Docteur Valère Somé : « Si Diendéré parle, je pense que beaucoup de gens vont fuir ce pays »

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Parce que c’est Diendéré qui va nous éclaircir sur tout ce qui est resté dans l’ombre depuis le 4 août 1983 jusqu’aujourd’hui

Pour beaucoup, le dénouement heureux de la crise du 16 septembre avec l’échec du coup d’Etat, qui laisse présager d’énormes espoirs pour la démocratie et la jeunesse burkinabè, constitue une seconde révolution pour le Burkina Faso. Elle vient après celle de 1983 dont le Discours d’Orientation Politique (DOP) avait été rédigé par Docteur Valère Somé et prononcé un certain 2 octobre 1983 par Thomas Sankara, président du Conseil National de la Révolution. A l’occasion du 32e anniversaire du DOP, nous avons approché Dr Somé pour qu’il revienne sur les circonstances de la rédaction de la célèbre référence théorique de la révolution du 4 août.

Docteur Valère Somé : « Si Diendéré parle, je pense que beaucoup de gens vont fuir ce pays »
Actualité oblige, l’homme d’octobre, comme il se définit lui-même, le socio-anthropologue a été amené à se prononcer sur la situation politique actuelle du pays, insistant pour que toutes les conditions de sécurité soient réunies pour le chef du putsch raté, Gilbert Diendéré, car il détient à lui-seul, selon Valère Somé, toute l’histoire du Faso et qu’il importe que sa vie soit sauve. Interview exclusive.

Expliquez-nous dans quel contexte vous avez été amené à rédiger le discours d’orientation de la Révolution ?

Dr Valère Somé : Avant de vous en parler, il faut savoir que j’étais un militant de l’UGEV (Union Générale des Etudiants Voltaïques), j’étais un militant de la FEANF (Fédération des Etudiants d’Afrique Noire en France). C’est en militant dans ce cadre-là que nous avons essayé de définir l’aboutissement de notre lutte revendicative en tant qu’étudiants. C’est à la FEANF qu’on s’est dit que l’étape prochaine de la lutte africaine, c’est la révolution nationale démocratique et populaire. Entre-temps, il y a eu au sein de l’UGEV une crise qui a donné naissance au M21 (Mouvement du 21 Juin) qui a entraîné ce que nous avons appelé le MONAPOL (Mouvement Nationaliste populiste), l’actuel ANEB. Et le débat s’est posé, à savoir si l’étape de la lutte à venir allait être sous la houlette de la RNDP ou de la RDP. La Révolution Nationale Démocratique Populaire telle que prônée aujourd’hui par l’ANEB et le PCRV, ils ont même évolué parce que maintenant ils parlent d’autre chose. C’est comme s’ils n’étaient pas passés par l’indépendance politique.

Il y a eu donc ce débat sur le concept de l’indépendance politique. Celui qui n’a pas compris l’indépendance politique, ne peut pas comprendre que nous ne sommes plus à l’étape de la révolution nationale démocratique et populaire, parce que la révolution nationale démocratique populaire est une révolution anti- coloniale. Donc, après que nous ayons eu l’indépendance politique, il y a eu une prédisposition des forces sociales. La lutte n’est plus nationale.

Au temps colonial, Il y avait les forces rétrogrades qu’on appelait les forces féodales, moi je n’ai jamais employé le mot féodal. Les forces rétrogrades traditionnelles, les petits commerçants, fonctionnaires, les petits bourgeois comme les Houphouët Boigny, Philippe Zinda Kaboré et autres. Tout le monde s’était lié pour attaquer le colonialisme, pour mener une lutte nationale. Mais, à partir du moment où nous avons débouté le colonialisme, et que le colon est parti, même s’il a mis en place ses alliés ou des intermédiaires, la lutte ne devient plus nationale, elle devient sociale, une lutte de classe sociale au sein de la nation. Donc, on ne peut plus parler de la RNDP. Ce sont ces débats que nous avons nourris et que Thomas Sankara suivis, qui m’ont fait grandir.

Le DOP n’est pas une invention, il est le fruit de nos luttes estudiantines. Donc, quand je suis arrivé au pays et il y a eu la révolution du 4 août 1983, on a mis en place une commission pour rédiger le DOP. A l’époque au CNR (Conseil National de la Révolution), il y avait le PAI, l’ULCR, et le groupe des militaires. Donc la commission était composée de Blaise Compaoré comme représentant des militaires, Valère Somé représentant de l’ULCR et Philippe Ouédraogo représentant du PAI. On a dit donc proposz-nous un projet d’orientation et nous nous sommes réunis. A l’époque Blaise occupait l’actuel siège de la chancellerie si je ne me trompe pas qui se trouve en face du siège du CES et nous nous sommes retrouvés là-bas à trois pour demander à Philippe Ouédraogo de dire que notre orientation, c’est la RNDP. Or, le PAI parlait de RPLN (Révolution Populaire de Libération Nationale). On a alors intimé l’ordre à Philippe, comme il est le grand frère, d’aller rédiger. Mais, le problème, c’est que Philippe avait un gros ministère. Personne dans ce pays n’a occupé un aussi gros ministère. Il était ministre de l’équipement et des transports. Moi, je n’étais rien, j’étais un petit fonctionnaire à l’UNICEF, oisif et Philippe était occupé.

Et voilà que Sankara m’appelle une semaine avant le 2 octobre pour m’informer qu’il devait aller à la conférence de Vitel, qu’il voulait ce discours avant son déplacement, de me débrouiller. Je lui rappelle que c’est Philippe qui devrait rédiger. Et il me rétorque qu’il ne veut rien savoir. C’est dans ce contexte donc j’ai commencé à écrire le discours d’orientation politique dans mon bureau de l’UNICEF. J’écrivais 10 pages et un certain sergent ou sergent-chef Dabré faisait la navette entre l’unicef où je travaillais et le conseil de l’entente où se trouvait le bureau de Sankara qui se trouvait à l’époque en face de Sitarail. Quand j’écris les 10 pages, on vient prendre aller taper sans me les ramener.

J’ai commencé un lundi jusqu’à jeudi. J’ai alors décidé d’arrêter et lorsque Dabré est venu je lui ai dit d’aller dire au président que je n’écrirais plus. Parce que c’est trop important pour qu’une seule personne l’écrive. Et Sankara, têtu et persévérant, n’a rien dit. Mais, le samedi matin, il envoie le chauffeur me chercher. Je suis allé le trouver et il me dit, « voilà nous allons terminer ». Il m’a pratiquement enlevé et on s’est assis samedi matin jusqu’à lundi 5 h du matin. Je ne faisais qu’écrire et lui il corrigeait les fautes. Et lorsqu’il m’arrivait d’écrire par exemple la lettre ‘’i’’ sans le point, il me le faisait remarquer et il mettait le point. Contrairement à ce que les gens pensent, je parle mal le français, mais mon avantage, c’est d’avoir des idées fortes. Alors que Sankara parlait très bien le français et très pointilleux.

Le dimanche, il a convoqué la presse pour 20 h pour venir enregistrer le discours au conseil de l’attente. Les journalistes sont arrivés mais nous n’avions pas encore terminé. Les journalistes ont attendu jusqu’à minuit. Le dernier mot du discours a été écrit à 20 h et Sankara est monté s’habiller. Et c’est dans la salle où il a été assassiné qu’il est entré avec les journalistes pour l’enregistrement du discours. Pendant que Blaise et moi étions dans la salle d’en-face en attendant qu’ils finissent. On était déjà lundi matin du 2 Octobre.

Pendant que nous attendions que Sankara finisse avec les journalistes, il nous fait appeler. Nous sommes rentrés dans la salle d’enregistrement devant tous les journalistes et il dit : « Valère, vous avez oublié la politique étrangère. Avant que je ne finisse, débrouille-toi pour trouver quelque chose pour que cela soit intégré dans le discours ». Blaise et moi sommes alors retournés dans notre salle d’attente. C’est là que j’ai rapidement rédigé quelque chose et suis venu le lui tendre devant les journalistes. Il l’a joint et en même temps il a lu.

Imaginez, si j’avais écrit des bêtises ? Il les aurait lues. Cela pour vous montrer à quel point Sankara nous faisait confiance. C’est en même temps qu’il lisait qu’il prenait connaissance du document. Voilà l’histoire du DOP.

Blaise n’est pas mort et je n’ai pas attendu que Blaise tombe pour que je dise ce que je suis en train de dire et les journalistes qui étaient là peuvent témoigner. Il était tout à fait normal qu’après cela, les gens aient conclu que c’est Valère qui a écrit le DOP. Ce n’est pas moi qui ai été le premier à dire que c’est moi qui ai écrit le discours, cela s’est passé devant les journalistes.

L’histoire du DOP n’est pas un acte de génie, c’est le résultat d’une expérience théorique acquise dans les mouvements d’étudiants. Je l’écrivais à main levée. C’est dans ce contexte que nous avons minorisé le PAI et notre ligne est passée sans oublier qu’on se connaît tous dans ce pays. Si Valère sort un tract ou écrit un discours, des gens vous diront que ces signes sont de Valère. Quand le 2 octobre Sankara a prononcé le discours, les camarades de ULCR (Union des Luttes Communistes Reconstruite) ont exulté car c’est notre ligne qui est passée. Voici l’histoire du DOP.

Qu’est-ce qui expliquait cette confiance de Thomas Sankara en votre personne ?

On se connaissait depuis l’enfance. On a fait l’enfance ensemble à Gaoua. Puis quand il était stagiaire au centre commando à Pau, en France, et moi étudiant activiste au sein de la FEANF, il quittait Pau, descendait à Paris et venait dans ma chambre pour me rendre visite. Entre lui et moi, c’était une longue amitié. Par la suite, quand j’ai fini mes études et suis revenu au pays, les week-ends, je prenais ma Yamaha dame de petit jeune fonctionnaire et allais dormir à Pô avec lui. C’est donc une longue amitié qui avait été nouée et qui faisait qu’il y avait cette confiance. Il connaissait ma valeur tout comme moi aussi je connaissais la sienne. C’est comme cela que la confiance s’était établie entre nous.

Le DOP contenant un certain nombre d’engagements qui devraient être mis en œuvre dans plusieurs domaines. A ce jour, quel bilan pouvez-vous faire de la mise en œuvre de ces engagements ?

Je dois rappeler pour mémoire que lorsqu’il y a eu le 15 octobre, les hérauts, les porte-paroles du front populaire, instrumentalisés par Blaise, ont dit que Thomas Sankara était en train de modifier le DOP, de tourner le dos à la révolution. On a aussi instrumentalisé des journalistes comme Gabriel Tamini qui sont montés à la radio dire que Thomas Sankara est en train de réviser le DOP, des gens qui ne connaissent même pas le contenu du DOP et vous accusez que le père fondateur du DOP est en train de le modifier. Cela parce que simplement le 4 août 1987 à Bobo, à l’an 4 de la révolution, Sankara a dit que la révolution a commis des erreurs, que ce n’est pas parce que des gens ne sont pas dans la révolution qu’ils sont contre la révolution. C’est ainsi que des rectificateurs du front populaire étaient venus en principe pour radicaliser la révolution parce que Sankara était en train, selon eux, de ramener les gens à la droite de la révolution. Il faut que cela soit précisé dans la mémoire des gens. Comme on dit, quand tu veux abattre ton chien, tu l’accuses de rage et cela, les gens l’oublient. Je sais que des cassettes de la période ont été conservées et tout cela pourra sortir un jour.

On a accusé Sankara de vouloir rectifier la révolution pour pouvoir prendre le pouvoir et rectifier la révolution. On a dévié le langage pour pouvoir radicaliser la révolution et on a vu que cela est finalement tombé dans les bras de Houphouët Boigny. C’était cela le programme du Front populaire.

Je ne parle pas des petits excités communistes qui étaient dans le front populaire comme les Etienne Traoré qui n’avaient pas compris que Blaise les utilisait. Aujourd’hui ils ont compris mais ils ne font même pas leur autocritique. Est-ce que vous savez que c’est Etienne Traoré qui a écrit le discours du 15 octobre, le discours le plus infect. Je précise et je m’assume. S’il répond, on va aller loin. Un homme qui a pu écrire ce discours du 15 octobre peut-il être bon, discours dans lequel on a sali Sankara, un homme qui a pu écrire un tel discours peut-il être un bon type ? Cet Etienne Traoré et ceux-là qui sont encore là en train d’entuber le peuple avec des discours. Qu’on me dise qu’on se soit trompé, d’accord. Mais, qu’on ait le courage d’assumer ses fautes et faire son mea-culpa, mais on ne peut pas continuer de tromper le peuple.

Je l’ai découvert récemment : c’est Etienne Traoré qui a écrit le discours du 15 octobre et je ne le lui pardonne pas. Celui qui a pu écrire un tel discours est un minable, c’est moi qui le dis. S’il dit que c’est faux, il n’a qu’à répondre. Le Front populaire a liquidé tous les acquis de la révolution.

Je n’aime pas attaquer depuis que Blaise est tombé, je n’attaque pas quelqu’un sur un rapport personnel. Blaise et moi nous avons été amis sous le CNR mais je défends des idées. Le plus grand crime, je ne dirai pas de Blaise parce que Blaise n’est rien, il n’est qu’un pion du système, les gens du système sont encore là. Le plus grand crime, c’est d’avoir tué l’homme burkinabè, l’homme nouveau qu’on voulait créer : le burkinbila. On a banalisé le Burkinabè, tout le monde est devenu corrompu. La corruption s’exerce depuis la tête jusqu’en bas, chacun veut manger là où il est attaché. La vie d’une ou de quelques personnes, ce n’est pas ça le plus grand grime du régime du front populaire, mais l’essence de l’homme. C’est ça le plus grand crime, je ne dis pas de Blaise Compaoré mais du régime du Front populaire et les comptables de ce régime sont encore là. C’est cela qui va être difficile de reconstruire, même après les élections. Le régime qui va arriver après les élections a du pain sur la planche.

Vous y êtes déjà. Quelle lecture faites-vous de la situation politique nationale caractérisée ces derniers jours par l’échec du putsch du Conseil National pour la Démocratie (CND) ?

Dr Valère Somé : Dans l’interview que j’ai accordée à Bendré, j’ai dit que la transition nage dans des contradictions. On a pas besoin d’être un charlatan ou un sorcier pour savoir que la transition sera perturbée, j’ai dit que la transition a commis une erreur et je le maintiens, d’avoir procédé à l’exclusion. Je le redis, la tentative de révision constitutionnelle qui a conduit à l’insurrection populaire, n’a été que la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Le verre était plein. C’est 27 ans de gestion catastrophique qui ont rempli le vase.

Quels sont ceux qui ont géré ce pays pendant 27 ans ? Je vous pose la question. Quand des gens comme les Salif Diallo aujourd’hui se disent des Sankaristes alors que pendant 27 ans, ils ont induit Blaise Compaoré en erreur. Comment on va venir exclure les derniers membres du gouvernement, ceux qui sont arrivés deux ans seulement aux affaires alors que ceux qui ont géré 27 ans ce pays, ont embastillé ce pays, ont pillé ce pays, et sont devenus des milliardaires, ne sont pas inquiétés ? Que Salif Diallo me dise ce qu’il a hérité de son père pour être milliardaire. C’est avec Blaise qu’il s’est enrichi. Je parle de Salif Diallo parce que c’est lui que j’ai ciblé, mais allez-y enquêter. Où tous ces candidats à l’élection présidentielle qui ont déposé 25 millions de francs ont eu l’argent ? La plupart se sont enrichis avec Blaise. Je repose ma question : quels sont ceux qui ont rempli ce verre-là ?

On dirait qu’on a donné aux Burkinabè du nassidji pour boire et ils sont devenus bêtes. On élimine une portion et on laisse l’essentiel. 27 ans durant des gens ont embastillé ce pays, ils ont pillé ce pays et c’est maintenant qu’ils viennent vous montrer leurs mains propres. Je ne suis pas d’accord avec cette façon de faire. Ou tout le monde se présente ou personne ne se présente, voilà ma position et elle reste intraitable malgré ce coup d’Etat débile, ce coup d’Etat infantile que Diendéré a tenté. On n’avait jamais vu un coup d’Etat aussi bête ! Donc, c’est pour dire que je condamne ce coup d’Etat.

Depuis le front populaire, on n’a plus d’armée, nos généraux ne sont plus des généraux, sinon comment on peut faire un tel coup d’Etat. Moi, je ne suis même pas général, je suis un simple civile mais je ne ferai pas un coup d’Etat pareil. Ils n’ont pas compris que le pays est en train de changer, je ne dis pas que le pays a changé. C’est le coup d’Etat le plus débile, indigne d’officier supérieur. Je l’ai toujours dit, les militaires sous-estiment les civils. S’ils étaient venus me voir, je leur aurais fait un coup d’Etat prêt à porter. C’est pour vous dire que je ne suis pas contre les coups d’Etat, mais celui-ci, je le condamne.

J’en profite pour dire attention : Diendéré a été arrêté, Dieu merci, mais il faut que la jeunesse se calme, il faut laisser les passions se taire. Parce que c’est Diendéré qui va nous éclaircir sur tout ce qui est resté dans l’ombre depuis le 4 août 1983 jusqu’aujourd’hui. Diendéré doit parler devant la justice du peuple. Des gens ont dit qu’ils avaient prévenu Diendéré de ne pas faire le putsch. Cela signifie qu’ils étaient au courant du coup. Mais, pourquoi n’ont-ils pas prévenu les autorités de la transition ? Il ne faut donc pas que Diendéré meurt, il va négativement instruire le peuple Burkinabè. Si on me dit demain que Diendéré s’est suicidé, je ne croirai pas, si on me dit que Diendéré a tenté une évasion où on a tiré sur lui, je ne croirai pas. C’est pour cela, j’invite la jeunesse a rester calme, à taire leur passion parce que Diendéré va nous éclairer, Diendéré va parler et il faut qu’il parle.

C’est plus important que sa vie, faisons tout pour que Diendéré soit en sécurité parce que c’est l’histoire du Burkina qu’on va préserver à travers l’individu. Diendéré ne doit pas mourir, il doit parler. S’il disparaît, ce sera un pan entier de notre histoire qui va être enterrée. Même Blaise ne peut pas répondre à la place de Diéndéré. C’est le détenteur de l’histoire de notre pays. Si Diendéré parle, je pense que beaucoup de gens vont fuir ce pays. Que ce soit ceux qui sont dans le gouvernement de la transition ou ceux qui sont dans les partis politiques, beaucoup de gens vont fuir. C’est pourquoi, je prie Dieu et je demande aux jeunes de tout faire pour préserver la vie de Diendéré. Si l’on vous dit que Diendéré est mort ou qu’il s’est suicidé, ne croyez pas.

La sortie de votre livre « Les nuits froides de décembre (L’exil ou…la mort) » continue d’alimenter la polémique. Beaucoup s’interrogent encore sur l’opportunité de sortir ce livre à l’approche des élections…

(Le ton monte brusquement). Vous êtes analphabète ou quoi ? Est-ce que vous avez lu mon livre ? Répondez à ma question.

Docteur, on ne répond pas à une question par une autre question. Si je vous pose la question, ce n’est pas en mon nom propre mais au nom de tous ceux qui auraient aimé vous poser cette question…

 J’ai bien expliqué dans l’avant-propos du livre que je n’avais pas l’intention d’écrire ce livre. Bien avant, dans une interview au journal Le Quotidien, j’avais annoncé que j’étais en train de travailler pour le faire en fiction. Mais, voilà que le colonel Jean Pierre Palm, le 18 juillet, sort sur radio Liberté et m’attaque, me faisant passer pour un menteur. C’est pour cela que j’ai décidé de le publier tel. Je n’ai pas choisi le terrain, je n’ai pas choisi le moment, le moment a été choisi par le colonel Jean Pierre Palm et Salif Diallo, qui n’ont pas tenu compte du contexte pour m’attaquer. Si le livre était sorti 5 mois avant l’insurrection des 30 et 31 octobre ma réponse serait sortie 4 mois avant l’insurrection, si l’attaque avait été faite après les élections, 4 mois avant, 3 mois après, mon livre serait sorti. Je n’ai pas choisi ni le terrain ni le moment, c’est mes adversaires qui ont choisi le moment, donc ne venez pas me retourner la question.

Dans l’avant-propos de mon livre j’ai été très clair, et je dis et je le répète, je ne serai jamais le premier à attaquer. Mais, quiconque m’attaque, je réponds, c’est la légitime défense. Je ne me suis pas levé comme ça pour attaquer, ils m’ont cherché sur le terrain et ils ont choisi leur moment, qu’ils assument. Des journalistes m’ont dit que Salif Diallo allait m’entraîner devant la justice, j’ai dit que je n’attendais que cela. C’est plutôt moi qui peux intenter un procès contre le colonel Jean pierre Palm, mais je ne suis pas vindicatif et j’ai dit que je ne le ferai pas, mais s’il persiste, je serai contraint moi-même d’intenter un procès parce que les crimes de sang sont imprescriptibles. S’il continue de m’emmerder, c’est moi qui porterai plainte mais je n’ai pas besoin de cela. J’ai plutôt besoin de la réconciliation nationale.

Justement, quelle réconciliation nationale pour le Burkina Faso ?

Je profite de votre question pour dire que les intellectuels africains sont des perroquets. Quand, à La Baule, on a dit sans démocratie il n’y a pas de développement, tous les intellectuels ont embouché la trompette sans réfléchir. Plus tard en Afrique du Sud, quand il a été question de vérité, justice et réconciliation nationale, tout le monde a encore embouché la même trompette. Croyez-vous qu’en Afrique du sud toute la vérité a été dite ? Non.

Mais, venons-en aux traditions africaines, aux fondements africains où l’on n’a pas besoin de vérité et justice pour faire la réconciliation. Quand dans une famille africaine des frères en arrivent à prendre des couteaux et qu’un s’exile et que 10 ans après on arrive à regrouper tout le monde, on ne cherche pas à savoir où est la vérité, ni la justice. Le chef de famille dit c’est terminé, plus jamais ça et on n’en parle plus. C’est ainsi que fonctionnent nos traditions. Donc, il faut que nous repartions sur nos propres valeurs pour reconstruire ce pays- là. C’est ma conviction d’intellectuelle, la réconciliation peut se faire sans qu’on ne passe par la justice. La justice, la vérité c’est bien, mais ce n’est pas forcé de passer par là. A un moment donné, tout le peuple s’engage pour dire plus jamais ça et on pardonne.

Pardonner, ce n’est pas oublié. Moi j’ai pardonné à mes tortionnaires, et comme je le dis, la haine tue d’abord celui qui la porte avant d’atteindre celui contre lequel la haine est dirigée. Débarrassons-nous de la haine pour prendre un nouveau départ. Ne prenons pas le schéma des autres peuples. Fait un tour chez le Moogho Naaba, vous verrez son mode de règlement des conflits. Je sais que ce que je dis est un concept qui va choquer mais c’est une vérité incontournable. Mon souhait, c’est qu’il y ait une réconciliation nationale qui s’appuie sur nos cultures, sur nos ressorts internes. Décider qu’on ne va pas revenir sur le passé mais que chacun doit s’engager à ce que le passé ne revienne plus. Parce que si on veut faire d’abord la vérité et la justice-là, on fera 10 ans et cela ne suffira même pas parce qu’on devra remonter depuis 1960 jusqu’à maintenant, on passera toute notre vie à la réconciliation nationale au lieu de nous consacrer aux tâches du développement. Que chacun vienne s’engager, selon son appartenance confessionnelle ou sa foi, les mains sur le Coran, la Bible, le Tengkouré.

Entretien réalisé par Grégoire B. Bazié
Lefaso.net    

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