On est dans une situation type Argentine-FMI à la fin des années 1990, où le prêteur exerce une forte pression sur …
Pour ceux qui souhaitent comprendre la dernière décision de la BCE contre la Grèce, un article assez intéressant de Le Monde diplomatique. C’est aussi plus ou moins l’avenir du Franc des Colonies Françaises d’Afrique (CFA) qui se joue. Privatisations, Plan d’ajustement structurel [PAS], tout le cocktail de la misère s’y retrouve…« Même l’économiste Milton Friedman, avant son décès, n’osait plus se tenir aussi droit dans ses bottes. »
BCE, enquête dans le temple de l’euro
Jeudi 5 février 2015. La Banque centrale européenne (BCE) a suspendu le régime de faveur accordé jusqu’ici aux banques grecques, qui leur permettait de lui emprunter de l’argent avec des garanties inférieures à ses exigences habituelles. Cette décision intervient après que le nouveau gouvernement d’Alexis Tsipras a déclaré vouloir rompre les liens avec la Troïka, le groupe formé par la BCE, la Commission européenne et le FMI et qui négocie le « plan de sauvetage » de la Grèce. L’institution envoie ainsi un message clair : Athènes doit, en substance, abandonner son programme de lutte contre l’austérité sous peine de voir ses banques asphyxiées… Indépendante des délibérations démocratiques, la BCE a vu la crise économique renforcer son pouvoir ; en novembre 2011, François Ruffin et Antoine Dumini en exploraient les coulisses.
La Banque centrale, actrice et arbitre de la débâcle financière
Enquête dans le temple de l’euro
Indépendante des délibérations démocratiques, la Banque centrale européenne devait incarner la stabilité monétaire. Elle a conduit la zone euro au bord de l’éclatement. Pourtant, la crise a renforcé son pouvoir au point que le sort des salariés du Vieux Continent semble parfois se jouer à Francfort.
Par Antoine Dumini et François Ruffin, novembre 2011
Au premier étage de la Banque centrale européenne (BCE), lors de sa dernière conférence de presse à Francfort, M. Jean-Claude Trichet entonne — en anglais — son couplet sur les « réformes structurelles ». Il le récite par cœur, sans doute : il y a huit ans, déjà, lors de sa première intervention en tant que président de la BCE devant les médias, il plaidait pour des « réformes structurelles sur le marché du travail ». Cette rengaine n’a (presque) rien de personnel. Son prédécesseur, M. Wim Duisenberg, la psalmodiait déjà chaque mois. Et ce dès le lancement de l’euro…
Mais ce jeudi 8 septembre 2011, la ritournelle se fait plus précise — malgré un langage parfois abscons : « Nous devons aller vers l’élimination des clauses d’indexation automatique des salaires et un renforcement des accords entreprise par entreprise, de manière à ce que les salaires et les conditions de travail puissent s’adapter aux besoins spécifiques des entreprises. Ces mesures doivent s’accompagner de réformes structurelles, en particulier dans les services — dont la libéralisation des professions fermées —, et, quand c’est approprié, de la privatisation de services aujourd’hui fournis par le secteur public, de manière à faciliter les gains de productivité et à soutenir la compétitivité. »
« On se croirait au Politburo de l’Union soviétique quelques mois avant sa chute, chuchote le député Vert européen Pascal Canfin, présent dans l’assistance. C’est la répétition d’un même discours, du même jargon, déconnecté de la réalité. » Le vice-président de la commission spéciale sur la crise financière, économique et sociale au Parlement de Strasbourg poursuit : « Il s’agit d’un projet idéologique, sans rapport avec les causes de la crise. Je ne vois pas en quoi flexibiliser le marché du travail, casser les services publics ou faire primer les accords d’entreprise sur le droit du travail répondrait à la déréglementation financière. Les dirigeants de la BCE déroulent le programme du Fonds monétaire international (FMI), avec ses plans d’ajustement structurel, lesquels ont largement échoué. Mais peu importe, on recommence. »
Eternel discours… Rien de neuf sous le soleil de Francfort, donc ? Si. Mais pas dans les mots, dans les faits. Car la BCE dispose désormais des moyens de transformer ses idées en réalité, bien au-delà de la politique monétaire. Ses experts — aux côtés des autres missionnaires de la bien-aimée « troïka », ceux du FMI et de la Commission européenne — s’imposent comme des gouvernements bis à Athènes, Dublin, Lisbonne. Ils mettent les ministères sous tutelle, énoncent leur « quinze commandements » : étendre le chômage technique, réduire les retraites agricoles, diminuer les dépenses publiques, etc. Jusqu’à cette lettre, adressée par M. Trichet et son successeur, M. Mario Draghi, au président du conseil italien, M. Silvio Berlusconi, dans laquelle, selon Le Figaro, « la BCE demande de rendre plus flexibles les procédures de licenciement » mais aussi « de privilégier les accords au sein des entreprises aux conventions sectorielles négociées à l’échelon national », de « privatiser les sociétés municipales (transports publics, voirie, fourniture d’électricité) ». Pour marquer leur préoccupation démocratique, les deux banquiers centraux recommandaient « de procéder par décret, d’application immédiate, et non par projet de loi, que le Parlement met toujours du temps à approuver ». « La BCE met de facto l’Italie sous tutelle », titrait le quotidien français — tandis que l’ancien commissaire européen Mario Monti dénonçait un « podestat étranger » (1).
Il ne s’agit plus ici de « conseils », même appuyés, ni d’un simple « message » — comme le prétendent les dirigeants de la Banque, en professionnels des euphémismes. Mais peut-on, pour autant, parler d’« ordres » ou de « diktats » ? Ce sont, plus exactement, des conditions.
« Jusqu’ici, la BCE n’avait aucun pouvoir pour peser véritablement, analyse Clément Fontan, chercheur en science politique. En gros, la banque parlait, les dirigeants politiques l’écoutaient d’une oreille plus ou moins distraite, en se disant : “Bon, c’est normal, c’est la BCE, ils sont conservateurs, on les écoute, on leur fait plaisir.” Arrive la crise : des pays de la zone euro sont attaqués par les marchés financiers. Au début, la BCE refuse de les aider, arc-boutée sur son dogme d’indépendance et de non-intervention. Devant la pression des gouvernements et des banques, dans la panique générale des marchés, elle cède finalement. » Elle se voit donc contrainte de racheter les bons du Trésor des Etats en difficulté. Mais elle pose ses conditions : les pays concernés vont être obligés d’appliquer les « réformes structurelles » que la BCE a toujours prônées. « On est dans une situation type Argentine-FMI à la fin des années 1990, où le prêteur exerce une forte pression sur l’emprunteur pour être sûr qu’il applique les réformes considérées comme “bonnes et nécessaires”. Finalement, la crise a été une fenêtre d’opportunité pour la BCE », conclut Fontan.
« Fenêtre d’opportunité » : l’expression revient chez les observateurs de la banque centrale. Et tous, même les plus critiques, voient en M. Trichet « un grand politique ». Ses opposants le désignent d’ailleurs comme « le seul vrai dirigeant européen » : il a su saisir cette « opportunité », se glisser dans cette « fenêtre » ouverte par l’histoire, pour étendre son pouvoir personnel et celui de son institution.
Quand M. Trichet fait tinter sa clochette
On attend le grand argentier au sommet de l’Eurotower, avec vue panoramique sur les immeubles alentour — la Commerzbank Tower, la Dresdner Bank Tower, les tours jumelles de la Deutsche Bank —, dans cette capitale du capital allemand, la « cité des banques », aussi surnommée « Bankfurt ». Où la BCE ne s’est pas installée par hasard. C’est ici, derrière cette table ronde, dans cette salle du trente-sixième étage, que les dix-sept gouverneurs des banques centrales nationales — française, allemande, slovaque, etc. — se sont réunis ce matin et ont décidé de « maintenir les taux inchangés ». Le président s’assied sur le fauteuil qu’il quittera bientôt. Comme pour ouvrir un conseil, il fait résonner la clochette devant lui.
« Vous teniez tout à l’heure une conférence de presse, et vous avez réclamé des accords entreprise par entreprise, la privatisation de services publics, la flexibilité des salaires… C’est un vrai programme de gouvernement !, lui fait-on remarquer. Vous êtes candidat à la présidentielle ?
— Non, certainement pas, susurre M. Trichet. Ce sont simplement les moyens que mes collègues et moi-même croyons importants pour croître plus vite en Europe et créer plus d’emplois.
— Mais quand on parle de “réformes structurelles”, le relance-t-on, ça ressemble aux plans d’ajustement structurel du FMI dans les années 1980 : libéralisation, déréglementation… Ce programme n’a fonctionné ni en Amérique latine ni en Afrique. Pourquoi est-ce qu’il marcherait aujourd’hui en Grèce, en Espagne, en Italie, en France ? »
Loin de récuser le rapprochement, le président offre une argumentation pour le moins inattendue : les programmes du FMI auraient, au contraire, bien marché. « Quels sont les pays qui ont remarquablement résisté à la crise ?, objecte M. Trichet. Ce sont les pays émergents, ce sont les pays d’Amérique latine qui, grâce à leurs réformes structurelles, se sont retrouvés dans une situation de résistance beaucoup plus forte. Nous observons un remarquable comportement de l’Afrique. Il y a des réformes qui permettent aux forces productives de se libérer… » Même l’économiste Milton Friedman, avant son décès, n’osait plus se tenir aussi droit dans ses bottes. En 2003, le maître à penser des libéraux concédait, à propos de la crise argentine : « La responsabilité des hommes du Fonds monétaire est indéniable (2). » Et si ce pays s’en tire mieux aujourd’hui, c’est notamment parce qu’il s’est écarté des recommandations du FMI (3).
« Mais pourquoi, interroge-t-on encore M. Trichet, ne réclamez-vous pas un relèvement de l’impôt sur les sociétés — qui était de 50 % dans les années 1980, dont le taux affiché est aujourd’hui de 33,3 %, mais qui est en vérité de 7 % pour les entreprises du CAC 40 ?
— Il faut toujours voir l’intérêt supérieur, répond-il, un peu lassé par notre candeur. Si on a une taxation plus élevée des activités en France, qu’est-ce qui se passe ? Les investissements partent à l’étranger et on n’a pas d’emplois en France. La justice sociale est essentielle, mais ce n’est pas en taxant les sociétés plus que dans les autres pays, plus que dans les pays émergents, qu’on va avoir de l’emploi en France. » Et lui n’y peut rien si — heureux hasard — l’« intérêt supérieur » coïncide avec celui des classes supérieures…
Aussi est-ce par simple bon sens qu’il s’emportait sur Europe 1 le 20 février dernier : « Augmenter les salaires en Europe serait la dernière bêtise à faire » — tandis que la hausse des dividendes de 13 %, au même moment, dépassant les 40 milliards d’euros, ne soulevait pas sa juste colère. C’est par souci d’équité qu’il défendait, en 2006, malgré les protestations de la jeunesse, le contrat première embauche (CPE) du gouvernement Villepin (4) — et qu’il se fait partout en Europe le chantre de la « souplesse sur le marché du travail » — tandis que, pour les bonus, il juge « normal » qu’il y ait une part variable « plus importante lorsqu’on pratique des métiers terriblement volatils » (ah ! la « terrible » précarité des traders !). C’est son sens de la justice sociale qui le conduisait à soutenir le recul de l’âge de la retraite instauré en France, en Irlande, au Portugal, etc. — tandis qu’il n’estime « pas souhaitable » une taxe sur les transactions financières.
Mais de telles comparaisons relèvent d’une « grille entièrement politique », se plaint-il. Et notre dirigeant de protester : « Je ne suis pas un homme politique. » Lui revendique l’« apolitisme » de la BCE, institution placée au service des « dix-sept gouvernements, des trois cent trente-deux millions de citoyens, de toutes sensibilités ». D’ailleurs, insiste-t-il, « je ne souhaite pas qu’on m’interroge sur des sujets politiques ».
Si M. Trichet était resté conseiller de l’Elysée, après l’avoir été auprès de M. Valéry Giscard d’Estaing (en 1978), ou directeur du cabinet du ministère de l’économie et des privatisations, poste auquel l’avait nommé M. Edouard Balladur (en 1986), on le classerait volontiers à droite. Mais, élevé par son « indépendance », drapant ses verdicts des vertus de la « science », le discours de la BCE échappe le plus souvent à la critique publique. Jusqu’à la manifestation internationale contre le pouvoir de la finance, le 15 octobre dernier, qui vit le groupe Occuper Francfort rassembler plusieurs milliers de protestataires devant l’Eurotower, rares étaient les cortèges à défiler sous les fenêtres du 29 Kaiserstrasse. Comme l’énonce le sociologue Frédéric Lebaron, « la BCE a construit son invisibilité. Elle s’est placée dans une position d’expertise, au-dessus des partis et des Etats (5) ». Et son éloignement géographique, la complexité apparente — et entretenue — des sujets qu’elle traite la mettent à l’abri des citoyens.
C’est ainsi : les orientations monétaires — un euro fort, la lutte contre l’inflation — ne relevaient déjà plus de la politique. Voici que, à leur tour, les décisions budgétaires, fiscales, sociales rejoignent la monnaie entre les mains de techniciens, à Francfort notamment, qui effectuent ces choix en nous assurant justement que « nous n’avons pas le choix ».
M. Trichet doit pourtant affronter une « opposition ». Celle-ci ne vient pas des travailleurs ; elle est interne à la finance. Assemblés devant lui, les journalistes économiques portent le même uniforme que les traders, et ils n’importunent personne avec le taux de chômage au Portugal, les médicaments contre le diabète qui ne seront plus remboursés en Grèce, les pensions qui diminuent en Irlande, etc. Non, la question qui fâche le président, c’est l’envoyé du quotidien économique allemand Börsen-Zeitung qui la pose, le 8 septembre : en rachetant des obligations d’Etats en difficulté, la BCE ne troque-t-elle pas son statut d’« ancre de stabilité » pour celui de bad bank ? Le lendemain de cet échange, l’Allemand Jürgen Stark, économiste en chef de la BCE et porte-parole des orthodoxes, annonçait sa démission du directoire. En février dernier, M. Axel Weber avait déclaré qu’il quittait son poste de président de la Bundesbank (banque centrale allemande), et donc son siège au conseil des gouverneurs de la BCE, pour manifester son désaccord avec la stratégie — jugée laxiste — de l’institution de Francfort. Il refusait également de prendre la succession de M. Trichet, dont le mandat arrivait à terme le 31 octobre. Pour cocasse que cela puisse paraître, il est ainsi reproché au banquier central européen son manque… d’orthodoxie !
«Jusqu’à plus soif»
Un badge scanné et, au premier étage de l’Eurotower, s’ouvre devant nous la salle des marchés. Rien de prestigieux, un banal plateau avec une centaine d’ordinateurs. Derrière les claviers, des hommes en costume et des femmes en tailleur. Un téléviseur où défilent les cours de la Bourse. C’est ici que sont « organisés les octrois de crédit aux banques commerciales », explique M. Paul Mercier, conseiller principal aux opérations de marché. C’est ici — en clair — qu’on émet la monnaie en Europe. « Tous les mardis, nous avons une grosse adjudication de crédit. Le board [conseil des gouverneurs]décide combien on va mettre sur le marché. »
Et le responsable de préciser aussitôt : « Quoique… dans les circonstances actuelles, nous avons décidé de permettre aux banques de déterminer elles-mêmes combien elles veulent emprunter. Ce sont des mesures un peu spéciales que nous avons dû prendre à cause de la crise financière. » « En ce moment, renchérit M. Ivan Fréchard, expert des marchés de change, c’est assez simple : nous pourvoyons toutes les liquidités que les banques nous demandent. C’est la politique du full allotment. » Full allotment ? On pourrait traduire par « jusqu’à plus soif ». Car si, pour les Etats, les prêts se font sous conditions — et les plus rudes —, en ce qui concerne les banques, en revanche, le crédit s’écoule en libre-service.
MM. Trichet et Draghi n’ont adressé aucune lettre aux patrons de la Société générale, de HSBC, de BNP Paribas exigeant, puisque la BCE vole à leur secours, que leurs établissements se retirent des paradis fiscaux, cessent de spéculer sur les dettes souveraines, financent l’économie réelle. Nul « homme en noir » de la BCE n’est descendu au siège du Crédit agricole ou de la Commerzbank pour éplucher leurs comptes — avec la même ardeur que ceux du ministère de la santé à Athènes — et proférer des sommations avec une égale arrogance.
Assis sur un banc devant l’« euroboutique » — qui vend mouchoirs, parapluies, tasses, chocolats, etc. —, le député Canfin résume : « Pour sauver le système, la BCE a ouvert le robinet à liquidités. Mais le problème, c’est que le tuyau est percé : l’argent qui coule d’ici ne parvient pas dans l’économie réelle. Parce que, entre les deux, il y a les banques commerciales, qui préfèrent, aujourd’hui encore, la spéculation à l’investissement. Le rôle de la BCE, c’est de faire que l’eau coule dans la bonne direction — et depuis deux ans, ils n’ont pris aucune mesure pour ça. »
Ce parti pris de la Banque centrale européenne, le député Miguel Portas (Gauche unitaire européenne, GUE) l’observe en première ligne. « On a imposé un plan de sauvetage au Portugal. Mais sur les 78 milliards d’euros prêtés par la BCE, 54 partent directement aux créanciers. On nous a dit : “Priorité aux banques qui détiennent les dettes souveraines.” Et pour financer ça, on coupe dans les salaires — alors que le smic s’élève chez nous à 485 euros —, dans les pensions — alors que la retraite moyenne ne dépasse pas 300 euros. On a augmenté de 17, 18 et 20 % l’eau, le gaz et l’électricité. La TVA [taxe sur la valeur ajoutée]atteint maintenant 23 %. Et tout ça, pendant que le grand capital est complètement sauvegardé — au nom de la nécessité d’attirer les investisseurs. »
En Irlande, la BCE est sortie du bois. « Pendant les élections qui se sont déroulées au printemps, le Parti travailliste a répété le slogan “It will be Labour’s way, or Frankfurt’s way” [“Ce sera notre voie, ou la voie de Francfort”], raconte le député européen Paul Murphy (du groupe GUE également). Ils promettaient que les banques, les créanciers privés seraient mis à contribution — et pas seulement les citoyens. Mais la Banque centrale européenne a insisté pour qu’aucun créancier ne soit pénalisé. Et peu après le scrutin, la prétendue social-démocratie irlandaise, tout comme la social-démocratie à travers l’Europe, a capitulé. Elle fait des génuflexions devant les marchés, devant la BCE, devant la troïka. »
Pantouflage douillet
Dans sa communication, la Banque centrale européenne ne cesse de se prévaloir de son « indépendance ». Elle rappelle volontiers l’article 107 du traité de Maastricht : « Ni la BCE, ni une banque centrale nationale, ni un membre quelconque de leurs organes de décision ne peut solliciter ni accepter des instructions des institutions ou organes communautaires, des gouvernements, des Etats membres ou de tout autre organisme. » Une indépendance totale, donc, à l’égard du pouvoir politique. Le nouveau président de la BCE, M. Draghi, ne devrait pas plus effrayer le pouvoir financier que M. Trichet : il exerçait comme vice-président de la branche européenne de Goldman Sachs, chargé notamment des dettes souveraines au moment où la banque d’affaires maquillait les comptes de la Grèce.
M. Otmar Issing, économiste en chef de la BCE de 1998 à 2006 et père spirituel de l’euro, avait parcouru le chemin inverse, devenant conseiller international de Goldman Sachs. M. Weber, ancien président de la Bundesbank et représentant de l’Allemagne au conseil des gouverneurs de la BCE, a lui aussi fait son choix. Plutôt que de retourner à l’université, il a accepté la vice-présidence de la banque suisse UBS — soupçonnée de favoriser les évasions fiscales — contre 1,7 million d’euros et des stock-options.
Aucun des gardiens du temple de l’euro, en revanche, n’a pour l’instant décidé de rejoindre un syndicat français, allemand, italien. Cette « indépendance »-là est sauve.
Antoine Dumini et François Ruffin
Journalistes.