Ce qu’on sait déjà, presque avec certitude, c’est que :
1) Gnassingbé n’accepterait d’aller au dialogue que si toutes les conditions étaient réunies pour qu’il en sorte grand vainqueur, in fine. Cela signifie qu’avant tout il conserverait le pouvoir et que même s’il faisait des concessions à l’opposition dans l’immédiat, le temps, les hommes aux postes-clés dont le choix avant tout dépendrait de lui, l’argent et autres moyens à sa disposition, lui permettraient à la longue de récupérer la totalité du pouvoir ; pensez aux vingt-cinq dialogues passés, en particulier au plus connu, au plus retentissant, l’APG. L’obsession totalitaire, les Gnassingbé l’ont dans le sang, ne leur demandez pas autre chose.
2) Gnassingbé n’accepterait pas de s’assoir à la même table de négociations que ceux qui aujourd’hui le contestent et qui, appuyés par des centaines de milliers de Togolais aussi bien à l’intérieur du pays que dans la diaspora, réclament sa démission ; on connaît son argument : il serait au-dessus du dialogue. On a déjà entendu ses « lieutenants faire des déclarations tonitruantes dans ce sens, sans aucune crainte d’être taxés d’adopter une attitude arrogante, pas du tout propice à un dialogue où les protagonistes arrivent, non seulement dans le respect les uns des autres, mais aussi reconnaissant humblement que, pour que le pays en arrive à une situation, à une crise telle que le dialogue devienne indispensable pour la résoudre, ils devraient considérer leurs vis-à-vis comme des égaux. Gnassingbé et ses partisans, au vu de leurs comportements observés jusqu’ici, sont incapables de reconnaître que l’humilité dans la situation présente est non seulement une force et non une faiblesse, mais aussi le choix d’hommes et de femmes qu’habitent un esprit de discernement, un patriotisme réel, une grandeur humaine que l’on est en droit d’attendre de tous nos concitoyens dans ces moments sombres de crise. Ces vertus leur faisant cruellement défaut, il ne leur resterait plus que le mensonge, instrument au maniement duquel le système est habitué. Même le mensonge le plus grossier, le plus ridicule ! Il faut s’y attendre : par exemple, ils seraient capables de répéter que les centaines de milliers de manifestants dans la rue réclamant la démission de Gnassingbé seraient des terroristes, des djihadistes qui, un jour du 19 août 20017, auraient envahi le Togo.
3) Que Gnassingbé participe lui-même au dialogue (ce qui me paraît improbable, car il ne semble pas posséder cette grandeur humaine dont je parle) ou qu’il s’y fasse représenter par des membres de son gouvernement, de son parti, ceux-ci n’accepteraient rien de ce qui pourrait ressembler à une perte du pouvoir, dans sa totalité, ni même en partie : pour cela, ils sortiraient les pièces rouillées de leur vieille boite à outils politique datant de l’époque de Gnassingbé, le père, à savoir :
a) Que Gnassingbé est au pouvoir par la volonté du peuple (l’argument serait qu’il est démocratiquement élu, que la communauté internationale a reconnu son élection). Ouvrons une parenthèse : la jauge de la légitimité au temps de Gnassingbé, le père, à défaut d’élections, était ce qu’on appelait « manifestations-monstres » et qui rassemblaient bien moins de monde que les foules dans la rue aujourd’hui contre le fils Gnassingbé. Parenthèse fermée.
Qu’il ne peut quitter la présidence en plein mandat ; pour étayer leur « raisonnement », ils insinueraient que ce pouvoir a une vision, un plan d’actions, qu’il a déjà réalisé de grands travaux et qu’il n’est pas question qu’il abandonne ce chantier à des gens dont il n’est pas sûr qu’ils le mèneraient à bout ; ils ressortiraient même ce proverbe déjà cité par Gnassingbé dans son discours de fin d’année, le 3 janvier dernier, à savoir que c’est à partir de l’ancienne corde que l’on tresse la nouvelle. Et si on leur rétorquait que les tresseurs de cette corde des Gnassingbé (voir mon article précédent Les deux cordes), dont l’origine remonte au coup d’État du 13 janvier 1963 perpétré à l’instigation de l’ancienne puissance coloniale, n’ont jamais pris en compte les traditions profondes, les valeurs et les aspirations du peuple togolais, ils s’étonneraient de ce fait, puisqu’ils avaient réussi à l’imposer au même peuple togolais pendant plus de cinquante ans ! Nos négociateurs de l’opposition auront-ils le courage de faire remarquer qu’en fait, ce ne sont pas les Gnassingbé tout seuls ( père et fils) qui ont pu imposer ce régime ( cette corde ) mais l’ancienne puissance coloniale et que chaque fois que le régime est menacé, la préoccupation de la France, concernée, est de savoir par quels hommes elle pourrait maintenir cette corde d’une servitude qui ne dit pas son nom?
La récurrence des expressions telles que « libérer le Togo », « le peuple togolais est pris en otage par le clan Gnassingbé » « Sauvons le Togo »…montre clairement que la situation du Togo sous les Gnassingbé est aussi suffocante, aussi insupportable que celle d’un pays sous le joug colonial. Sinon pire ! Au mot d’ordre d’Ablodé (liberté) en usage parmi les résistants pendant la lutte anticoloniale, revenu sur les lèvres des manifestants d’aujourd’hui, s’ajoute celui inventé dans les années 2000 : « Faure must go ! » que l’on n’a plus besoin de traduire aux Togolais.
b) Que pour un retour à la Constitution de 1992, il faut recourir au référendum. On entendrait tout le juridisme poussiéreux et inutile au Togo ! Vaut-il la peine d’opposer aux représentants de Gnassingbé l’argument suivant : pour le système, tel qu’il est conçu et fonctionne avec tous ses dispositifs en place, tout comme pour ses réseaux de soutiens internationaux ( puissances étrangères, milieux d’affaires, médias à la solde et autres prédateurs et profiteurs), référendums, Constitution, élections, réformes et même institutions au Togo n’ont de sens que s’ils ont pour fin le maintien en place d’un règne dont ils profitent tous, le règne des Gnassingbé ?
Si l’on voulait parler brièvement de la notion et de la vertu du dialogue dans le système Gnassingbé (ce sera notre manière de conclure en laissant le lecteur lui-même répondre à la question de savoir si le dialogue a un sens chez les Gnassingbé) il n’est pas inutile de se rappeler que deux frères Gnassingbé s’étaient farouchement livré la guerre autour du trône paternel et que celui des deux qui y est assis et qui a réussi à le conserver à ce jour, ne l’avait pu que parce qu’il avait vaincu l’autre les armes à la main.
Au moment où j’écris ces lignes, j’apprends que le vaincu de cette bataille, Kpatcha, qui avait été condamné et emprisonné, venait d’être libéré. Cette libération peut-elle compter parmi les mesures d’apaisement que réclame l’opposition togolaise, comme préalables au dialogue ? Ne s’agit-il pas plutôt d’une comédie destinée à nous distraire de l’essentiel et ainsi alimenter nos conversations? A moins que l’actuel détenteur du trône cherche à se concilier les bonnes grâces d’une certaine partie de l’opinion publique de la tribu qui n’aurait pas apprécié l’emprisonnement de Kpatcha ; ce dernier ne s’était-il pas vanté d’être « un 100% » ? Quoi ? Kabyè ? Fils d’Eyadema ?). Ou encore, à moins qu’il s’agisse d’une injonction venue de Paris.
Dans tous les cas, cette libération n’est pas la préoccupation première du peuple togolais. Dans tous les cas aussi, cette mesure peut être interprétée comme un des nombreux signes de fébrilité et de vacillation du système en ces heures qu’il traverse.
Il est facile d’envisager par ailleurs que les tenants du pouvoir Gnassingbé, sur ordre du roitelet, quittent la table de négociations à chaque fois qu’ils seront à court d’arguments face à leurs contradicteurs ; on l’a vu, non seulement à la Conférence Nationale, mais aussi au dialogue de Colmar en 1992. Comment s’étonner que ces gens nous lancent une provocation à la guerre civile si nous tenons au départ du pouvoir de leur champion ?
Pour ma part, la voix du maître (l’ancienne puissance coloniale s’entend), l’argument de la violence et des armes, la ruse et la fausseté, ajoutés à toutes les formes de corruption, sont les seules voies que connaisse le clan Gnassingbé. Pas le vrai dialogue. Il en a donné la preuve à plusieurs reprises aux Togolais.
Alors, dialogue ? Dans les conditions qu’on sait ? « Non, merci ! ».
Sénouvo Agbota ZINSOU
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