Au regard de tous ces évènements sociopolitiques dramatiques que nous avons vécus en Côte d’Ivoire, il devient alors indéniable que cette forme politique tant critiquée par les universitaires et intellectuels ivoiriens nous a préservé pendant plus de trois décennies de cette violence et de cette haine fratricide qui ont plongé notre jeune nation dans les abîmes du chaos et de l’inhumanité. Le vieux disait : « le vrai bonheur, on ne l’apprécie que lorsqu’on l’a perdu ». Chacun peut aujourd’hui apprécier. Près de vingt ans après la mort du vieux, les réalités politiques ne sont plus les mêmes. Nos jeunes États africains ont été contraints de se conformer, tant bien que mal aux exigences du modèle démocratique universel, avec les mêmes acteurs politiques d’hier. En Côte d’Ivoire par exemple, la classe politique a été très peu renouvelée, notamment au sein des partis houphouëtistes, aujourd’hui au pouvoir. Les postes les plus importants des différentes directions du Pdci, puis du Rdr plus tard, sont toujours détenus par des acteurs qui étaient déjà bien enracinés au temps du parti unique, d’où ils sont tous issus. Les nouveaux acteurs, issus des formations politiques formées dans la clandestinité et la rébellion, ont une autre culture politique. Celle de l’affrontement direct, brutal et armé. Avec une conscientisation politique à l’état brut, les avidités politiques se sont accrues de manière presque sauvage et barbare. Les mouvements syndicalistes étudiants et leurs leaders se sont transformés en guerriers, en prenant en otage des milliers de jeunes qui ont été sacrifiés. En Côte d’Ivoire, pendant trois décennies, nous avons vu tous nos voisins autour de nous s’entretuer, dans des coups d’État et guerres civiles pour accéder ou conserver le pouvoir, au mépris de vies humaines. Comme le disait récemment le Président Ouattara aux populations Wê, « tous nos problèmes actuels sont partis de l’introduction de la violence dans la politique ». Finie donc l’époque du parti unique, où tous les sales coups se faisaient en douceur, et avec « le sourire », sans prendre en otage les différentes populations de la nation, en les montants les unes contre les autres. La violence politique était plus sournoise, raffinée et presque invisible. Et pourtant, elle était fortement présente. Depuis la disparition du vieux qui se souciait de maintenir un équilibre et une paix sociale en Côte d’Ivoire, les forces du mal semblent avoir atteint à leur tour, les Ivoiriens (et même les Sénégalais, tant enviés pour leur modèle démocratique en Afrique).
La violence, les assassinats, la xénophobie et les manipulations psychiques des populations sont aujourd’hui érigés en modèle de société et d’actions politiques. Aujourd’hui, comme mécanisme démocratique, pour contredire ou s’opposer à un adversaire politique, on prend des armes de guerre, on assassine, on terrorise et on pille les deniers publics, sans penser aux populations qu’on manipule en les utilisant comme des acteurs sacrifiés. Et pourtant, la foi en Dieu n’a jamais été aussi fortement exprimée qu’aujourd’hui, avec la multiplication, parfois même suspecte et douteuse de lieux de prière, de prêche et de révélations en tout genre. Nous sommes donc passés d’une dictature éclairée du parti unique, au chaos, issu de la démocratie à l’africaine.
Marcaire Dagry