Le Colonel Ernest Gnassingbé, était le fils ainé du Général Eyadema. Il commandait le corps des commandos parachutistes du camp militaire de «Landja », le RPC, à Kara dans le nord du pays. Mille hommes puissamment armés et dotés d’armes modernes M16, HK, UZI, MP5. (Pistolets et fusils mitrailleurs d’origine allemande, américaine et israélienne). Un arsenal à faire pâlir l’armurerie du GIGN.
Personnage affable dans le civil, mais qui se muait en fauve sanguinaire, dès qu’il endossait le treillis. Ernest était décrié depuis toujours, par l’opinion publique et le landerneau médiatique comme l’un des plus meurtriers sbires du régime. Aucun officier fut-il supérieur à son grade ne pouvait le contredire même au temps où il était sous-lieutenant. Aucun membre de sa famille ne pouvait contester ses prises de positions au grand dam de son père qui assistait aux dérives d’un fils turbulent et amoral. Ernest faisait partie des nombreux rejetons du dictateur souffrant de lourds déficits intellectuels, obligeant leur père à recourir aux forces occultes censées améliorer les performances scolaires, et aux jugements supplétifs afin de proroger la durée de leurs études. Brocardé par les togolais le « chancelier du septentrion », le très redouté Ernest avait bien entendu, verrouillé le nord Togo aux partis d’oppositions.
Cet officier considérait comme une provocation tout meeting organisé dans son fief par des partis politiques autre que celui de son père le RPT,(Rassemblement du peuple togolais). Ernest s’est illustré pendant la période la plus répressive les années 1990 -93 par de graves violations des droits de l’homme, assassinats, enlèvements et séquestrations. Quand il apprend que Gilchrist Olympio, principal opposant, à l’intention d’enchainer une série de meetings dans le nord du pays, c’est une aubaine pour en finir avec les Olympio. Quelle gloire, quelle consécration de faire comme papa qui tua le père Sylvanus Olympio et premier Président du Togo, en 1963, en se débarrassant du fils, car les familles Gnassingbé et Olympio au Togo c’est comme dans la tragédie de William Shakespeare : « Roméo et Juliette » entre les Capulet et les Montaigu. Le leader de l’Unio de Forces du changement (UFC), conscient du danger prend tout de même le risque de s’aventurer dans le nord sur les terres de la famille Eyadema. Le 5 mai 1992 sur la route de Bafilo comme il fallait s’y attendre, le cortège de Gilchrist tombe dans une embuscade. Il sera pris sous le feu nourri d’armes automatiques et de grenades. Son véhicule est criblé de balles, des morts et de nombreux blessés sont à déplorer mais Gilchrist grièvement blessé, touché au poumon et à la hanche, est vivant. Son chauffeur à la bonne réaction, il prendra la fuite en direction de la frontière du Bénin toute proche. Échappant miraculeusement à cet attentat il recevra les premiers soins à Natitingou avant d’être évacué sur un vol spécial à Paris, puis opéré à l’hôpital du Val-de-grâce. Ernest est en rage et ne décolère pas lui qui voulait égaler son père a loupé son coup. Il fera pour la peine bastonner tous les membres du commando militaire. Ernest est mis en cause et désigné comme auteur et commanditaire de cette agression dans le rapport d’enquête d’une commission internationale sans aucune conséquence. Chacun sait que l’armée arc-boutée sur ces privilèges largement aux mains des officiers originaires du nord n’est pas prête de laisser le pouvoir. Chacun sait aussi que l’ordre constitutionnel qu’il faudrait « respecter » doit tout à Eyadema père : les députés, les élus, les juges, les administrateurs, etc. sont pour la plupart ses créatures, même les opposants qui ont été financés, cajolés, et exclus par le vieux dictateur, en dehors de Gilchrist Olympio, qui poursuit depuis quarante ans une vendetta personnelle et un travail de mémoire dédié à son père.
Ernest fait également le ménage au sein de sa propre famille pour peu qu’un de ces membres lui fasse de l’ombre. De source concordante, il aurait abattu par jalousie un de ses frères Atchalli Gnassingbé, brillant footballeur adulé par Eyadema. Cette rancune jamais pardonnée a été gardée latente par les nombreux frères et sœurs consanguins du jeune Atchali.
Au début des années 2000 Eyadema toujours au pouvoir est rongé par un cancer de la prostate. Ernest, droit d’ainesse oblige, pense être le fils le plus digne et seul successeur biologique de son père. Cet enfant terrible à l’origine, semblait être le dauphin désigné. Il avait déjà annoncé la couleur, pour calmer les ardeurs et les prétentions de ses deux frères rivaux les plus proches, Faure et Kpatcha Gnassingbé. Les enfants du président même père même mère sont rares en revanche les demi frères et les demi sœurs sont légions, pas loin d’une centaine s’il faut en croire les sources les plus généreuses. C’est vrai qu’en 38 ans de règne, Eyadema a eu le temps de se construire une solide légende sur sa virilité, que personne pour une fois ne saurait lui contester grâce aux dizaines de femmes qui se disputaient chaque soir les honneurs de sa couche.
En 2001 les illusions d’Ernest Gnassingbé vacillent. Il constate avec amertume l’émergence d’un demi-frère Faure Gnassingbé, plutôt calme et brillant. Il vient de terminer ses études en France et aux États-Unis et il est revenu prendre sa place auprès de son père qui lui confie la gestion du patrimoine familiale devenant ainsi le grand argentier du dictateur. Il gère la fortune de son père estimé à 4 ou 5 milliard de dollars placés sur des comptes bancaires en Suisse au Lichtenstein et au Luxembourg. Faure s’engage en politique et devient jeune député dans nord à Blitta. Eyadema demande à Ernest d’assurer la sécurité de son frère. Ernest pas du tout disposer à clouer la pancarte de favori dans le dos de celui qu’il pressant comme un sérieux rival, refuse. La tâche sera confié à un autre homme fort du moment, le chef d’état-major de l’armée de terre le colonel Koma Biténéwé.
La question de l’élimination physique d’Ernest se posait de plus en plus au fur et à mesure que l’état de santé du général Eyadema se dégradait.
La neutralisation du fils ainé apparaissait de plus en plus comme un impératif salutaire pour l’avenir du Togo. C’était aussi un cas de conscience malgré tout pour le Président togolais. La France, l’Allemagne sûr qu’Ernest sauterait sur le trône, une fois son père disparu avaient mis en garde le général sur les prétentions inacceptables de cet électron libre, violent, et fanatique. Personne, pas même la famille, ne voulait voir ce chien enragé s’emparer du pouvoir. La décision d’en finir avec le commandant du régiment le mieux équipé du Togo a été suggérée par les officines françaises de Lomé au Président togolais, qui accepta les conditions de la mise l’écart de son fils à condition qu’il restât vivant. En 2003 Ernest est frappé par un mal mystérieux, une de ces maladies africaines incurables avaient conclus, sorciers et guérisseurs moult fois consultés. Dame rumeur parlait d’un envoutement provoqué par un vieux bouvier Peul qu’Ernest avait humilié et battue à mort. Plus sérieusement le mystère de sa maladie était tout simplement dû à un empoisonnement perpétré par l’entourage du Président avec la complicité des services secrets français qui fournirent la substance chimique qui lobotomisa Ernest. Une fois le poison absorbé celui-ci provoqua d’inguérissables lésions neurologiques altérant gravement ses facultés intellectuelles et cognitives.
Le cerveau d’Ernest n’avait plus de lumière à tous les étages. On parla officiellement de rupture d’anévrisme ce qui d’ailleurs n’était pas faut. Tout était salopé à l’intérieur de sa tête, mais Ernest était vivant comme l’avait souhaité son père mais. On lui avait retiré ses griffes et son venin. RFI parla d’une bien étrange maladie et déclara : « cet exécuteur zélé des basses besognes au profit de son père, n’aura été stoppé que par des problèmes de santé survenus subitement en 2004. Une attaque restée mystérieuse qui le met définitivement en marge des affaires ».
Il existe aussi de petites capsules comportant de redoutables agents pathogènes mortels (bactériens et viraux), qui une fois ingérées ou inoculées déclenchent des maladies inguérissables, autre forme d’empoisonnement non plus chimique mais bactériologique.
Les laboratoires soviétiques savent également provoquer artificiellement des maladies auto-immunes très rares. De nos jours le FSB russe (ex KGB soviétique) utilise pour empoisonner journalistes et opposants, des substances hautement radio active comme le polonium 210.
Rattrapée par la deuxième épouse du seigneur de l’Olympe, Zeus, la belle Thémis, déesse de l’Équité et de la justice immanente, cette justice qui ne passe pas par la médiation d’une procédure judiciaire mais relève directement des Dieux, Ernest tourmenté s’est défenestré d’un immeuble à Lomé, le 12 novembre 2009. En mourant des suites de ses blessures, il disparait en laissant sur son passage des trainées de chagrin et de traumatismes à l’âge de 52 ans. Le Togo tout entier pouvait respirer. Les chimères du pouvoir se sont voilées de deuil le jour de ses funérailles dans le nord à Pya, spectre hideux et glaciale d’une cérémonie lugubre ou les mines d’enterrement et les visages camouflés par de grosses lunettes noires de la famille Gnassingbé, étaient teintées d’hypocrisie comme l’homélie et l’oraison funèbre du pasteur à la mémoire de « l’ogre de la Kozah ». (Région dont il était originaire).
Au Cameroun c’est d’un assassinat politique dont la France va se rendre complice. Maurice Delaunay en 196O est chargé de trouver une marionnette (une de plus) pour diriger le nouvel État indépendant, il repère Ahmadou Ahidjo et le mettra en place le 5 mai 1960. Les services secrets français doivent se débarrasser d’un opposant camerounais qui deviendra la bête noire, sans jeu de mot de la France. L’homme est jugé suffisamment dangereux pour que soit décidé de son élimination. Il s’agit de Félix Mounié (médecin, homme politique camerounais à l’idéologie marxisante et grande figure de la lutte pour l’indépendance du Cameroun). Ce sera chose faite, le 2 novembre 1960.William Betchel « honorable correspondant » du SDECE, est envoyé à Genève accompagné d’une blonde pulpeuse, talon d’Achille de Félix Moumié. Le tueur du SDECE se fait passer pour un journaliste, carte de presse en poche, et invite Felix Moumié au restaurant « le Plat d’argent » dans la vieille ville de Genève. Il versera dans la tasse de café sans que Moumié s’en aperçoive du Thallium, virulent poison semblable à la mort aux rats. Félix Moumié mourra dans sa chambre d’hôtel dans une lente et douloureuse agonie du à l’empoisonnement. Il sera déclaré mort dans la matinée le 3 novembre 1960. L’enquête menée par les Suisses et l’autopsie pratiquée sur le défunt apporteront les preuves irréfutables de l’assassinat.
Vingt ans plus tard, en 1981 à la suite de plaintes déposées par la famille Moumié, la justice française rattrape et traduit William Betchel devant les tribunaux. Il bénéficiera d’un non-lieu. Mais la devise de la Direction générale des services extérieurs (DGSE), n’est-elle pas : « Augusta per Angusta » : à des résultats grandioses par des voies étroites.
Le 26 août 1973 c’est le tour d’un médecin chef Tchadien de passer à la trappe, Outel Bono, opposant au Président Tombalbaye autre chef d’État mis en place par la France. Bono au caractère intraitable est sympathisant communiste. Pas de poison pour notre médecin, juste deux balles dans la tête à Paris au moment où il monte dans sa voiture. Thierry Desjardins, journaliste au Figaro révèle qu’il tient d’Hissène Habré ancien Président Tchadien l’identité de l’assassin un certain Jacques Bocquel, agent du SDECE. Bocquel est interrogé par la police à la suite de cette révélation et de la plainte de Nadine Bono veuve du médecin. L’enquête se conclura finalement par un non-lieu le 20 avril 1982.
– Le parapluie bulgare ou la piqûre de parapluie : méthode inventée par les services secrets soviétiques pour faire pénétrer du poison dans le corps de la victime. Elle tient son nom de l’empoisonnement du 7 septembre 1978 de l’écrivain dissident bulgare Georgi Markov. Des agents de la police secrète bulgare assistés du KGB sont à Londres et piste le dissident. Markov est à l’arrêt de bus quand il est bousculé par un homme qui s’excuse avant de repartir. Il ressent comme une piqûre douloureuse au mollet. Le soir pris d’une importante fièvre et vomissements il est hospitalisé. Markov meurt trois jours plus tard après avoir signalé aux médecins sa suspicion d’avoir été empoisonné .Scotland Yard ordonne une autopsie. Le médecin légiste découvre un petit projectile sphérique et métallique de la taille d’une tête d’épingle, (1,52 mm de diamètre), niché dans son mollet, et composé de platine et d’iridium. Des traces de « ricine » toxique, poison pour lequel à l’époque il n’y avait pas d’antidote sont retrouvées dans son corps. La complexité du mécanisme démontre en tout état de cause, une action commanditée par un État.
– Victor Louchtchenco, leader de la révolution orange en Ukraine, et vainqueur de l’élection présidentielle le 23 janvier 2005 dont il devient le 3ème Président. En conflit direct avec Vladimir Poutine le Président Russe, il sera empoisonné au cours d’un dîner chez le chef des services secrets ukrainien, Tarochenkylo le 6 septembre 2004. Admis en urgence dans une clinique de Vienne en Autriche, il en sera quitte avec un horrible visage vérolé. Le rapport de l’expert judicaire en toxicologie médicale est formel. L’organisme de Louchtchenco présente une concentration de dioxine mille fois supérieure à la moyenne. La piste des services secrets russes et l’implication du conseiller de Poutine Pavlosky est avérée.
– Alexandre Litvinenko, lieutenant-colonel ex-agent du KGB s’est rangé du côté de l’opposition contre Vladimir Poutine et soutien la rébellion Tchéchène. Il quittera la Russie pour l’Angleterre craignant pour sa vie. Il sera empoisonné par des agents des services secrets russes le FSB (ex KGB) dans un restaurant japonais à Londres en mangeant des sushis. Transporté à l’University collège Hospital de Londres, il décède le 23 novembre 2006. L’autopsie révèlera dans ses urines l’absorption d’une très grande quantité de polonium 210. Le polonium est une substance hautement radioactive et toxique produite uniquement dans quelques laboratoires ultrasecrets. L’ingestion de 1 à 10 microgrammes de polonium est suffisant pour provoquer la mort. Scotland Yard confirme le meurtre et ses soupçons sur le FSB russe.
J’ai bien connu Ernest Gnassingbé, c’est le pilote d’hélicoptère d’Eyadema un français Alain René qui me présenta le « fauve » la première fois, au cours d’une réception à l’hôtel Président de Kara. Pour tout vous dire je m’en étais fait non pas un ami, mais une relation que je gardais sous le coude, en cas d’éventuels problèmes dans ce pays sans foi ni loi. Je n’avais donc aucune sympathie ni admiration particulière pour un homme qui avait dans les années 1990 lancé toute sa rage et usé de tous les moyens pour occire mes trois compagnons d’arme. Je craignais comme tout à chacun qu’il devienne un jour mon ennemi pour peu qu’une personne malintentionnée lui glisse aux oreilles mon hostilité au général Président. Tenant cette sagesse d’un proverbe africain que voici « c’est après avoir traversé la rivière à la nage, que l’on peut dire que le crocodile à une sale gueule »,je n’ai donc jamais cessé de caresser le régime dans le sens du poil avec toujours en bouche des propos pleins d’éloges pour le régime et la famille Gnassingbé (Adams). Pleins d’espions du RPT me rendaient souvent visite dans mon restaurant l’Okavango, facilement reconnaissables, j’en profitais en gros faux-cul, je vous l’accorde, pour ne parler quand bien du régime, et je ne tarissais pas d’éloges et de compliments sur « Papa Eyadema ».Cela m’aura sauvé la vie plus tard, je puis vous le jurer.
C’est notre appartenance à la grande famille des parachutistes et seul point commun qui nous avait rapprochés, et qui animait le plus souvent nos conversations. Je ne lui avais jamais révélé mon appartenance au GSPR de peur de réveiller quelques vieilles rancunes. Avait-il oublié les misères qu’il fit subir à Christian Pascal et Patrick ? Avait-il fait le rapprochement entre eux et moi ? Je ne le saurai jamais, et je me suis bien garder de lui remémorer un tel souvenir. Cet homme était craint et posséder sa carte de visite et son numéro de portable, calmait entre autre les appétits gloutons des forces de sécurité qui racket à tout va les automobilistes aux cours des nombreux barrages rencontrés la nuit, implantés aux carrefours de la capitale. Ernest m’avais cette promesse, celle de me faire visiter ce qui était devenu sa propriété et dont il était le plus fier le camp militaire de «Landja » à Kara, le fameux RPC régiment para commando qu’il commandait.
En Juillet 2001, François Valette, Ambassadeur de France au Togo me contact téléphoniquement. Une passion commune, l’aviation, nous avais réuni une paire de fois à l’aéroclub du Golf de Lomé. On avait passé ensemble notre qualification « vol de nuit » sur Cessna 172, et les navigations communes avaient finis par sceller une empathie réciproque. Je ne faisais pas parti de son monde de « mielleux » et lui du mien, mais loin d’être condescendant et pédant comme beaucoup de ces roitelets de la diplomatie française vivant comme des nababs et qui au quotidien se font lécher le trou de balle, il s’accommodait fort bien de mon impertinence. Un soir au téléphone François Valette me demanda un service : l’accompagner dans le nord Togo à Pya dans le village natal du Président en pays Kabyé. Il est invité chaque année par Eyadema aux finales des « Evalas » qui se déroulent au mois de juillet, épreuves de luttes traditionnelles qui marquent le passage des tous jeunes Kabyé dans le monde des adultes et dont le Président fut dans sa jeunesse un lutteur émérite et invaincu. Cérémonie dans laquelle ce colosse tirait également sa légitimité. J’accepte volontiers de me rendre avec lui à cette cérémonie que je découvrirai pour la première fois. Je suis naïvement touché qu’il ait pensé à moi pour cet événement national. Quand il rajoute sitôt mon accord donné « vous conduirez mon 4/4 ».Ma réponse est directe : «Ne me dites pas que je vais vous servir de chauffeur ! ».
Désolé me dit-il mon chauffeur togolais est malade, et j’ai pensé à vous pour le remplacer, je ne tiens pas à faire le trajet tout seul, rendez-moi ce service ». « Et moi qui croyais que votre invitation résultait d’une marque de sympathie ou d’estime que vous aviez à mon égard ! « Mais c’est le cas Philippe, c’est un grand plaisir de vous avoir en ma compagnie. Ne le prenez pas mal, cela vous rappellera les déplacements officiels de votre glorieuse époque avec François Mitterrand. » « Et bien soit je consens à vous tenir compagnie et vous servir de chauffeur et de garde du corps pour cette escapade dans le nord, mais admettez que passez d’un Président de la République à un simple Ambassadeur de France, ce n’est pas une promotion.» L’inclination de l’Ambassadeur pour le beau sexe, me donnait des gages de tranquillité dans le milieu réputé ou bon nombre de diplomates auraient une orientation sexuelle à l’envers de la nature. C’est donc comme disait un de mes acteurs préférés : Gérard Depardieu,« décontracté du gland » que je me suis mis au volant du gros quatre quatre de l’ambassadeur.
Après cinq heures de route soit 500 kms, sans incidents majeures en dehors de quelques poules écrasées aux abords des villages traversées, nous atteignons la village de Pya. Nous sommes accueillis par un concert de tam-tam et de flutes traditionnelles. Il est déjà onze heures, nous nous dirigeons tous les deux vers la tribune officielle ou l’on peut apercevoir le général Eyadema déjà installé. En retard nous le sommes, ce qui ne perturbe nullement notre ministre plénipotentiaire, montrant ainsi le peu d’intérêt qu’il portait à cette manifestation. Véritable corvée à laquelle il était convié chaque année. Les fesses clouées dans un fauteuil des heures durant, soleil au zénith, sous une toile tente dressée pour l’occasion qui stocke et concentre comme une étuve la chaleur tropicale et qui nous faisait dégouliner de sueur. Il faut bien admettre que toutes ces danses et joutes répétitives, un peu comme nos folklores régionaux cela va bien cinq minutes. François Valette est assis à côté du Président Eyadema, il chuchote quelques mots à l’oreille du dictateur. Un beau mensonge je présume, qu’il s’était fabriqué justifiant son retard. Ernest est aussi dans la tribune, il me reconnait et d’un signe de la main me demande de le rejoindre. Je m’installe à ses côtés. Il est 13 heures 30 quand Eyadema se lève. Tout le monde se lève. L’ambassadeur entre conversation avec le Président, il me semble qu’il décline l’invitation à déjeuner qui clôture les « Evalas ».
Le délicat palais de l’Ambassadeur de France plus habitué aux petits fours répugne aux délicieuses brochettes de viandes de chiens dont les Kabye raffolent ainsi que les viandes de chauve-souris, de varans, de singes et autres rats des champs qui sont préparés pour la circonstance, toujours agrémentées de sauces fortement pimentées. Nous regagnons tous le deux, l’hôtel « Président » dans le centre-ville ou nous sommes logés pour la nuit. Chemin faisant je lui annonce la nouvelle : « Au fait monsieur l’ambassadeur, j’ai été convié par le Commandant du RPC à une visite guidée des installations de son régiment à 15 heures au camp militaire de « Landja ». Il m’en avait fait la promesse à Lomé, et il attendait que l’occasion se présente. Je n’ai pas pu me dérober, diplomatie oblige vous devez connaitre ? ».« Faites attention qu’il ne vous jette pas aux crocodiles. Beaucoup ne sont jamais revenus. Mais dites donc Philippe !vous avez là de bien singulières relations ». «C’est exactement ce que mes amis à Lomé me disaient hier soir, lorsqu’ils ont appris que nous partions tous les deux à Kara. Ma relation avec Ernest est comme la vôtre avec son père je présume, emprunte d’hypocrisie. Elle est fondée non pas sur des a priori idéologiques, des considérations de principes d’éthique, de moral, ou de valeurs de jugement mais sur l’importance de mon interlocuteur et de l’intérêt personnel que j’ai à en tirer profits dans un pays de non droit. C’est mon côté pragmatique que vous venez de découvrir. Priez pour moi, si je suis dévoré par les sauriens, vous n’aurez plus de chauffeur.
C’est Ernest en personne qui m’accueille à 15 heures pistolet à la ceinture, au seuil de l’entrée du régiment para commando. Je n’ai pas le droit à la revue de troupe, alors sans tarder nous voilà partis tous les deux pour la visite de ses installations, ponctuée d’arrêts explicatifs aussi longs qu’ennuyeux. Le plus dure est de faire semblant de s’intéresser et d’avoir le visage enthousiaste et pleins d’étonnements à chaque fois que son regard se posait sur moi. Je congratule le colonel pour l’excellente tenue de son régiment para commando, qui je dois le dire, était impeccable de propreté, contrastant avec toutes les autres garnisons militaires du Togo. Avant de nous quitter je suis convié dans son bureau. Il sortira deux bières « Flag » de son « frigot » qu’il décapsula avec ses dents attestant d’une solide mâchoire semblable à celles des Lycaons (redoutables chiens sauvages des savanes). Quand il regagna son véhicule j’ai été stupéfait par le nombre impressionnant d’armes en tous genre qui se trouvaient à l’intérieur. C’était la puissance de feu d’un porte avion, véritable arsenal ambulant (fusils d’assaut, pistolets revolvers, et grenades en tous genres).
C’est au restaurant « l’Okavango » à Lomé que je reverrai Ernest pour la dernière fois un après-midi d’avril 2005.Toujours accompagné depuis son empoisonnement d’un de mes amis médecins togolais de la Présidence le docteur Essizewa Assi. Extrêmement diminué, Ernest n’était plus que l’ombre de lui-même. Les rumeurs les plus folles circulaient sur son état de santé. J’ai pu me rendre compte par moi-même des graves séquelles physiques et intellectuelles qui affectaient l’ancien commandant du RPC. Il marchait lentement mais n’avait pas besoin d’aide. Il avait conservé la parole, mais ne pouvait pas soutenir de conversation trop longue. La mémoire assurément défaillante puisqu’il ne se souvenait plus de notre rencontre à Kara du temps de sa superbe. Le dosage de la substance nuisible absorbée avait été parfait. Elle prodigua les effets escomptés en transformant le tigre du Togo en loulou de Poméranie. Nous nous sommes installés tous les trois sous la paillote du jardin du restaurant en épanchant notre soif derrière trois bières locales. Soudain le regard d’Ernest s’illumina lorsqu’il aperçut le portrait de son père accroché sous la paillote et de ses yeux jaillirent une lueur admirative, dernier éclat d’un visage attendri: « c’est mon papa ! me dit-il. Il est en Chine, en me tapant sur l’épaule, la gorge serrée par l’émotion et l’inconditionnel dévouement qu’il vouait à son père et qu’il croyait toujours vivant. A l’inverse d’une tragédie grecque ou le fils tue le père, sans doute ne savait-il pas que c’était papa qui avait donné l’autorisation de débrancher une machine dont il avait perdu le contrôle pour l’avenir du Togo, une façon tardive de prendre le chemin de la rédemption, lui qui durant 38 ans de règne avait été un si mauvais exemple.
Philippe Desmars