En attendant François !

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Du reportage dans les médias internationaux en général et sur TV5 en particulier, sur les manifestations de l’opposition togolaise réprimées dans le sang par le régime, doit-on surtout retenir ce slogan scandé par la foule : « François Hollande au secours!»? Je suppose que ce slogan était de circonstance devant l’ambassade de France, que par exemple, devant les autres chancelleries, il devrait être adapté et devenir :« Barack Obama au secours!», «Angela Merkel au secours!»…Il faut bien que les grandes puissances nous viennent au secours pour nous débarrasser du régime brutal et dictatorial du Togo.

Mais, que faisons-nous nous-mêmes?

Ce n’est pas seulement une question de notre dignité nationale diminuée, que notre aspiration à la démocratie et à un régime fondé sur la volonté du peuple togolais attende la solution de l’extérieur. Il ne s’agit pas non plus, par un réflexe anticolonialiste (la France étant l’ancienne puissance colonisatrice, comme on nous le rappelle souvent) de refuser de l’aide.

Mais,  ce que ce slogan me rappelle ne me met pas tellement en confiance. On a vu, après le 5 octobre, la confiance exagérée placée dans les grandes puissances  quant au processus de démocratisation dans notre pays, le cortège, souvent traînant des cadavres des victimes du régime ( ceux pêchés dans la lagune de Bé en particulier ), preuves concrètes des atrocités dont ce régime est capable, défilant devant les ambassades de ces pays, les applaudissements nourris dans la salle de la Conférence Nationale lorsque leurs ambassadeurs y faisaient leur entrée…On peut aussi rappeler l’espoir suscité par l’annonce ou plutôt la rumeur de l’arrivée d’une troupe française d’intervention en faveur des démocrates, au moment où l’armée togolaise avait commencé à massacrer les populations civiles et menaçait de bombarder la ville de Lomé, espoir, bien sûr déçu quand il se révéla que Mitterrand n’avait envoyé qu’une petite trentaine de paras à Cotonou. Non pas directement à Lomé, mais à Cotonou ( il paraît que dans leur villégiature, ils avaient pu atteindre la plage bien reposante d’Agoué où se trouvaient pas mal de belles filles). Manière bien particulière de venir au secours des populations togolaises en danger! Ce qui est sûr, c’est qu’ils n’avaient pas franchi la frontière.

On peut  se souvenir qu’une résolution du Parlement de Strasbourg avait, en 2005, condamné la mascarade électorale et le cortège de violences qui l’avait accompagnée, aux fins d’installer au pouvoir le fils de Gnassingbé Eyadema.  Et, la suspension de l’aide financière et économique de l’Union Européenne au gouvernement togolais pour raison de déficit démocratique a eu ses effets bien limités que nous connaissons tous. Cette mesure n’a pas changé la nature du régime, toujours basé sur la violence, la fraude, la défense par tous les moyens de la dynastie Gnassingbé.

 Qui a déjà été mordu par un serpent, se méfie d’un ver de terre, dit-on.

Je n’ai, personnellement aucune raison de ne pas faire confiance à François Hollande. J’avouerai même que, comme beaucoup d’Africains, je n’étais pas mécontent le 6 mai quand il a succédé à l’Élysée à Sarkozy que le peuple français venait de virer. Cependant, faisons attention. Ne soyons pas trop naïfs.

François Hollande est avant tout élu par les Français pour s’occuper des problèmes des Français, des intérêts français dans le monde et nul ne sait réellement comment il réagira, face aux revendications des Togolais, aux aspirations des Togolais, quand les intérêts français seront en jeu au Togo.

François Hollande n’est pas arrivé seul au pouvoir. Ses alliés et ses anciens camarades du parti socialiste dont les lignes politiques sont loin d’être unanimes sur tous les sujets ne nous rassurent pas quant à leur conception des relations avec les pays africains, en général et avec le Togo en particulier.

Enfin, il est trop tôt pour se prononcer, en ne se basant sur autre chose que sur les discours, sur la vraie volonté de changement dans la politique africaine  de la France. Ne condamnons pas la politique africaine de François Hollande avant de l’avoir vue  à  l’œuvre, mais ne l’applaudissons pas non plus avant de la voir traduite en actes concrets. Nous savons que ce qui prévaut  dans une éventuelle intervention des puissances étrangères dans nos affaires, c’est une certaine idée de l’équilibre, ou même un jeu d’équilibriste, sous le fameux prétexte de l’apaisement,  qui est souvent loin de correspondre aux aspirations de nos peuples. Que nous ont réellement «facilité» tous ces facilitateurs auxquels nous avons fait appel ou qui se sont eux-mêmes, d’une manière ou d’une autre, imposés dans l’histoire de notre lutte pour la démocratisation? À qui leur service a-t-il, en définitive, le plus profité, au camp de l’opposition démocratique ou à celui de la dictature?

Il faut être réaliste? Y a-t-il plus grand réalisme que de tenir compte des réalités vécues par le peuple togolais, et qui sont plus constituées d’échecs et de tâtonnements, de déceptions et de soubresauts, de deuil et de sursauts, de souffrance et de courage, d’exil et de retour, de cris dans le désert…que de succès éclatants remportés grâce à d’hypothétiques facilitateurs?

Il n’y a dans aucune chancellerie étrangère, aucun ministère des affaires étrangères de quelque pays que ce soit au monde, un tiroir contenant la solution toute faite aux problèmes d’un autre pays. Il n’y en a donc pas concernant notre pays.

J’ai entendu, échappée de la bouche de la journaliste qui présentait le reportage sur la manifestation réprimée sur TV5 dans le journal de 23 h 30 le 6 juillet, un lapsus qui m’a amusé, et en même temps m’a réjoui : «  le président togolais Jean-Pierre Fabre sera reçu prochainement… ». Or, Jean-Pierre Fabre à la présidence de la République togolaise, n’est-ce pas là notre revendication principale depuis le 5 mars 2010 ? N’est-ce pas aussi  cela que le prédécesseur de Hollande avait refusé de reconnaître, s’empressant d’envoyer un message de félicitations à Gnassingbé, après la mascarade électorale? On a même vu une journaliste française  au lendemain de l’élection de 2010, faire ouvertement le reproche à Jean-Pierre Fabre, de s’être proclamé vainqueur. Son statut  de journaliste  d’un  grand média l’y autorisait, peut-être. Ce temps est-il révolu?

Dans tous les cas, même pour créer les conditions du lapsus révélateur et peut-être prophétique de la journaliste le 6 juillet  2012, il a fallu que le peuple se mobilise et manifeste. Pour que Hollande fasse quoi que soit en faveur de la démocratie au Togo, il faut d’abord que les Togolais eux-mêmes fassent d’abord le travail à 99%. Alors, on demandera à Hollande, à Obama, à Merkel de faire le 1% restant. À attendre que ces Messieurs-Dame fassent les 99%, ne risquerait-on pas d’attendre Godot. Cela pourrait rimer en mina avec : «  Mi la va kpɔ gbloo! ». Oui, gbloo! Comme le bruit  d’un grand rêve, d’un espoir immense qui tombe dans le néant.

Sénouvo Agbota ZINSOU

 

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