Hier, elle a mis en ligne une bibliothèque publique de la diplomatie américaine (Public Library of US Diplomacy). Qui permet d’avoir accès à 1,7 millions de documents secrets qui, pour certains, éclairent l’histoire récente d’un jour nouveau.
Certains d’entre eux avaient déjà été «balancés» en 2010, mais étaient perdus dans le cafouillage incroyable créé par la profusion des données. Cette fois-ci, grâce à un efficace moteur de recherches, l’accessibilité est améliorée et des documents intéressants surgissent. Sur la crise ivoirienne en particulier, un certain nombre de câbles diplomatiques se révèlent très intéressants à lire.
Deuxième partie de notre dossier…
Quand Bédié appelait à renverser Gbagbo et que Ouattara demandait la neutralisation des FDS
Un câble du 5 mai 2006 raconte une conversation entre Henri Konan Bédié et l’ambassadeur américain Aubrey Hooks. Au cours de cet échange, Bédié demande que la communauté internationale renverse Gbagbo et le remplace par une personnalité «neutre» en vue d’une transition avant d’éventuelles élections.
Aubrey Hooks raconte aussi un échange avec Alassane Ouattara, qui demande à la communauté internationale de «cantonner» les Forces de défense et de sécurité (FDS) nationales jusqu’à la période d’après les élections. Aubrey Hooks ironise aussi sur le rapport de Bédié au RHDP.
Selon le successeur de Félix Houphouët-Boigny, les autres partis de l’opposition (des «enfants illégitimes» de l’ex parti unique) doivent se contenter de «suivre la direction» donnée par le PDCI. Quand on voit à quoi le «vieux parti» est réduit aujourd’hui, on oscille entre le sourire et la compassion.
Un câble violent de Aubrey Hooks contre le FPI qui explique avec le recul les positions américaines
Si, entre 2001 et début 2010 (période «couverte » par Wikileaks), la diplomatie américaine se montre plus modérée dans son hostilité à Gbagbo que la diplomatie française, l’on peut tout de même se rendre compte que, sous des dehors charmeurs et très consensuels, l’ambassadeur Aubrey Hooks était franchement opposé au premier président de la Deuxième République.
Dans un câble du 11 mai 2006 intitulé «Le FPI après six années de pouvoir», il brosse un portrait particulièrement dur du système Gbagbo. Le FPI est «sur la défensive», estime-t-il, parce qu’il a «peu de choses à montrer après bientôt six années au pouvoir». Le FPI est arrivé au pouvoir en 2000 après des élections «imparfaites» avec un «agenda de réformes socialistes radicales», écrit Hooks.
Mais il a abandonné les questions de fond comme l’identité nationale, la propriété foncière, la corruption et les réformes économiques au profit «de l’intimidation », du «contrôle des institutions de l’Etat», de la promotion d’une «idéologie ethnocentrique» et «xénophobe». «Les dirigeants du parti ont également utilisé des arguments juridiques douteux et feint d’avoir des différences avec le Président Gbagbo pour permettre à ce dernier de plaider l’innocence alors qu’ils sapent les accords de paix qu’il a signés».
Aubrey Hooks s’en prend particulièrement à Simone Gbagbo, «connue pour ses déclarations enflammées». Au terme d’un calcul assez spécieux, Hooks conclut que Gbagbo n’a bénéficié en 2000 que de 22,2% des électeurs en âge de voter et ne peut gagner des élections libres et transparentes face à une opposition unie. Ces arguments, qui sont assez similaires à ceux de la France, permettent de mieux comprendre la réticence des Occidentaux à admettre l’hypothèse selon laquelle Gbagbo a pu gagner la présidentielle de 2010. Ils permettent aussi de comprendre à quelles fins Pierre Schori, alors patron de l’ONUCI, a commandité, en juillet 2006, une enquête d’opinion sur la personnalité que les Ivoiriens respectent le plus. Un sondage qui avait placé en tête… Laurent Gbagbo.Ce qui n’était pas le résultat espéré.
Comme pour confirmer une tendance franchement hostile à Gbagbo, Aubrey Hooks produit, le 12 mai 2006, un câble pour remettre en cause le verdict du procès sur les attaques de juillet 2005 à Abobo et à Anyama. Dans ce câble, il tente d’accréditer la thèse d’une auto-attaque destinée à justifier une répression pré-électorale.
Les discussions de Ouaga vues avec suspicion par la France et les Etats-Unis
La lecture des câbles mis en ligne par Wikileaks permet d’avoir une idée de l’état d’esprit général de la France et des Etats-Unis durant le «temps diplomatique» marqué par l’adoption de la Résolution 1721 puis le début du «dialogue direct» dont l’apothéose sera la signature des accords de Ouagadougou.
Aussi bien les Américains que les Français n’y croient pas. «Gbagbo offre des propositions, et non des solutions», écrit Aubrey Hooks au moment où l’idée du dialogue direct est émise. Ces propositions sont «irréalistes», déplore le diplomate américain. La signature du traité de paix est une surprise pour Paris et Washington, tenus à l’écart, et qui se demandent si «c’est trop beau pour être vrai».
Dans une atmosphère de fin de règne, une diplomate du Quai d’Orsay admet, devant un diplomate américain, que «au moins à la surface, Gbagbo a fait beaucoup de ce que nous attendions de lui, ou de ce que nous espérions de lui». Les Français s’interrogent sur le deal entre Soro et Gbagbo, admettent que le départ de Chirac est une bonne nouvelle pour le numéro un ivoirien, qui va avoir affaire à une équipe avec laquelle il n’a pas de passif. La diplomate française finit par dire, de manière assez amère, que Gbagbo ne veut pas de Licorne mais qu’il veut bien des entreprises françaises.
Les Chinois croyaient à la victoire électorale de Gbagbo
Les câbles de Wikileaks laissent entrevoir une position chinoise assez bienveillante vis-à-vis du président Gbagbo. Contrairement aux Occidentaux, Beijing pense que le cofondateur du FPI a de fortes chances de rafler la mise face à Ouattara et Bédié. C’est ce qu’indique un câble du 28 février 2008.
Un diplomate chinois se confie à un de ses homologues américains. Gbagbo a de fortes chances de gagner les élections «parce que les Ivoiriens moyens le perçoivent comme l’un des leurs», parce qu’il a «accès aux ressources économiques gouvernementales » et parce que les Ivoiriens craignent que le changement provoque de l’instabilité. Le diplomate chinois indique que la présence de son pays en Côte d’Ivoire est plus faible qu’ailleurs sur le continent parce que l’expansion de Beijing en Afrique a coïncidé avec le début de la crise ivoirienne.
En janvier 2010, la France de Sarkozy s’était résignée à la victoire électorale de Gbagbo
Alors que fin 2009, l’équipe Sarkozy estimait que Gbagbo ne pouvait pas gagner les élections de toute façon, elle révise brutalement son jugement début 2010, après la mise à l’écart de Robert Mambé Beugré et de sa fameuse liste des 429 000 vrais faux électeurs. Un diplomate du Quai d’Orsay, selon un câble du 22 janvier 2010 estime que «dans tous les cas, Gbagbo va gagner» et que «les autres candidats sont trop faibles ».
Quand Soro accusait à demi-mot IB d’avoir voulu le faire tuer, et que Wattao soupçonnait l’ONUCI
Un câble raconte une rencontre entre Guillaume Soro, alors Premier ministre, et un collège d’ambassadeurs, après l’attentat du 29 juin 2007. Au cours de son entretien avec les diplomates, Soro explique que Gbagbo l’appelle tous les jours pour lui exprimer sa sympathie dans ces moments difficiles. Soro «innocente» Koné Zakaria et Chérif Ousmane, suspects désignés par la presse. Mais dit qu’il sait qui est le cerveau de l’attentat, désignant sans le nommer Ibrahim Coulibaly dit «IB», dont il aura finalement la peau près de 4 ans plus tard.
Soro demande une enquête internationale sur l’attentat, qui ne verra jamais le jour. Un autre câble indique de Issiaka Ouattara dit «Wattao», fidèle lieutenant de Soro, accuse l’ONUCI de «complicité», après avoir dénoncé quelques semaines plus tôt «les interférences» de la France dans les années 2002-2003.
Un troisième câble datant d’août 2007 évoque des «suspicions» entre Gbagbo et Soro, nées de cet attentat.
Théophile Kouamouo
Le Nouveau Courrier