Esclavage en Libye: Ne nous bornons pas à dénoncer [Par Jean-Claude DJEREKE]

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Après avoir vu le reportage de CNN sur la vente d’Africains aux enchères en Libye, les Noirs ont d’abord crié leur indignation et leur colère; ils ont ensuite marché, massivement, dans les rues de Paris. C’était le 18 novembre 2017. Et, depuis lors, on voit, sur la toile, des vidéos sur la persécution, la maltraitance et le martyre des Africains dans les pays arabes, en Chine, en Inde ou en Afrique du Nord. On voit également des sportifs et artistes condamner, plus ou moins vigoureusement, les traitements inhumains et dégradants que subissent les migrants subsahariens en Libye. Fallait-il sonner le tocsin de la révolte et de la mobilisation? Était-il bon et juste de s’insurger contre cet énième crime contre l’humanité? Bien sûr que oui mais nous ne pouvons pas nous contenter de dénoncer l’inacceptable. Autrement dit: les indignations, condamnations et manifestations, quoique légitimes et nécessaires, ne peuvent pas être la seule réponse au drame que vivent nos frères en Libye. L’émotion collective doit déboucher sur un effort de compréhension, sur une recherche des causes (extérieures et intérieures) et des moyens d’arrêter définitivement ce mépris du Noir.

Lorsque j’affirme que le Noir (et pas seulement l’Africain) est méprisé dans le monde, je veux simplement faire comprendre ceci: nulle part, nous ne sommes les bienvenus, sauf si c’est pour accomplir les travaux bas et humbles (vider les poubelles, accompagner et nettoyer les personnes âgées, garder les immeubles et magasins, etc.); nulle part, nous ne sommes respectés ni considérés. Même les religions étrangères que nous avons embrassées ne nous prennent pas au sérieux. Nous y sommes fréquemment victimes de racisme et d’injustice. Notre peuple a subi ce qu’aucun peuple n’a encore subi: l’esclavage, la colonisation, la recolonisation. Nous sommes le seul peuple sur lequel tout le monde (Européens, Chinois, Indiens, Arabes, Juifs) se permet de cracher, le seul peuple que tout le monde exploite, piétine, maltraite et tue facilement. Quand les autres peuples souffrent et pleurent, nous sommes à leurs côtés. Nous ne les avons jamais laissés seuls dans leur détresse et malheur. Ainsi, nous avons participé à la Première Guerre mondiale qui n’était pas notre guerre; ainsi nous avons volé au secours de la France occupée et malmenée par Hitler pendant la Seconde Guerre mondiale; ainsi, nous marchâmes et pleurâmes avec François Hollande et ses compatriotes en janvier 2015 pour protester contre ceux qui avaient attaqué le journal satirique Charlie Hebdo. Mais, chaque fois que nous avons été confrontés à des épreuves, les Occidentaux ont regardé ailleurs; nos tragédies ne les ont jamais émus; les rares fois où ils ont daigné intervenir dans tel ou tel pays africain en difficulté, c’était pour piller les richesses de son sol et sous-sol comme en Côte d’Ivoire, en Centrafrique, au Mali ou en RDC. Je pourrais continuer à multiplier les exemples pour illustrer le fait que le Blanc ne s’est jamais préoccupé de notre sort. J’ai plutôt l’impression que son désir secret est que nous soyons tous décimés, ce qui lui donnerait enfin l’opportunité de profiter librement de nos ressources naturelles.

Le Noir est détesté et méprisé par le Blanc, le Jaune ou l’Arabe parce qu’il se déteste et se méprise lui-même. Si nous nous aimions, si nous étions fiers de ce que nous sommes et de ce que nous avons (religions, langues, coutumes, plantes médicinales, savoir-faire, etc.), certains d’entre nous (les présidents, ministres et hommes d’affaires) s’emploieraient à construire, dans leur pays, des routes, hôpitaux, écoles et universités dignes de ce nom au lieu de se soigner en Europe et d’y déposer des milliards volés au peuple, n’accepteraient pas que Français, Libanais, Grecs, Syriens, Marocains, Algériens, Tunisiens ou Turcs maltraitent et exploitent leurs compatriotes sur place, créeraient des emplois pour que la jeunesse désœuvrée ne soit pas tentée d’aller souffrir dans le désert ou la Méditerranée, cesseraient de favoriser les entreprises étrangères au détriment des locales. Je ne suis pas contre le fait que des mesures de réciprocité soient prises à l’égard de tout pays qui fera du mal à un Noir à l’avenir mais le remède qui nous guérira durablement se trouve en nous et chez nous: changer notre manière de voir et de faire, agir de telle sorte que les richesses nationales bénéficient à tous les citoyens et non à une poignée de personnes et aux multinationales françaises. Ce que je propose ici n’est pas une utopie car, si le Ghana est cité en exemple aujourd’hui, c’est parce qu’un certain Jerry J. Rawlings y a mis de l’ordre à un moment donné. En attendant que surgissent d’autres Rawlings dans les autres pays africains, la jeunesse et la société civile doivent se rebeller contre nos dirigeants et les personnes dont la richesse, parfois acquise de façon malhonnête, ne profite pas au pays. C’est contre ceux-là qu’il convient avant tout de marcher. C’est leur sommeil qu’il faut troubler chaque jour jusqu’à ce que les choses changent. Société civile et jeunesse africaines devraient déjà commencer par converger à Abidjan, fin novembre 2017, pour troubler la rencontre entre l’Union africaine et l’Union européenne car c’est bien avec l’accord des pays européens que les voyous libyens maltraitent et tuent nos frères dont la vente des organes rapporte beaucoup d’argent à certains Européens.

Jean-Claude DJEREKE

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