«La mort est un malheur prévu» Honoré De Balzac (Médecin de Campagne)
La nouvelle est tombée ce mardi matin du 23 mars 2021 comme un coup de massue. À cette période agitée de crise sanitaire liée au Coronavirus, ajoutée à l´éternel drame politique togolais, ce n´est pas forcément la nouvelle à laquelle on s´attend. Mais dame nature, étant indifférente à nos agendas d´humains, vient de nous réserver un sort assez cruel par cette disparition subite d´une amie, d´une soeur, d´une femme de valeur comme il y en a rarement de nos jours. Si nous nous référons à son engagement dans la lutte contre la dictature des Gnassingbé, et à son engagement tout court dans d´autres domaines sociaux pour les plus démunis et défavorisés, Fousséna Djagba aura été l´une des pièces maîtresses, sinon l´incommensurable pièce-maîtresse qui manquera aux combattants togolais de la liberté. Mais comme consolation, la vénérée disparue nous aura, par ses prises de position, par son courage, par sa générosité, par sa haine de l´injustice et de la dictature, montré la vraie voie pour sortir de l´ornière.
Qui était Fousséna Djagba?
L´histoire de Fousséna ne peut être comprise sans celle de son père Laurent Djagba. D´après le livre noir contre l´impunité au Togo publié par le Parti des Travailleurs du Togo, Laurent Djagba était greffier, syndicaliste et député du CUT (Comité de l´Unité Togolaise), arrêté avec d´autres anciens militants du CUT dans l´affaire du « complot du 8 août 1970 », et assassiné en détention au camp RIT dans la nuit du 31 décembre 1970 au 1er janvier 1971. Laurent Djagba laisse derrière une veuve et de nombreux enfants dont la benjamine Fousséna. Trop jeune à la mort de son géniteur dont elle n´a gardé aucun souvenir, éternellement poursuivie par un destin de rejeton d´une des nombreuses victimes de la tyrannie d´Éyadéma, c´est sans haine ni rancune qu´elle s´engage aux côtés du peuple togolais pour la lutte contre la pègre Gnassingbé.
Fousséna, que j´ai eu la chance de rencontrer physiquement lors de sa tournée en Allemagne en début du mois de juin 2018, était une personne agréable, simple, nullement imbue de sa personne. Que ce fût à Brême chez mon aîné Ali Akondoh, où nous dégustions à trois le véritable « watchi » (Ayi molou) togolais, ou en voiture sur l´autoroute qui nous amena à Hambourg, l´occasion m´était gratuitement offerte de vivre en direct et de jouir de la générosité d´une intelligente femme de fer qui nous manquera beaucoup. Il y a presque deux ans, lors de mon transit à l´aéroport d´Accra, elle insista pour que je loge chez elle. J´avais dû m´excuser et remettre à une autre fois, mais l´impitoyable destin vient de décider que cette autre fois sera sans Fousséna Djagba.
Voici ce que nous écrivions il y a de cela presque trois ans dans un article après la tournée en Allemagne de Fousséna Djagba:
«…Celle qui était inconnue des Togolais il y a peu, est apparue sur la scène politique dans la foulée des manifestations du 19 août 2017 organisées par le Parti National Panafricain (PNP),en se faisant remarquer par des prises de position courageuses en formes d´audios et de vidéos postés sur les réseaux sociaux. Le 28 octobre 2017 quand nos compatriotes résidant au Ghana se font arrêter pour manifestations non autorisées, Fousséna n´avait pas ménagé sa peine, et s´était démenée jusqu´à leur libération. Une femme hors du commun, une amazone venait de naître. À la voir, à l´entendre parler, on sait qu´on a en face quelqu´une qui n´est pas prête de s´arrêter à mi-chemin.»
Cette force de la nature qui avait de l´énergie à revendre a dû, le 22 mars 2021, terminer sa course en ce bas-monde au moment où personne ne s´y attendait. Est-ce vrai que le vaccin AstraZeneca a pu terrasser l´infatigable combattante? Est-ce vrai que le moucheron a réussi à mettre l´éléphant à terre ? Est-ce vrai que l´insignifiante piqûre a réussi, là où les tueurs professionnels de qui vous savez, rôdant aux alentours de la maison de l´illustre togolaise à Accra, ont échoué?
En tout cas, quelle que soit la forme du destin fatidique, la mort reste la mort, et elle vient d´arracher à nos coeurs l´une de nos valeureux compatriotes promise à un destin hors du commun. Parlant de destin, le géniteur de Fousséna, Laurent Djagba n´en avait pas eu un des plus enviables. Il fut brutalement arraché à sa famille par la dictature de Gnassingbé Éyadéma. Et puisque depuis plus de 50 ans le corps n´a jamais été remis à la famille, Fousséna nous confiera en aparté à Brême que sa maman nourrit jusqu´à ce jour le secret espoir que son mari Laurent Djagba serait encore en vie et croupirait quelque part dans une prison secrète au Togo, d´où il en ressortirait un jour après la libération. Le père ayant brutalement quitté ce monde en luttant pour la libération, sa fille ne verra pas non plus le jour de cette libération de son peuple pour laquelle elle s´est engagée. Cruel destin!
Fousséna, tu peux partir tranquille; nous mettrons en pratique tes conseils, nous ferons nôtres tes méthodes dénuées de toute violence, de toute haine, de toute idée de vengeance pour continuer la lutte sans toi et en pensant à toi.
Que la terre te soit légère!!!
Samari Tchadjobo
28 mars 2021
Allemagne