J’ai souvent suivi le discours d’investiture des présidents américains. Mais celui de Donald Trump est, pour moi, le discours le plus important. En écoutant M. Trump, je n’ai pu m’empêcher de penser au discours du leader nationaliste congolais Patrice Emery Lumumba, le 30 juin 1960, à l’occasion de l’accession du Congo à sa souveraineté internationale.
La plupart des gens pensent qu’en décidant de prendre la parole ce jour-là (il n’était pas censé prendre la parole ce jour-là), Lumumba voulait répondre au roi Baudouin de Belgique qui venait de magnifier dans son discours l’œuvre coloniale. NON, le discours de Lumumba n’était en rien dirigé contre le roi belge, il se voulait plutôt une réplique cinglante à l’allocution du président Kasa-Vubu qui s’était, lui, aligné sur la position du roi. Même si le discours de Lumumba est très mal reçu dans les milieux belges, la réalité est qu’il était avant tout destiné au président qui se montrait complaisant à l’égard des anciens colons, et au peuple congolais pour que celui-ci n’oublie jamais qu’il est l’acteur principal de son indépendance.
Donald Trump fait exactement la même chose, en inversant les destinataires de son message. Dans les images, on le voit s’adresser directement au peuple américain qui l’applaudit de temps en temps. « La cérémonie d’aujourd’hui a un sens très particulier, car il ne s’agit pas seulement de transférer le pouvoir d’une administration à une autre ou d’un parti à un autre. Nous déplaçons le pouvoir de Washington pour vous le rendre à vous, le peuple des États-Unis » dit-il devant une foule enthousiaste.
Le message est clair et dénué de toute ambiguïté. Mais mes yeux et mes oreilles d’observateur avisé y décryptent cependant autre chose. En effet, contrairement à ce que disent les images, le nouveau président américain s’adresse non pas au peuple américain, mais bien à l’establishment US. Le discours de Trump est un message doublement subliminal à ceux qui ont pris l’Amérique en otage depuis plusieurs décennies; ceux-là que le président Dwight Eisenhower avait dénoncé dans son discours de fin de mandat, le 17 janvier 1961.
« Le risque potentiel d’une désastreuse ascension d’un pouvoir illégitime existe et persistera. Nous ne devons jamais laisser le poids de cette combinaison mettre en danger nos libertés et nos processus démocratiques » avait-il mis en garde. 56 ans plus tard, Donald Trump reprend le flambeau et fait observer : « Pendant trop longtemps, une petite élite de la capitale de notre pays a profité des avantages de notre gouvernement, pendant que le peuple en faisait les frais. Les politiciens ont prospéré, alors que le peuple n’a tiré aucun bénéfice de toutes ces richesses. L’establishment s’est protégé lui-même, mais il n’a pas protégé les citoyens de notre pays. Leurs victoires n’ont pas été les vôtres. Leurs triomphes n’ont pas été les vôtres.
Et pendant qu’ils faisaient la fête dans notre capitale nationale, il n’y avait rien à fêter dans les familles en difficulté partout au pays. À partir de maintenant, tout cela va changer. […] Le 20 janvier 2017 demeurera dans les mémoires comme le jour où le peuple aura repris le pouvoir au pays… »
Donald Trump utilise le « VOUS » pour désigner le peuple qui le regarde discourir, mais l’establishment ne se fait pas d’illusion; il a parfaitement compris que c’est à lui que le nouveau locataire de la Maison Blanche s’adresse avant tout. Reste à savoir si le nouveau président américain aura les coudées franches pour mettre à exécution ses promesses électorales. Sera-t-il capable de faire face à cette puissante dictature ( l’État profond) qui évolue à l’ombre de la démocratie américaine? Wait and see ohhh… comme on dit chez les Nigérians…
Patrick Mbeko
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