Bonjour M. le président. Cela fait bien longtemps que les Ivoiriens ne vous ont pas entendu. Que devient Laurent Dona Fologo ?
Laurent Dona Fologo : Bonjour. Comme je le dit souvent, je suis comme un notable de la République. Le notable dans un village, c’est une personnalité qui sait beaucoup de choses, mais qui n’est le chef. Qui fait quelquefois des missions pour le chef. Mais c’est surtout un sachant. Donc, depuis que j’ai été débarqué de la présidence du Conseil économique et social (CES), je suis chez moi, je voyage, je suis en train d’écrire mes mémoires. Je prends soin de moi. J’ai été à Paris, à Brazzaville, au Cameroun… partout où j’ai des amis. Je suis en bonne santé grâce à Dieu.
Politiquement, je suis dans la direction du CNRD, où j’ai toujours été depuis sa création. Nous venons de revoir les structures. Après la tempête, vous savez il faut relancer un peu le combat. Nous pensons que lorsque la pluie est tombée et que le soleil se lève, il faut sortir des tanières, pour engager le dialogue avec le pouvoir, pour que tous nos amis qui sont dans les prisons, en exil, puissent être libérés et revenir au pays. C’est le premier objectif du CNRD d’aujourd’hui.
Il y a eu quelques frictions internes. On peut parier maintenant sur un CNRD désormais plus fort avec cette restructuration ?
Oui on peut l’affirmer ainsi. Effectivement, il y a eu quelques mouvements internes comme dans toute coalition politique. Le CNRD était un peu disloqué, comme presque tout ce nous avions mis en place. Certains de ses responsables sont hors du pays, la secrétaire générale qui est Mme Simone Gbagbo n’est plus là… Pour toutes ces raisons, nous avons pensé qu’il fallait reconstituer le mouvement. La première chose que nous avons arrêté, c’est que tous ceux qui avaient des responsabilités au CNRD, quand ils reviennent ils retrouvent leurs responsabilités. Il faut qu’ils le sachent. Nous ne les avons pas mis de côté. Ceux que nous avons mis en place sont des responsables intérimaires, parce que nous espérons que nos camarades vont revenir bientôt. Nous l’espérons et nous travaillons dans ce sens. Ce n’est pas un nouveau CNRD. C’est simplement le CNRD remis à l’ordre du jour. Premièrement, il fallait remplacer la Secrétaire générale absente. Ça été fait, la nouvelle secrétaire générale intérimaire c’est Mme Ago Marthe. Le CNRD n’a pas d’autre SG en dehors de Mme Ago Marthe, que cela soit clair aujourd’hui. Deuxièmement, il y a 5 vice-présidents au niveau du CNRD. J’avais été nommé 1er vice-président mais sans pouvoir. J’avais les mêmes pouvoirs que les autres vice-présidents. Nous avons pensé que pour l’efficacité, il fallait donner des pouvoirs au 1er vice-président. Cela veut dire que nous reconnaissons toujours M. Bernard Dadié comme président, l’âme du CNRD, comme l’incarnation de la moralité de notre mouvement. Et surtout sa crédibilité, c’est pour tout cela que le président Gbagbo l’avait nommé président du CNRD. Donc, nous lui reconnaissons cela. Mais en même temps, nous disons qu’à 96 ans on ne peut pas lui demander tout, notamment au niveau des activités du CNRD qu’il ne peut plus assurer totalement. C’est pourquoi, nous avons accepté les nouveaux pouvoirs donnés au 1er vice-président qui devient le bras séculier du CNRD, avec la secrétaire générale.
Par ailleurs, nous voulons donner au CNRD un esprit nouveau. C’est à dire, chaque parti reste libre et autonome, il conduit ses activités en son sein, ça n’engage pas le CNRD. Par contre la douzaine de partis rassemblés dans la plateforme du CNRD doivent obéir aux choix du CNRD et les exercer. Nous voulons former une opposition crédible et forte en Côte d’Ivoire. Une opposition que l’on respecte et qui respecte aussi le pouvoir. Cela permettra de réengager le dialogue, lorsque le pouvoir comprendra et verra que nous ne sommes pas une opposition de défi, que nous sommes contre la violence. Nous ne voulons pas revenir sur tout ce qui s’est passé, mais nous pensons que le combat du président Laurent Gbagbo, pour donner à la Côte d’Ivoire une liberté totale, mérite d’être poursuivi. Comme le disait le président Houphouët-Boigny, recouvrer la liberté confisquée ou l’honneur bafouée, si nous avons ce sentiment là, nous luttons pour cela. Et c’est un idéal qui ne date pas d’aujourd’hui. Donc, le CNRD voudrait présenter une image d’opposition sérieuse et forte, mais qui a les arguments pour le dialogue. Et qui souhaite par exemple qu’une commission soit mise en place pour discuter d’un certain nombre de sujets qui touchent à la vie des Ivoiriens et qui favorisent la décrispation politique. Et dont les résultats vont être soumis au chef de l’Etat qui pourra prendre des décisions. Nous avons décidé de rechercher le retour de nos camarades dispersés dans le monde. Il faut donc savoir demander. Si vous demandez avec une attitude de défiance, eh bien vous n’obtiendrez pas. C’est ce CNRD nouveau que je suis déterminé à conduire.
A quelles actions futures du CNRD devrait-on s’attendre dans les jours ou semaines à venir ?
Alors notre premier objectif, c’est d’obtenir le retour de nos camarades qui sont en prison, en exil. Deuxième chose, nous voulons que l’on sache qu’en Côte d’Ivoire il y a une vie démocratique qui suppose que le gouvernement gouverne et l’opposition s’oppose de façon responsable. C’est-à-dire être critique, faire des propositions là où nous avons l’impression qu’on peut faire autrement et amener le pouvoir à consulter l’opposition sur les grandes questions de la Nation, chaque fois qu’il estime que c’est nécessaire. Il faut qu’on en arrive là et éviter la violence, le défi et tout le langage qui conduit à la violence. Je suis non-violent, vous le savez, si on ne veut pas de moi je m’en vais, mais si on me suit, je vais mener ces démarches-là. Je pense être bien placé pour le faire, parce que j’ai été à un moment donné avec ceux qui sont en face. J’ai eu la confiance également du président Gbagbo pour qui j’ai effectué beaucoup de missions. Pour toutes ces raisons, je pense que je peux servir de pont entre l’opposition crédible, respectable, respectée et le pouvoir.
M. le président, il y a deux mois, le président Laurent Gbagbo était transféré à La Haye. Personnellement comment avez-vous vécu ce moment ?
Personnellement, ça été un très mauvais moment pour moi. Je ne m’attendais pas à ce transfert rapide voire camouflé, parce que vous savez comment cela s’est passé. Le président Gbagbo était à Korhogo, je nourrissais le désir d’aller le voir, en demandant à la justice ou ceux qui sont responsables l’autorisation de saluer le président Gbagbo. Vous savez que mon village est à 20 km de Korhogo. Mais j’étais loin d’imaginer que les gens préparaient son départ à La Haye. Mais vous savez, on dit tout ce que Dieu fait est bon. Et comme on le dit, à quelque chose malheur est bon. Parce que ce transfert que nous n’avons pas voulu, curieusement, il permet au président Gbagbo peut-être de présenter le vrai visage de son combat qui avait été peut-être mal compris ou mal présenté depuis la Côte d’Ivoire. Je pense qu’il ne faut pas réduire le combat de Gbagbo à la crise post-électorale, qui fait voir Gbagbo comme quelqu’un qui s’accroche au pouvoir. Alors que nous le connaissons, ce n’est pas ça. Je rappelle souvent que le président Houphouët à maintes fois proposé à Gbagbo de rentrer au gouvernement, il a toujours refusé. Parce qu’il avait des exigences liées à la démocratie, au multipartisme, à la commission électorale, au vote à 18 ans… Tout cela a été obtenu à l’issue de son combat. Mais, le jour que Dieu a voulu qu’il soit au Palais, il a été au Palais. Aujourd’hui, il se retrouve à La Haye. J’ai l’impression qu’il pose bien des problèmes face à ceux qui l’ont fait partir à La Haye et qui suivent ce qui se passe. Parce qu’il saisit cette occasion, certes pas gaie, pour faire mieux comprendre au monde entier le sens de son combat. Et nous attendons quelle en sera l’issue.
Vous avez personnellement de ses nouvelles ?
Personnellement, non. Maintenant, il nous a été rapporté que depuis qu’il est là-bas, on peut lui faire parvenir des mails. Moi personnellement, je n’ai pas encore essayé. Mais des gens me l’ont dit. Et avec tous les mouvements que vous suivez à Paris, à La Haye, avec tous ces Africains qui se rassemblent ça et là. C’est la première fois qu’on voit de telles mobilisations pour un prisonnier politique. C’est pourquoi, nous ne perdons pas espoir qu’il recouvre la liberté. Et que tous les Ivoiriens retrouvent la Côte d’Ivoire pour poursuivre l’œuvre de construction de la nation ivoirienne. Je suis un nationaliste ivoirien et c’est tout ce que je suis. Quel que soit le président ou le régime au pouvoir, moi je ne travaillerai jamais contre la construction de la Côte d’Ivoire. Il faut qu’on avance !
Vous parliez tantôt de la vie démocratique qui doit fonctionner. Le CNRD pourra-t-il éventuellement participer au prochain gouvernement ?
Mon objectif n’est pas d’amener des militants au gouvernement. Aimer et servir la Côte d’Ivoire, ce n’est pas forcément d’entrer au gouvernement. Je vous ai dit que Gbagbo a fait 25 ans sans jamais entrer dans un gouvernement. On peut apporter sa pierre à l’édifice sans être au gouvernement. Mon objectif en tout cas n’est pas de demander un gouvernement d’union comme Gbagbo en a connu. Parce que l’expérience n’a pas été positive. On a connu des ministres, membres du gouvernement, qui ont insulté publiquement le chef de l’Etat, le président de la République. On a connu des ministres qui ont travaillé pour que l’action du gouvernement échoue. yellow”>Moi, je suis contre ce type de mélange de chèvres et de choux. Donc comme disait Gbagbo, le gouvernement gouverne et l’opposition s’oppose. Mais, il faut une opposition qui ait un visage respectable et respectée. L’opposition, ce n’est pas brûler les maisons, les pneus, casser ici, défier le pouvoir, non. L’opposition fait des propositions dans l’intérêt du pays qui soient différentes de ce que met en œuvre le pouvoir. Si vous n’avez pas d’arguments, de propositions à faire alors vaut mieux rester tranquillement chez vous. Mais, si vous voulez vous opposer, opposez-vous par des arguments. Mais pas nécessairement par des injures, des défis ou des slogans qui vous éloignent les uns des autres. En tout cas, je voudrais servir à travers le CNRD à ce rapprochement.
Un constat s’impose. Depuis le 11 avril, il est quasiment impossible pour l’opposition et particulièrement pour le Fpi de tenir des meetings sans subir de violences. Quelle lecture faites-vous de cette situation ?
Je pense que tant que le gouvernement aura à l’esprit d’avoir affaire à des gens qui le défient, qui le gênent, ça sera toujours difficile. Par contre si la confiance existe entre le pouvoir et l’opposition, nous pensons que ceux à quoi vous faites allusion va prendre fin. Pour que les gens manifestent à Bonoua, à Yopougon, à Port-Bouët et un peu partout, il faut qu’on amène le pouvoir à avoir confiance. Nous jouerons la carte de l’opposition véritable, c’est-à-dire critiquer et proposer. Vous savez, on revient d’une situation difficile et donc les premiers moments sont parfois difficiles. La confiance n’est pas encore revenue totalement. Mon objectif est donc de travailler au rétablissement d’une confiance entre pouvoir et opposition.
Une partie des Ivoiriens estime que la réconciliation est difficile voire impossible en l’état actuel, avec la déportation de Gbagbo, les prisonniers politiques, les exilés et autres refugiés, les meetings de l’opposition qui sont violentés… Quel est votre avis sur la réconciliation telle que nous la vivons actuellement ?
Moi j’ai une conception de la réconciliation totalement différente de ce que je vois. La réconciliation est impossible si on n’accepte pas ces conditions dont je vous ai parlé à travers le CNRD. C’est-à-dire parler avec les gens du pouvoir et les amener à faire revenir, parce que c’est eux qui en ont les moyens, nos camarades emprisonnés ou en exil. Le reste viendra de lui-même si on travaille à ça. Je crois que la paix viendra de là. Mais réunir des gens, un groupe ici, un groupe là, donner un peu d’argent ici et là… Peut-être c’est une autre forme de réconciliation, mais ce n’est pas à celle à laquelle je crois. Celle à laquelle moi je crois, c’est la discussion avec les partis politiques qui sont des structures organisées. Dans la société civile, il y a les ONG, les associations et les partis politiques. Les partis politiques font la politique. Alors, vous ne pouvez pas faire une réconciliation politique sans associer les partis politiques. C’est pourquoi nous avons voulu regrouper en tout cas la majorité des partis politiques au sein du CNRD. Bien que chaque parti reste bien libre de mener ses activités, nous avons une plateforme commune qui peut être l’interlocuteur du pouvoir. Si les choses sont établies à ce niveau là, le reste est un jeu d’enfant. Réconcilier, je ne sais ce que ça veut dire dans l’esprit de chacun. Mais, on ne se réconcilie pas seulement du bout des lèvres. Il faut que cela se traduise dans les faits.
La Commission dialogue, vérité et réconciliation (Cdvr) a été mise en place, présidée par un homme politique et qui est mal vu par certains. Pour vous quelle était la formule adaptée à la situation de crise qu’a connue la Côte d’Ivoire ?
Je n’ai pas d’appréciation particulière sur la structure qui a été mise en place. Vous savez, lorsque nous avons mis en place par la force de Marcoussis la première Commission électorale indépendante, je l’ai critiquée. Je n’ai jamais été pour que la CEI soit composée de représentants de partis politiques. Ça été une erreur à mon avis. J’ai dit qu’on peut trouver en Côte d’Ivoire des gens crédibles au dessus de tous soupçons, une trentaine capable de se réunir et de juger nos actes, les apprécier et nous présenter des résultats crédibles. Ça existe ! Des anciens magistrats, des religieux, des hauts fonctionnaires qui tout le long de leur carrière ont fait la preuve de leur intégrité et de leur probité. Je préférais ça à un regroupement de partis politiques. On ne peut pas regrouper des partisans et leur demander d’être impartiaux. Cela a échoué, ça ne pouvait pas marcher. Il en est de même pour tout le reste. Moi je pense que la réconciliation ne consiste pas à rassembler des personnalités comme ça, qui reçoivent par ci, qui vont, qui viennent… La réconciliation, c’est dans l’esprit et dans les actes. Si la confiance réciproque revient, la réconciliation est faite. Parce que de toutes les façons, ceux qui ont perdu des parents pendant la crise ou qui sont handicapés, on ne peut ni les ressusciter ni leur permettre de recouvrer leur intégrité physique. Ces personnes là, il faut les emmener par les actes à prouver simplement que vous êtes compatissant. Et si des gens ont commis des fautes, il faut les amener à demander pardon publiquement. C’est comme ça qu’on a fait en Afrique du Sud. Une fois que vous avez vidé ces choses-là, après on commence à se parler, à s’embrasser et à se faire confiance. Il n’y a pas de réconciliation sans confiance réciproque, sans respect réciproque. Donc moi, je ne veux pas juger la commission (Cdvr, ndlr), je ne la connais pas. Mais quand je regarde la composition de la Cei, je me dis qu’elle aurait dû servir de leçon pour faire autrement.
Depuis au moins 10 mois, des centaines d’Ivoiriens ont leurs avoirs gelés, ce qui conduit bien souvent à des situations désastreuses…
Mais c’est de tout cela que je voudrais pouvoir discuter avec le pouvoir. Qui a gelé les comptes ? Vous le savez très bien. Vous ne pouvez pas défier ceux qui doivent débloquer et leur demander de le faire en même temps. Il y a un langage pour obtenir ce qu’on veut. Quand vous perdez quelque chose ou bien vous l’obtenez au tribunal, dans un pays organisé, ou bien vous l’obtenez par le dialogue. Donc, pour moi tout ce résume à ce dialogue-là.
Lors de sa visite en France, le chef de l’Etat, évoquant ses nominations à forte dose nordiste, a parlé de «rattrapage» pour les communautés du nord. Quel est réaction face à un tel discours ?
D’abord, vous noterez que c’est pénible pour moi qu’on en soit encore là, à compter les ethnies. Je pense que lorsqu’un régime arrive, les membres de ce régime trouvent souvent des postes administratifs ou divers postes. C’est vrai, la politique c’est aussi ça. Les gens qui sont dans les pays développés quand ils gagnent les autres font les valises. Moi j’ai été président du Conseil économique et social, j’ai soutenu le combat du président Gbagbo. Dès que le nouveau pouvoir s’est installé, j’ai été limogé immédiatement. J’ai des rapports avec le pouvoir. Disons que ce sont des personnes avec qui j’ai travaillé hier aux côtés d’Houphouët Boigny. J’ai été le seul président d’institution débarqué qui a pris sa voiture et qui s’est rendu à l’investiture à Yamoussoukro. J’avais même demandé une chambre, je n’en ai pas eu. Moi, j’assume mes choix. Bien qu’ayant soutenu le combat de Gbagbo, je suis allé à l’investiture du nouveau président à partir du moment où tout le monde l’a reconnu comme chef de l’Etat. Je ne reviens plus sur les conditions dans lesquelles ça s’est passé. Donc au jour d’aujourd’hui, je ne souhaite pas qu’on en soit à calculer les ethnies. Sous Gbagbo on a eu à un moment donné, le président de l’Assemblée nationale du nord, le Premier ministre du nord, le président du CES du nord, le grand chancelier du nord, l’Inspecteur général d’Etat du nord… Il y en avait un peu partout, même à la Présidence. Aujourd’hui, le porte-parole du président Gbagbo, Katinan Koné, il est du nord. Je crois qu’il faut dépasser cela. Je ne sais pas dans quelle condition le chef de l’Etat a été amené à dire cela donc je ne veux pas le juger. Le président Houphouët faisait en sorte que toutes les régions soient représentées dan son gouvernement et autour de lui il y avait plusieurs ethnies. Moi, je crois que toutes les intelligences, toutes les capacités doivent être mises au service de la Nation.
Quel commentaire faites-vous sur la décision de liquidation annoncée des banques publiques ivoiriennes prise par Alassane Ouattara depuis Paris ?
Lorsqu’en tant que Premier ministre en 1990, le chef de l’Etat actuel procédait à des privatisations, j’étais au gouvernement. J’ai souvent été contre les privatisations. Dans la mesure où nous les nationaux, nous n’avons pas encore suffisamment de moyens pour racheter des entreprises d’Etat. Ça reviendrait à dire vendre nos entreprises et je ne souhaite pas cela, même si ça doit nous rapporter de l’argent. Il y a des sacrifices qu’on doit faire. Je ne veux pas dire que le président a lancé cette idée à tout hasard. Lui, c’est un économiste et moi un politicien. A l’époque bien qu’étant au gouvernement, j’étais contre la liquidation de la Caistab, du matériel d’entretien routier. Je pense qu’il y a de choses qu’on ne privatise pas à la légère. Il faut que nous ayons un minimum de capacité économique propre à nous. Lorsque le président Houphouët disait les jeunes seront, un jour, maîtres des instruments de développement, c’est ce que cela voulait dire. Je suis un nationaliste, ce qui appartient à la Nation pour moi c’est sacré. Si on doit en privatiser une partie dans l’intérêt de la nation, je suis d’accord. Mais, cette décision vient de ce que pendant la crise post-électorale les banques nationales ont aidé le pouvoir Gbagbo à tenir quelques mois. Au moment où la France avait fermé les succursales des banques françaises présentes en Côte d’Ivoire. Je crois que c’est ceci qui entraine cela. Dans ce cas là, comme tout le reste, il faut aller doucement. Je souhaite que le chef de l’Etat ne privatise pas toutes les banques nationales publiques. Je ne suis pas pour la privatisation à outrance. Il y a un minimum de patrimoine d’Etat qu’il faut sauvegarder.
L’Union africaine se trouve aujourd’hui avec des dissensions profondes dues certainement à la gestion approximative des conflits internes par l’institution. Le continent peut-il avoir un jour une union forte ?
La question mérite d’être posée. Après la génération des pères fondateurs, nous avions espéré que les successeurs auraient mieux fait, en conduisant les pays vers les vraies indépendances. Malheureusement nous sommes au regret de constater que dans certains cas, c’est encore pire qu’avec les pères fondateurs. J’explique cela par la mondialisation. Les pères fondateurs ne s’étaient jamais séparés à Addis-Abeba sans élire un président de l’OUA. Aujourd’hui, nous sommes dans une situation dominée par l’économie. La démocratie, le multipartisme ont favorisé la pénétration de l’Afrique par ceux qui gouvernent le monde. Parce que lorsque vous êtes deux et que l’un n’est pas d’accord, ils le soutiennent automatiquement. C’est plus facile aujourd’hui de nous dominer qu’hier où il y avait le parti unique. Ceci étant, il ne faut pas prendre cela comme excuse de nos échecs. Mais lorsque l’intérêt national ou l’intérêt du continent est clairement défini, vous devrez pouvoir dépasser ces clivages.
Lorsque les Occidentaux décident d’attaquer l’Irak, on n’entend pas leurs partis d’opposition. Mais c’est quand il s’agit de partager le gâteau, que ces partis se réveillent. D’ailleurs en Afghanistan, c’est maintenant qu’ils se rendent compte que les gens meurent. L’opposition n’a pas pu empêcher dans ces pays là qu’ils aillent à la guerre. Même chose quand il s’est agi d’attaquer Kadhafi et même nous la Côte d’Ivoire. On n’a pas entendu la voix de l’opposition française lorsqu’on bombardait la résidence du président Gbagbo, alors qu’il était à l’intérieur avec sa famille. C’est triste de constater que nous n’avons pas avancé, 50 ans après. Si vous cherchez bien, vous verrez les raisons qui ont fait qu’on n’a pas pu élire le président de la commission de l’UA. Il y a toujours la main de l’Occident derrière. Je ne condamne pas les chefs d’Etat actuels, mais j’essaie d’expliquer pourquoi ils sont souvent coincés et liés sur tel ou tel autre dossier.
Le Sénégal connaît une grave crise, avec le président Wade qui brigue un troisième mandat, contre vents et marées.
Vous savez quand nous étions en pleine crise ivoirienne, une délégation de parlementaires sénégalais était venue ici, conduite par le vice-président de l’Assemblée nationale, le Pr Iba Der Thiam. C’est un proche du président Wade. Quand ils m’ont rencontré, je leur ai dit que nous avons en Côte d’Ivoire le sentiment qu’il y a eu un déficit de solidarité dans notre affaire. Tous les pays voisins avaient été amenés à être contre nous. Je me souviens que fin 2005, c’est à dire à la fin du mandat du président Gbagbo, la Cedeao s’est réunie à Abuja pour réfléchir à ce qu’il fallait faire. Le mandat est fini, on ne peut pas aller voter parce que la moitié du pays est occupée par les rebelles, que faire ? C’est moi qui ai représenté le président Gbagbo, tous les autres étaient des chefs d’Etat. Ceux qui voulaient du départ de Gbagbo depuis longtemps ont voulu profiter de la fin de son mandat pour mettre à exécution leur plan. Quand nous sommes arrivés à Abuja, la proposition du Sénégal était écrite. Le Sénégal demandait que la gestion du pays passe aux mains du Premier ministre. Et comme le président n’est plus légitime, on ne l’appellera plus président mais chef de l’Etat. Il restera tout de même à la présidence, mais il ne gère plus le pays. C’est-à-dire une sorte de reine d’Angleterre. Ce débat a été très dur et cette position était conduite par le Sénégal. J’ai été très gêné parce que j’étais le seul qui n’était pas chef d’Etat. Quand on est dans ces conditions-là, il faut savoir parler. J’ai fait lecture du passage de la constitution qui résolvait notre problème. Mieux, j’étais parti avec la constitution. Nous avons démontré que notre constitution prévoyait ce cas de figure et que le président demeurait en place jusqu’à ce que les conditions des élections fussent remplies. Quand j’ai lu ce passage le président Obasanjo a interrogé de savoir pourquoi on se réunissait si la constitution ivoirienne prévoyait déjà ce cas de figure ? Il s’est étonné de ce que les présidents francophones qui savaient cette disposition de la Constitution ivoirienne n’en aient pas fait cas. «Si je savais, la réunion ne se serait pas tenue», avait-il ajouté. Et le problème a été ainsi résolu.
Donc, pour répondre votre question je ne veux pas juger la situation du Sénégal. Parce qu’à notre tour je n’avais pas accepté qu’ils portent aussi un jugement et qu’ils se mêlent de nos affaires. On avait même eu une altercation à Abuja, le président Wade et nous. Si notre exemple douloureux peut leur servir tant mieux. Si l’exemple encore plus douloureux de la Libye peut leur servir tant mieux. Personnellement je ne m’en mêle pas. Nous avons assez de problèmes en Côte d’Ivoire pour aller nous préoccuper de ce qui se passe à côté.
Réalisée par Frank Toti et Stéphane Bahi
Le Nouveau Courrier