping par les forces spéciales Françaises le 11 Avril 2011, on a“ vu tout une génération se re-politiser, et se mettre en position de combat contre le coup d’état franco-onusien parce que chaque génération, ici et là-bas, connaît un évènement majeur qui la réveille et la mobilise”; écrit Michel Galy, professeur de géopolitique des universités Françaises, en hommage aux panafricanistes à l’occasion du quatrième anniversaire du renversement de “Gbagbo, dernier panafricaniste Africain”–pour reprendre l’expression du polémiste franco-Sénégalais Kemi Seba. De cette mobilisation, l’historien et égyptologue Coovi Gomez a perçu l’éveil de “tout un continent se mettre en mouvement derrière lui.” Ce rassemblement spectaculaire a “marqué une véritable rupture par rapport à la farce qu’a constitué le processus prétendument de la décolonisation.” Analyse Albert Bourgi, professeur de sciences politiques, disséquant les aspects coloniaux et néocoloniaux de coup d’état.
Ainsi donc, en enfermant le Président Gbagbo, “ ils ont libéré des millions d’autres Africains des chaines de la peur et du silence.” écrit Farida Nabourema, Togolaise de 26 ans, qui poursuit, “depuis ma naissance, je n’ai vu aucun dirigeant d’Afrique mobiliser les Africains de tous les coins du monde comme vous le faites…Et personne n’a unie l’Afrique des esclaves de France autant que vous Président Gbagbo.”
Effectivement, lors du quatrième anniversaire de la capturation –selon le dictionnaire Kandia Camara–du président Gbagbo, au moins 20 pays s’étaient mobilisés pour une marche à Paris. Ce rassemblement en soutien au Woody et pour la défense des constitutions Africaines qui comptait la jeunesse de tous les horizons, était un message sans ambiguïté adressé à la France et à tous ceux qui veulent choisir pour les Africains leur président.
L’effet Gbagbo est vraiment sans frontières. Hervé Philippe, un jeune Haïtien, puisse dans l’histoire et les symboles de son pays pour montrer la complicité existant entre les nouvelles générations et le président Gbagbo. “Sur nos armoiries haïtiennes” écrit-il, “y figure un arbre palmiste qui représente la robustesse car son tronc est d’une dureté inégalée et la grandeur par sa hauteur. ” Faisant un parallèle avec le président Ivoirien Gbagbo, il révèle: “Tu es le palmiste de l’Afrique! Ils s’en rendent compte aujourd’hui.” Poursuivant, il rappelle une thèse défendue par l’Africaniste Gbagbo: l’union. Et mentionne, “Tu n’as cessé de prôner l’union des Etats africains qui vont toujours en rangs dispersés à la défense de leur souveraineté. Ils comprennent tes paroles aujourd’hui.”
Tous jugés avec Gbagbo
Certainement que les adversaires et les admirateurs du Woody comprennent le sens de ses propos aujourd’hui. Ceci pourrait expliquer la prise de position de la Conférence des anciens chefs d’Etat Africains qui ont sommé Bensouda à libérer ce souverainiste. Ils ont appris grâce à Gbagbo “ à avoir un même langage et une même foi dont aucune machine ni aucun procès ne peut arrêter.”
Farida Nabourema Etablissant un pont entre le président Gbagbo, les Africains, et le procès inique qui s’ouvre à La Haye, rappelle que le président Gbagbo à la barre n’est que le représentant de tous les opprimés dans le monde. “ Sachez président Laurent Gbagbo que le 28 Janvier prochain n’est pas la date de votre procès à vous mais plutôt celle de tous les millions d’Africains qui savent que vous êtes l’incarnation d’une Afrique qui se veut libre. C’est nous tous, qui seront jugés à la Haye et vous n’êtes que notre représentant.”
Ainsi donc, le cas Gbagbo. La nouvelle égérie de la lutte pour la souveraineté Africaine “a sensibilisé beaucoup d’Africains… qui sont tous Gbagbo,” comme l’affirme Maître Habiba Touré, à prendre en main leur destin et protéger leur constitution contre les violations interne et externe.
On comprend donc que Laurent Gbagbo que la CPI tient à juger “transcende le Front Populaire Ivoirien, transcende la Côte d’Ivoire. Il appartient à l’Afrique et au monde. Et nombre d’Africains et panafricanistes le montre au quotidien qui par des lettres, qui par des déclarations, … des livres ou des documentaires.
Banny, Bensouda et les Juges
L’ex-président Ivoirien est de ce fait, comme une chenille qui meurt pour devenir un papillon plus resplendissant. Charles Konan Banny, ex-gouverneur de BCEAO, ancien premier ministre, allié de Ouattara, et président de la Commission Vérité Réconciliation sous le régime autocrate de ce dernier a la formule qui sied: “Qu’on le veuille ou non, Laurent Gbagbo, qui n’a pas fini d’écrire son histoire, est une icône en Côte d’Ivoire. On ne peut pas nier son influence et la réconciliation ne peut pas se faire sans lui.” Le nier serait suicidaire.
A Bensouda et aux juges de la CPI de comprendre cette vérité immuable.
Dr. Feumba Samen
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