La révélation de ces écoutes avait jeté un froid entre le Burkina et la Côte d’Ivoire. En janvier 2016, la justice burkinabè avait émis un mandat d’arrêt international à l’encontre de Soro, ce qui avait provoqué la colère d’Abidjan. Tout était rentré dans l’ordre quelques semaines plus tard, lorsque la Cour de cassation de Ouagadougou avait opportunément annulé le mandat pour vice de forme.
Depuis, la justice militaire a renoncé à poursuivre Soro. En guise de retour d’ascenseur, le pouvoir ivoirien a remis aux autorités burkinabè plusieurs putschistes qui s’étaient réfugiés en Côte d’Ivoire après la reddition de Diendéré, parmi lesquels l’adjudant-chef Moussa Niébé (dit « Rambo ») et le sergent-chef Roger Koussoubé, deux des « durs » du RSP qui étaient au cœur de la tentative de coup d’État.
Mais l’histoire est loin d’être finie. Le procès, si procès il y a, pourrait ranimer la querelle. Il y sera bien sûr question des écoutes et donc du rôle de Soro. Mais pas seulement… En aparté, le président de l’Assemblée nationale, dont les relations avec Ouattara se sont sensiblement détériorées ces derniers temps, assure qu’il fut bien moins impliqué dans cette affaire que d’autres hauts dirigeants ivoiriens très proches du président. Son entourage cite des noms. L’instruction en cible un tout particulièrement : le général Vagondo Diomandé, qui officie en tant que chef d’état-major particulier d’Alassane Ouattara depuis bientôt quatre ans.
Son nom apparaît à la page 123 de l’ordonnance du juge, dans un long passage résumant les déclarations du général Diendéré. Celui-ci « reconnaît avoir ordonné [une]mission de récupération [de]matériel et [de]fonds à la frontière ivoirienne », et affirme avoir contacté pour cela « le Chef d’État-major Particulier de la Présidence de la Côte d’Ivoire ».
Cette affaire-là a fait moins de bruit que l’histoire des écoutes. Elle n’est pas moins croustillante. Tout se passe le 19 septembre, trois jours après le coup d’État. Un hélicoptère MI17 de l’armée décolle de Ouagadougou en direction de la frontière ivoirienne, sans qu’aucun ordre d’opération n’ait été signé par la hiérarchie. À son bord, cinq hommes : le pilote, un copilote, deux mécaniciens, tous de l’armée de l’air (et qui ignorent tout de leur mission), ainsi que le capitaine Gaston Ouédraogo, chef du service administratif et financier du RSP chargé la veille, vers 23 heures, par le colonel-major Boureima Kéré (le bras droit de Diendéré) de mener l’opération. Kéré a expliqué au juge que c’était Diendéré qui avait ordonné la mission.
À la mi-journée, l’hélicoptère atterrit tout près de la frontière avec la Côte d’Ivoire, au lieu-dit Niangologo, sur un terrain de foot. Arrive un 4×4 venu de l’autre côté de la frontière. Les hommes en sortent une dizaine de caisses et une grosse valise, qu’ils chargent dans l’hélico. Les caisses contiennent des grenades lacrymogènes. La valise, de l’argent. De retour à Ouagadougou, l’engin se pose au palais de Kosyam, contrôlé par le RSP, et non pas à la base aérienne, contrôlée par l’armée de l’air – à cette époque, on ne sait pas encore si l’armée soutient le putsch ou s’y oppose. Les caisses sont débarquées par des soldats du RSP. La valise, elle, reste aux mains du capitaine Ouédraogo, qui la remettra à un homme du général Diendéré quelques heures plus tard.
Le général dit ignorer le montant de la somme récupérée à la frontière et assure qu’elle était destinée aux partis politiques. La valise a, selon lui, été remise à Léonce Koné, un dirigeant du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), le parti de Compaoré, et à Hermann Yaméogo, le leader de l’Union nationale pour la démocratie et le développement (UNDD). Selon l’ordonnance, ces deux hommes bien connus des Burkinabè, inculpés par le juge et un temps incarcérés, ont déclaré « qu’ils étaient pour les revendications des putschistes » et surtout « qu’ils [avaie]nt reçu » la somme de 50 millions de francs CFA (environ 76 000 euros) « d’une puissance étrangère ». Une partie de cette somme aurait servi à la mobilisation des partisans du putsch. Contacté par Mediapart, Léonce Koné n’a pas souhaité faire de commentaire. Hermann Yaméogo, lui, n’a pu être joint.
Plus loin dans l’ordonnance, on apprend que Diendéré a en outre déclaré avoir reçu « 84 millions de francs CFA [environ 128 000 euros – ndlr]en s’adressant au Général Diomandé », le chef d’état-major particulier de Ouattara. Mais, précise-t-il, « il ne sait pas si ces fonds provenait (sic) du Président Ivoirien ». Selon lui, cet argent aurait servi à payer les hommes du RSP. Il ne s’agissait pas, a-t-il soutenu devant le juge, d’une récompense, mais d’un simple soutien financier visant à soulager les familles des militaires…
Un autre chef du RSP affirme avoir contacté Diomandé : il s’agit du commandant Abdoul Aziz Korogo, ex-chef de corps du régiment (qui a bénéficié d’un non-lieu). Lors de son audition, celui-ci a admis entretenir des relations amicales avec le général ivoirien et lui avoir demandé, au plus fort de la tempête, une aide financière en vue d’une éventuelle évacuation de sa famille en Côte d’Ivoire. Selon lui, Diomandé lui aurait répondu favorablement, en lui demandant « de trouver un répondant sur place en Côte d’Ivoire »pour « la remise de son soutien ».
Ces déclarations posent la question de l’implication directe d’Alassane Ouattara dans ce coup d’État. On imagine mal son chef d’état-major particulier envoyer de l’argent à des putschistes sans son aval : les deux hommes se connaissent depuis longtemps (Diomandé était déjà son aide de camp au début des années 1990) et le président, qui l’a rappelé à ses côtés en décembre 2013 et qui l’a promu au grade de général de division en décembre 2016, semble lui faire entière confiance. Diomandé cumule d’ailleurs les honneurs ces derniers temps : le 20 avril dernier, il a été décoré par l’ambassadeur de France, Georges Serre, des insignes de chevalier de l’ordre national du Mérite.
Les liens d’amitié entre le chef de l’État ivoirien et l’ancien président burkinabè, qu’il a accueilli comme un prince après sa chute, sont anciens et semblent inébranlables. Au moment du putsch, on niait, dans l’entourage de Ouattara, tout soutien aux hommes du RSP. Mais on ne faisait pas mystère de la position du « chef », qui espérait secrètement que le coup réussirait. Ouattara lui-même avait paru gêné lors du sommet extraordinaire de la Cedeao consacré au Burkina, le 22 septembre 2015, à Abuja (Nigeria). Selon plusieurs sources diplomatiques, il avait, dans le huis clos des chefs d’État, tout fait pour freiner les ardeurs de ceux qui tenaient un discours de fermeté à l’encontre des auteurs du coup d’État. Contactée par Mediapart, la présidence ivoirienne n’a pas donné suite.
Mediapart
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