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CE JOUR-LA… 8 juin 1971, le Président Mobutu enrôle, par force, tous les étudiants congolais de l’Université Lovanium (actuelle Université de Kinshasa) dans l’armée, à l’exception des étudiants étrangers (belges, burundais, camerounais, rwandais…).
En 2019, Ngimbi Kalumvueziko, ancien étudiant de Lovanium et un des membres de mon forum « Et Si Nous Parlions d’Histoire? » (sur Facebook), avait livré ce témoignage que j’avais posté à l’époque et que je reprends de nouveau ici. Sur la photo, la tête de Ngimbi est encerclée. Ses autres camarades, de gauche à droite, sont Léonie Kubukubu (vivant actuellement à Philadelphia, aux USA), Véronique Kakiese (actuellement Chef du Département de Dermatologie aux Cliniques Universitaires de Kinshasa) et feu Floribert Tshamala. === Dans ces premières années de pouvoir de Mobutu, l’université Lovanium, la bien nommée « Colline inspirée » (pour sa situation sur les hauteurs de l’Est de Kinshasa et la grande liberté de son enseignement), était un foyer actif du savoir, de l’expression critique et aussi de la contestation. Menés par leurs associations, l’Union Générale des Étudiants du Congo, UGEC et l’Association des Étudiants de l’Université Lovanium, AGEL, les étudiants ne manquaient aucune occasion pour exposer les contradictions dans les choix du pouvoir et même contester certaines de ses initiatives. Le 4 juin 1969, ils descendent de leur « Colline inspirée » pour exprimer par des marches à travers la Ville des revendications sur l’augmentation de la bourse d’étude et l’amélioration des conditions salariales des travailleurs. Craignant que les autres couches de la population suivent le mouvement estudiantin, le pouvoir, pris de panique, réagit avec violence. Les forces de l’ordre ouvrent le feu sur les manifestants, faisant des dizaines de morts, voire une centaine selon de nombreux témoignages. Les corps des victimes sont vite ramassés et enterrés à la sauvette dans des endroits tenus secrets. Trois mois plus tard, entrant à l’Université Lovanium, j’étais frappé par la lourde atmosphère ambiante qui y régnait.
Les étudiants, les professeurs, les employés de l’Université, bref toute la communauté universitaire était encore sous le choc. Par crainte de représailles sans doute, personne n’avait eu le courage de recenser les étudiants. Le bilan exact de la répression ne sera jamais connu. Les étudiants pourtant n’avaient pas oublié leurs camarades morts et tenaient à honorer leur mémoire. Ainsi le 4 juin 1971, jour du deuxième anniversaire des événements du 4 juin 1969, des manifestations commémoratives, dont un culte religieux et une marche silencieuse sur le campus furent organisées.
Un cercueil symbolique fut enterré sous une stèle commémorative devant le bâtiment principal de l’Université. Pour Mobutu, ce fut une provocation. Sa réaction ne se fit pas attendre. Dès le lendemain, des soldats de l’ANC investissent le campus. Ils déterrent le cercueil et détruisent la stèle. Tenus à distance, nous assistions passivement à l’effacement du souvenir de nos camarades victimes de la sanglante répression du 4 juin 1969. Mais très vite, notre passivité se transforma en révolte lorsque les soldats s’en prirent à l’aumônier catholique de l’Université, l’Abbé Thysman, que nous appelions affectueusement Grand Frère, en reconnaissance de sa très grande disponibilité à aider par des conseils et parfois financièrement les étudiants en difficultés pour résoudre divers problèmes sociaux. Grand Frère était malmené par les soldats qui réussirent à le traîner dans un véhicule en se frayant grâce aux coups de feu tirés en l’air un passage à travers la pluie de pierres et divers autres projectiles qui s’abattaient sur eux. On apprendra quelques heures plus tard qu’il avait été immédiatement expulsé du Congo. Son seul tort était d’avoir célébré le culte religieux.
Le même soir, le gouvernement décida la fermeture de l’Université Lovanium et l’enrôlement de tous les étudiants dans l’armée nationale pour une période de sept ans. Il s’agissait d’après le gouvernement d’une mesure disciplinaire pour faire des étudiants des citoyens responsables et respectueux de l’État. Mais en réalité, Mobutu était déjà très irrité par les critiques des étudiants vis-à-vis de ce qui apparaissait comme un culte de vénération et de dévotion à la limite de la sanctification qu’il voulait imposer au peuple pour honorer la mémoire de sa mère, Maman Yemo, décédée quelques semaines plus tôt. Peu avant, son maître propagandiste, le Ministre de l’Information Dominique Sakombi, avait été conspué lors d’une conférence sur sa vision politique. Tout cela avait certainement déterminé le comportement de Mobutu qui, sans doute pour se venger, a pris des mesures extrêmes dont les conséquences n’avaient pas tardé à se traduire par la désarticulation de tout le système de l’enseignement supérieur et universitaire. En effet, Mobutu avait dans la foulée décidé la fermeture des deux universités confessionnelles, l’Université Lovanium, catholique, à Léopoldville, et l’Université Libre du Congo, protestante à Stanleyville, et de l’unique université étatique, l’Université Officielle du Congo à Élisabethville, et la création d’une seule institution universitaire, l’Université 179 Nationale du Zaïre, UNAZA, par l’intégration des trois anciennes.
L’enrôlement militaire décidé, nous devions tous être conduits dans les casernes militaires de Léopoldville. Nous étions environ 4.000 repartis dans trois sites, le Camp d’Entraînement des Troupes Aéroportées, CETA, à Ndjili, le camp de la Compagnie Logistique et des Transports, à Kintambo et le camp Tshatshi dans lequel se trouvait la résidence de Mobutu à Ngaliema. Aucune structure d’accueil n’ayant été prévue, nous étions regroupés sur des terrains vagues, où les premières semaines nous dormions à même le sol en plein air, avant que ne soient installées des tentes. Par manque de sanitaires, nous étions obligés de faire nos besoins dans la nature. À notre arrivée dans les camps, les militaires, leurs épouses et enfants, s’étaient rués sur nous pour nous faire subir un passage à tabac en règle. Par des coups de poing, de pied, ou de fouet, des jets de pierre ou de touts autres projectiles, ils rivalisaient de zèle pour nous infliger la punition que, comme ils le disaient, nous méritions pour avoir osé défier Mobutu. Ne leur avait-t-il pas été dit que les étudiants étaient des éléments dangereux au pouvoir? En plus, il s’agissait pour eux qui avaient de l’universitaire l’image d’un personnage inaccessible, de nous ramener sur terre. Peut-on leur en vouloir quand on sait qu’à l’époque, l’étudiant universitaire vivait dans un milieu déconnecté des réalités sociales? Nous recevions une bourse d’études suffisante pour couvrir nos besoins élémentaires.
La qualité du logement (confort des chambres, services de blanchisserie) et de la restauration était comparable à celle d’un hôtel de classe 3 étoiles. Nous bénéficions en plus d’un service de transport opérationnel en permanence. Ces conditions, en plus de la qualité de l’enseignement, faisait de l’Université Lovanium l’une des meilleures d’Afrique. Les professeurs de renom qui venaient régulièrement d’Europe, voire d’Amérique pour enseigner ou donner des conférences y trouvaient un cadre approprié au développement du savoir. Dans ces conditions, être étudiant à l’Université Lovanium pouvait être considéré comme un privilège exceptionnel. Les premières semaines dans les camps militaires furent très éprouvantes. Non seulement à cause des conditions de vie particulièrement difficiles, mais surtout des brimades de toutes sortes, des actes d’humiliation et des corvées de travail imposées sans arrêt. Un traitement de prisonniers de guerre. Certains jours à l’aube, nous étions réveillés pour nous aligner en position de « garde-à-vous » sur le passage de Mobutu qui avait l’habitude de marcher pour se rendre à son bureau.
Ainsi, il pouvait se délecter de la satisfaction d’avoir soumis les contestataires que nous étions. Au fil des jours, une familiarité commença à se créer avec les soldats. Certains s’étaient découvert des liens tribaux ou familiaux lointains. D’autres s’étaient simplement liés d’amitié avec des étudiants. Désormais, nous pouvions après les corvées journalières, passer les soirées dans les familles des militaires, où d’habitude nous partagions des repas dans un cadre familial. Les repas et les boissons étaient évidemment payés par les étudiants, ce qui arrangeait bien les militaires dont la solde était modique. Ces longues soirées passées chez les militaires furent pour nous l’occasion d’expliquer les motivations de la contestation estudiantine et de discuter avec eux des problèmes politiques et sociaux du pays. Pour Mobutu, le danger de conscientisation politique des militaires était réel.
C’est ainsi qu’il mit brutalement fin à notre séjour dans les casernes, trois mois à peine après notre arrivée. Nous devions regagner le campus universitaire et reprendre les études tout en restant sous le statut militaire avec le grade de sergent. Un spectacle de grande désolation nous y attendait. L’Université avait subi un pillage en règle. La reprise des activités académiques était tâtonnante; il fallait répartir les étudiants et les professeurs entre les trois campus de la nouvelle Université Nationale, organiser la vie militaire des étudiants militaires qui devaient en même temps s’acquitter de leurs obligations d’étude.
À cela s’ajoutaient les difficultés financières, le budget de l’État, chroniquement insuffisant, n’ayant rien prévu pour le fonctionnement de l’institution universitaire nouvellement créée. L’Université Lovanium était bel et bien morte, entraînant avec elle l’effondrement de tout le système éducatif du pays ».
Benjamin Babunga
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