Mon premier contact privé avec le Général EYADEMA fut à Pya, quand il me convoqua pour un problème à l’hôpital de Pagouda. Je fis le déplacement avec mon attaché de cabinet et mon chargé de communications. Le Ministre de la Santé et de la Population que j’étais, rendit compte au Président de l’évolution de la situation sanitaire à Pagouda…
Après avoir dégusté un très succulent « beefsteak-biche » arrosé au champagne, EYADEMA me raccompagna à mon véhicule de commandement, et à trois mètres du chauffeur, sortit un bout de papier de sa poche et me le tendit en disant :
« C’est un de vos agents de la Préfecture de Bassar. Rendez-moi compte de sa situation professionnelle dans les jours prochains, quand je serai à Lomé ».
Je savais qu’il y avait autre chose… Il me serra la main, en guise d’au revoir et me tira vers lui, en me soufflant à l’oreille :
« Il paraît que vous avez été un agent secret, pendant plusieurs années, d’un Service de Renseignements Occidental ; c’est quel pays ? »
Je fus pris de court, et si j’étais un novice dans le domaine, ma voix aurait tremblé. Je levai mon regard pour le regarder bien fixement dans les yeux et lui répondis :
« Quelle importance, mon Général, si je vous disais, France, USA, Angleterre, Israël, Japon, Canada ou un autre pays, vous ne pouvez pas savoir avec certitude de quel pays il agit-il ! ».
Il me lâcha la main avec un sourire énigmatique …
Joseph KOKOU KOFFIGOH est un ami de très longue date. Il n’y a rien d’étonnant à cela, il était aussi mon patient et mon compagnon de lutte pour l’instauration de la démocratie au Togo. Sans cet homme et certains de nos amis, il n’y aurait jamais eu de Conférence Nationale Souveraine et pas de Transition démocratique. Quelques semaines avant le début de la Conférence Nationale, le pouvoir d’alors avait imaginé un plan machiavélique qui consistait à faire massacrer par deux commandos composés de mercenaires, deux familles entières ! Il s’agit de Messieurs Pali Tchalla, sa femme et ses enfants et un certain M. BADEBANA, sa femme et ses enfants , et tout ceci , la même nuit. ! Ces meurtres particulièrement odieux auraient plongé le pays dans un tel état de choc que l’Etat d’urgence et l’Etat de Siège seraient décrétés dès le lendemain des meurtres ! Adieu alors Conférence Nationale ! C’est un Service de Renseignement qui fit exploser la bombe dans le journal « Jeune Afrique », dans la rubrique TELEX CONFIDENTIEL- EYADEMA convoqua dare-dare le journaliste qui animait cette rubrique et le patron du journal à Lomé. Seul le Premier vint à Lomé et le Président voulut savoir comment ils étaient au courant. Le Général s’était trahi ! Le journaliste donna la source et l’affaire fut enterrée… et la Conférence Nationale eut lieu…
C’est en première année de Médecine, à Dakar, en 1969, que je fis connaissance d’une ravissante libanaise, elle aussi étudiante en première année. C’est le coup de foudre fulgurant avec une relation passionnelle qui nous ramena à Beyrouth pendant les vacances de Noël. C’est en prenant un petit déjeuner dans un snack-bar que nous fûmes abordés par un homme qui se présenta comme un étudiant de 3ème année de Médecine au Liban. Nous avons longuement discuté de nos études respectives et il nous invita chez ses parents le lendemain pour un dîner.
C’est chez cet homme qu’on nous approcha pour nous demander de rendre de petits services à une ambassade occidentale accréditée à Dakar. Nous nous sommes rendu compte que nos interlocuteurs connaissaient tout de nous deux. A la rentrée de janvier, nous suivîmes d’intenses entraînements pendant toute l’année universitaire 1969-1970. C’est comme cela que nous sommes devenus des agents d’un important Service de Renseignement. Notre première mission sérieuse fut à Kaboul en Afghanistan, en décembre 1970, en parfait couple mixte, touristes de luxe…
La transition démocratique fut chaotique et dramatique. Eyadem a vu rouge quand la Conférence Nationale Souveraine (CNS) l’a dépouillé de beaucoup de ses prérogatives. Ce qui lui fit le plus mal est qu’il ne puisse pas présider le Conseil des Ministres. L a loi Fondamentale transitoire fait obligation seulement au Premier Ministre de rendre compte deux fois par semaine au Président de la République des activités du gouvernement. Dès lors, le Président usa de tous les moyens légaux et illégaux pour être au courant de ce que nous faisions. Tous les téléphones des Ministres furent mis sur écoute (il n’y avait pas de téléphone portables à l’époque), et plus tard, quand le 1er gouvernement d’union nationale transitoire (GUNT) fut mis en place, après le putsch du 3 décembre 1991, il chargea un des ministres RPT d’enregistrer les débats des Conseils des Ministres sur micro miniature ! D’autre part, tous les ministres en vue étaient suivis dans leur déplacement, épiés, espionnés. Le pouvoir nous envoya même de belles filles dans les jambes, croyant nous mettre sur écoute charnelle. C’est ainsi que je démasquai une de ces belles dames, dans mon bureau , venue pour audience, dans une tenue ultra sexy ; je la reçus et devant moi, je l’obligeai à tout déballer après son récit incohérent sur le motif de l’audience et lorsque je sortis brusquement un revolver de ma poche et le lui pointai sur le crâne, elle fit pipi dans ses habits luxueux et mouilla la moquette du bureau. Elle me dit tout : le nom de l’ancien ministre influent d’E YADEMA qui lui a confié la mission, ce qu’elle devait me faire et combien elle avait reçu en argent liquide et en « cadeaux ». Je la « retournai », au sens renseignemental du terme, lui expliquai de faire comme si tout allait bien dans sa mission et de rendre compte à son employeur en lui racontant ce que moi, je voulais qu’elle lui raconte ! Elle avait plein d’argent avec elle ; je prélevai 60 000 FCFA de son sac à main et chargeai un de mes garde de corps d’aller lui acheter une robe pour qu’elle puisse sortir de mon bureau après avoir emballé sa tenue mouillée par ses urines. Le garde de corps la ramena à la maison en lui promettant de lui faire la peau si elle ne suivait pas à la lettre des recommandations du ministre IHOU !
De mon côté, nous faisions tout pour savoir ce que faisait EYADEMA, cloîtré à Lomé II ! Notre grande réussite est d’avoir convaincu le Colonel DJOUA de travailler avec la Transition! Nous avions par ailleurs, inondé Lomé II de faux documents, de faux jeunes RPTistes et de fausses informations distillées sur nos téléphones que nous savions sur écoute !
La première mésentente avec KOFFIGOH survint lors du coup d’Etat du 3 décembre 1991. Les manifestations débutèrent le 27 novembre, quand le Premier Ministre était encore au sommet CHAILLOT en France. Le jour de son arrivée à Lomé, nous lui recommandâmes , avant qu’il ne sorte de l’avion, de ne pas rentrer dans l’hélicoptère amené opportunément sur l’aire d’atterrissage par les FAT, sous prétexte qu’il y a de violentes manifestations en ville et que la sécurité du Premier Ministre n’était pas assurée. En fait, l’hélicoptère devait le déposer directement au camp FIR : ce sont des militaires acquis à notre cause qui nous avaient mis la puce à l’oreille. Arrivés à la Primature (Ancien Palais des hôtes de marque), nous expliquâmes au Premier Ministre que l’armée allait encercler la Primature dans les heures qui suivent, et c’est pourquoi nous lui avions réservé une planque sécurisée, d’où il pouvait joindre tous les contacts avec les deux téléphones satellitaires que nous avions à notre disposition. Koffigoh refusa, au grand dam du cercle très fermé que nous formions autour de lui. Entre le jour de l’encerclement de la Primature et le 3 décembre 1991, jour de l’assaut contre cette Primature, toutes nos propositions et tous nos conseils furent inexploités par le Premier Ministre encerclé. Le sort de la transition aurait –elle été différend si Koffigoh avait suivi nos instructions à lui transmises par téléphone satellitaire par notre cellule de crise ?
Seul Dieu le sait. Est-il que la transition s’achèvera en queue de poisson, avec toutefois, deux acquis majeurs : la Constitution de 1992 et la liberté de la presse, bref la Démocratie. Cette démocratie aurait été complète si tous les acteurs avaient joué le jeu, ceux du pouvoir comme ceux de l’opposition…
La fin de la transition et de l’année 1992 furent difficiles pour les togolais. Le pouvoir devient de plus en plus violent (attentat de Soudou, assassinat de Tavio AMORIN, attentat contre le Ministre AMEFIA etc.…) avec, dès l’aube de 1993, des actes désespérés du pouvoir pour reconquérir à tout prix le pouvoir dans son intégralité. Le bouquet final fut la tuerie de FREAU JARDIN…
Mon destin croisa encore celui d’EYADEMA, en ce début d’année 1993. Ma vie devient de plus en plus menacée et c’est en mi-janvier que mes anciens employeurs se firent entendre de façon ferme :
« S’il arrive quelque chose au Dr. David IHOU , en représailles, nous exécutons cinq (05) de vos enfants, dont la liste suit… »
EYADEMA paniqua, mais en bon militaire pragmatique, il prit les mesures de protection draconiennes pour les cinq enfants indexés … Le service lui envoya un deuxième message pour lui dire que ses mesures sont dérisoires et que rien ne peut sauver ses enfants s’il m’arrivait malheur. ! Alors, le Président céda ; Il m’envoya le grand frère EKLO Michel pour me convaincre de partir en exil, pour ne pas être tué par des éléments incontrôlés de ses militaires ou des miliciens du RPT . Ma réponse fut immédiate :
« Allez lui dire que je ne bougerai pas de Lomé et que s’il veut me faire tuer, il n’a qu’à le faire ! ».
Ce sont mes ex-employeurs qui me persuadèrent de partir, après un accord âprement discuté entre eux, Eyadéma et moi-même.
A partir de ces moments-là, nous savions qu’Eyadéma préparait son fils pour lui succéder un jour, car les mesures de protection des cinq enfants menacés nous ouvrirent les yeux, tant elles furent toutes orientées vers le Président actuel, alors que les quatre autres ne bénéficiaient que de très légères précautions. Le Général garda le secret si bien qu’aucun de ses enfants, aucun de ses collaborateurs n’était au parfum…
Ce qui était une prudence élémentaire. Si le Colonel Ernest GNASSIMGBE par exemple, apprenait que son père préparait Faure pour lui succéder un jour, la vie du Président actuel et même d’Eyadéma ne tiendrait qu’à un fil ! Je peux me targuer déjà, en Février 1993, d’être sûrement le seul togolais, en dehors d’Eyadéma, à savoir que Faure GNASSIMGBE allait succédé un jour à son père !
Au Bénin, ma sécurité était assurée par l’équipe du Commissaire ZOMALETO. J’étais dans les bonnes mains d Président Nicéphore SOGLO, dont la mère est Akposso et dont la petite sœur est l’épouse du Médecin Colonel BONI, propriétaire de la clinique d’Akpakpa, où j’ai commencé à exercer comme Médecin Chef du Service de Dermatologie, Allergologie, cinq jours seulement après mon arrivée en exil au Bénin !
Quand le Général KEREKOU arriva au pouvoir en 1996, le Haut Commissariat pour les Réfugiés (HCR) jugea que tous les opposants togolais n’étaient plus en sécurité au Bénin, et on nous envoya en Europe et aux Etats Unis. Ma famille et moi atterrissâmes en Hollande, en juillet 1997 et où je restai dix ans avec des missions ponctuelles en Guinée…
C’est en Guinée, en Mars 2001, que je repris du Service et fut nommé Chef des Opérations Recherches pour la Guinée, la Sierra Léone et le Libéria, toujours pour le compte de mes anciens employeurs. C’est en avril 2002 que je fus réveillé en pleine nuit par un coup de fil insolite, à 21h45 du matin :
« Ihou, comment tu vas ? Sacré Docteur, toujours dans les Renseignements hein ? »
S’il y a une voix que je reconnaissais parmi tant d’autres, c’est bien la voix du Général EYADEMA !
– « Je vais bien mon Général. Et vous-même ? »
– « Cela ne va pas très fort, et tu dois le savoir, avec tes amis qui sont bien renseignés …»
J’accusai le coup et attendis la suite, qui arriva :
«Ihou , est-ce que tu peux voir ce dont je souffre vraiment ? J’ai l’impression qu’on me mène en bateau »
Je fus pris d’une admiration sans bornes pour cet homme.
Voici un grand homme pragmatique jusqu’aux os, qui fait appel à un de ses opposants virulents pour lui dire la vérité vraie sur son état de santé. Je ne vois personne au Togo capable d’un tel pragmatisme, et d’une telle grandeur de vision !
Eyadema finança l’opération et, dix sept jours plus tard, le Général reçut l’original de son dossier médical…
Le 22 novembre 2005, je mis fin définitivement à mes fonctions dans le renseignement, après plusieurs années de service. Je rentrai à Lomé en avril 2007, après quatorze ans d’exil au total …
Pendant les fêtes de la fin d’année dernière, je reçu à Lom la visite de six (06) anciens du même Service de Renseignement que moi. Nous avions fêté et bringué ensemble et visité les villes de Kpalimé Atakpamé et mon village Témédja.
C’’est en feuilletant les journaux que je range soigneusement, qu’un de mes collègues m’interpella :
« David, quel est ce journaliste qui vous traite de « Dr. FOLDINGUE ?». Tony et moi allons lui casser un bras et s’il continue, on revient dans trois mois lui casser le second ».
-« Hé les gars, laissez tomber, vous êtes en vacances ; En plus c’est un pauvre minable », lui répondis –je »
Mon cher Zeus AZIADOUWO, Directeur de publication du journal « Liberté Hebdo », si j’étais vraiment « FOLDINGUE », j’aurais laissé mes copains « s’occuper » de vous. Vous seriez aujourd’hui privés de l’usage de vos deux membres supérieurs, et à vie, parce que ce sont vos deux coudes qu’ils auraient mis en compote ! Vous n’auriez même jamais pu me soupçonner. Vous seriez au contraire, en train de fustiger le pouvoir, croyant à tort, que ce sont des gros bras du pouvoir qui vous ont esquinté. ! Fais donc gaffe à tes injures, sinon, tu risques fatalement un jour de tomber sur des hommes qui n’apprécient pas du tout qu’on les injurie. Surtout que tu le fais depuis des mois, en empiétant même parfois sur mes domaines professionnels ! Ils pourraient même faire un « quarté » (on te casse les deux coudes et les deux genoux) ou un « quinté » (on te casse les deux coudes, les deux genoux et le bassin !) et tu ne pourras même pas t’assoir dans un fauteuil roulant. ! C’est notre jargon dans le RENSEIGNEMENT ! Heureusement que je ne suis pas « DR FOLDING ».
Eyadema a aimé le pouvoir, il a été un Dictateur, mais c’était un homme hors du commun, un vrai militaire pragmatique, qui a roulé tous les politiciens togolais dans la poussière. Aucun leader politique ne lui arrive à la cheville. !
Joseph Kokou KOFFIGOH a eu la malchance de vouloir lui succéder. S’il y avait une élection présidentielle en 1992, KOFFIGOH aurait battu EYADEMA, cela est sûr, tant le rejet d’EYADEMA était patent en cette année-là. Mais l’homme était haï par ses autres leaders politiques de l’opposition, qui voulaient tous le fauteuil d’EYADEMA. Ce qu’ils ne savaient, c’est qu’ EYADEMA avait préparé ses arrières, depuis 1993 au moins, et a damné le pion à tout le monde, avant de tirer sa révérence le 05 février 2005. A ce destin fabuleux a succédé un autre destin, celui de son fils, Faure GNASSIMGBE. Quel sera le destin de ce destin de l’héritier de feu Général GNASSINGBE Eyadéma ?
Dr David IHOU
Ancien Ministre de la Santé et de la Population