Huit mois après avoir été débarrassé de Laurent Gbagbo, le président ivoirien vient « remercier » Nicolas Sarkozy à Paris.
Par Armin Arefi
« La paix est revenue en Côte d’Ivoire. » C’est par ces mots que le président ivoirien Alassane Ouattara a lancé vendredi, au siège du Medef, un vibrant appel aux chefs d’entreprise français afin qu’ils s’associent à ce qu’il nomme la « renaissance » de son pays. Au coeur de la crise ivoirienne, déclenchée en décembre 2010 par le refus du président sortant Laurent Gbagbo de reconnaître sa défaite à la présidentielle, nombreuses sont les PME françaises à avoir fui les violences entre les deux camps, qui ont fait 3 000 morts. Aujourd’hui, elles auraient tort de renoncer à l’attractivité de la Côte d’Ivoire, première puissance économique d’Afrique de l’Ouest francophone, avec une croissance prévue de 8,5 % en 2012.
Mais huit mois après que les forces françaises de la Licorne ont délogé, sous l’égide de l’ONU, l’ex-président du pouvoir, le séjour parisien d’Alassane Ouattara ne prend-il pas un tout autre sens ? D’ailleurs, accueilli en grande pompe à Paris par son « ami » Nicolas Sarkozy à l’occasion d’une visite de trois jours, le nouveau président ivoirien a tenu à « remercier » la France pour son intervention militaire, estimant qu’elle avait permis d’éviter en Côte d’Ivoire « un génocide pire qu’au Rwanda ». À l’issue de ce discours, les deux présidents, amis de longue date, ont conclu un important accord de coopération militaire.
« C’est un accord qui montre que la France est aux côtés de la Côte d’Ivoire dans sa quête de sécurité et que l’armée française n’a pas vocation à s’ingérer, ni de près ni de loin, dans les affaires de la Côte d’Ivoire », a précisé Nicolas Sarkozy, seul chef d’État occidental à assister à l’investiture d’Alassane Ouattara en mai 2011. Interrogé par le Point.fr, le ministre ivoirien de l’Économie et des Finances, Charles Koffi Diby, a insisté sur la « transparence » du nouvel accord, rompant selon lui avec les secrets du passé.
« Sorciers blancs »
« Les accords de défense signés hier par les deux présidents feront l’objet de publications et seront adoptés par deux assemblées nationales et vous lirez le contenu », a-t-il expliqué. En vertu de l’accord, des militaires français resteront présents sur la base de Port-Bouët. D’autre part, la force française Licorne, qui a atteint jusqu’à 2 000 soldats pendant la crise de 2010, n’en comptera à terme que 250 à 300, exclusivement chargés de la formation des nouvelles forces de sécurité ivoiriennes.
Pourtant, selon le politologue spécialiste de la Côte d’Ivoire, Michel Galy (1), il ne faut nullement voir dans ces chiffres une baisse des contingents français. « On l’a vu en avril : en à peine quelques jours, des milliers de soldats français surarmés peuvent surgir. La Côte d’Ivoire reste le seul pays d’Afrique où la France garde une base permanente, contrairement à ce que prévoit le Livre blanc de la défense ». En effet, en dépit des apparences, l’ancien directeur adjoint du FMI est aujourd’hui entouré par de nombreux « sorciers blancs », solidement implantés dans la présidence : sécurité, budget, infrastructures, peu de secteurs leur échappent, comme le prouve la présence du surpuissant homme de l’ombre Philippe Serey-Eiffel, en charge des grands chantiers, ou de l’ex-militaire français Claude Réglat, désormais titulaire du grade de général à la présidence ivoirienne.
Dès lors, Alassane Ouattara serait-il vraiment le « président des Français », comme aime à l’appeler le camp Gbagbo ? Présent en Côte d’Ivoire durant le scrutin présidentiel de novembre 2010, Michel Galy relève des « fraudes massives » dans le nord du pays. « L’opinion publique n’était informée que par la télévision et la radio rebelle qui l’influençaient. Ainsi, l’expert dénonce les suffrages relativement élevés (de 90 % à 100 %) parfois enregistrés par Alassane Ouattara dans le Nord. Surtout que, s’il est normal que Gbagbo n’ait pas obtenu de voix dans le Nord, ce n’est pas le cas de l’ex-président Henri Konan Bédié, qui y bénéficiait, lui, de larges soutiens.
Promesse de Sarkozy
« On peut raisonnablement créditer Alassane Ouattara de 45 % des voix », estime Philippe Hugon (2), directeur de recherche à l’Institut des relations internationales et stratégiques. « Il y a donc une population qui soutenait Gbagbo et qui se tait, pour l’instant. » Des cas de fraude qui se seraient encore reproduits en faveur des Ouattaristes, à l’occasion des élections législatives de décembre, que les pro-Gbagbo ont préféré boycotter. Ces derniers ont d’ailleurs vu dimanche leur rassemblement à Abidjan être émaillé de violences, faisant un mort. Une insécurité qui ravage toujours le pays en 2012.
« Ce qui s’est produit à Abidjan est regrettable », affirme au Point.fr Ibrahim Ouattara, frère du président et directeur financier de la présidence. « Le président avait autorisé ce meeting, mais des personnes extérieures ont été choquées par les propos tenus par les animateurs, et cela a dégénéré. » Le processus de réconciliation nationale engagé à la chute de Gbagbo ferait-il illusion ? « Le président a promis que toutes les personnes qui se sont rendues coupables d’exactions, quel que soit leur camp, feront l’objet de poursuites », assure Ibrahim Ouattara. « Ce processus prendra du temps, mais il se réalisera. »
« Il existe chez les partisans de Laurent Gbagbo une impression de deux poids deux mesures les concernant », juge Philippe Hugon. « La commission de réconciliation est perçue comme partiale. Seuls ont été arrêtés des pro-Gbagbo. » Un climat de suspicion renforcé par l’envoi de l’ex-président ivoirien à la CPI, dont le président, Luis Moreno Ocampo, est réputé comme proche d’Alassane Ouattara. Pendant ce temps, l’impunité est de mise chez les ex-Forces nouvelles, aujourd’hui Forces républicaines, proches du nouveau Premier ministre Guillaume Sorro. Pourtant, elles se sont rendues coupables d’exactions dans l’ouest du pays. Pour Philippe Hugon, « ce constat renforce le sentiment, chez un certain nombre de pro-Gbagbo, qu’Alassane Ouattara a pris le pouvoir par les armes et non par les urnes ».
La promesse de Nicolas Sarkozy, lors de son accès au pouvoir en 2007, de mettre définitivement fin à la Françafrique, serait-elle restée lettre morte ? « Non seulement le président français n’a pas rompu avec cette pratique, mais l’intervention militaire d’avril dernier est l’illustration de ce qu’il y a de pire dans la Françafrique. Un pouvoir bicéphale. Un lien politico-économique, étroit et incestueux, entre deux présidents et deux régimes. » Ainsi, le spécialiste dit s’attendre en remerciement à « d’importantes concessions pétrolières » à la France, dans le seul secteur qui lui échappait jusqu’ici dans le pays.
« Évidemment, il existe parfois des relations privilégiées entre Abidjan et certaines cellules de l’Élysée », reconnaît de son côté Philippe Hugon. « Mais le monde a changé. Et il est beaucoup moins occulte que par le passé. »
Le Point