A priori, la troisième décision périodique de la Chambre préliminaire I sur la détention du président Laurent Gbagbo ne diffère pas des autres. Pourtant, elle était très attendue, dans la mesure où les juges qui ont statué sur la question sont les mêmes qui, il y a un peu plus d’un mois, demandaient à la procureur Fatou Bensouda de revoir sa copie parce qu’elle ne disposait pas de « preuves suffisantes » pouvant justifier un procès contre l’ex-chef de l’Etat ivoirien.
Silvia Fernandez de Gurmendi (Argentine), Hans-Peter Kaul (Allemagne) et Christine Van den Wyngaert (Belgique) ont décidé, en dépit de ce que l’on pouvait considérer comme des circonstances nouvelles – l’accusé doit-il payer le fait que l’Accusation n’a pas pu monter un dossier crédible contre lui en plus de 18 mois ? – de maintenir Gbagbo en détention. Ils ont estimé que l’ajournement de la décision de confirmation ou d’infirmation des charges ne signifiait pas infirmation des charges, et ne constituait pas « une nouvelle circonstance » à même de modifier le statu quo ante.
Pourquoi les juges ont rejeté le parallèle avec le cas kényan
La lecture de la décision des juges, qui a été rendue publique hier, permet de se rendre compte que les très controversés rapports des Experts de l’ONU continuent d’être pris en considération quand il s’agit de justifier le maintien en détention de Gbagbo, alors qu’ils n’ont pas été validés comme « preuves suffisantes » pour ouvrir la voie à un procès.
Comment la Chambre explique-t-elle cette apparente contradiction ? Par ce qui peut apparaître, pour certains observateurs, comme une sorte de juridisme hypocrite. Les « standards de preuve » appliqués par la Chambre ne sont pas les mêmes quand il s’agit de justifier le maintien en détention d’un accusé et la détermination des faits qui lui sont reprochés, nous expliquent les juges !
La Défense a essayé de plaider la mise en liberté de Gbagbo en s’appuyant sur la procédure de la CPI relative à la crise postélectorale de 2008 au Kenya, qui voit les principaux accusés – dont l’actuel chef de l’Etat Uhuru Kenyatta –comparaître libres. La Chambre préliminaire a répondu à cet argument en faisant valoir l’argument selon lequel le choix entre le mandat d’arrêt et la citation à comparaître relève de la compétence du bureau du procureur, qui se prononce sur chacun des cas en fonction des « circonstances spécifiques ». Sur l’existence d’un « réseau » de supporters de Gbagbo en Côte d’Ivoire et à l’extérieur, qui pourrait l’aider à échapper aux fourches caudines de la justice en cas de mise en liberté, sur l’existence ou non de ressources matérielles qui, mises à sa disposition, pourraient contrarier le travail de la CPI, les juges estiment que la Défense n’a apporté aucun élément nouveau susceptible de les amener à changer de décision.
Pourquoi cette décision marque imperceptiblement un tournant
Rien de nouveau sous le soleil, donc ? Non. En dépit du développement des arguments qui précèdent, la Chambre préliminaire I se montre plus que jamais ouverte à une formule garantissant à Gbagbo la liberté provisoire tout en rassurant la CPI. Bien entendu, au-delà de la CPI, on peut entrevoir la « communauté internationale » (France et ONU notamment), qui est inquiète de ce qu’un Gbagbo hors de Scheveningen pourrait causer comme dommages politiques au « nouvel ordre politique » qu’elle tente péniblement de mettre en oeuvre en Côte d’Ivoire avec un Alassane Ouattara qu’elle continue de soutenir avec l’énergie du désespoir, mais au sujet de qui plus grand monde ne se fait d’illusions quant à sa capacité à réconcilier la Côte d’Ivoire.
Les dernières phrases du texte rendu public hier par la Chambre préliminaire I sont à cet égard édifiantes. «Dans la décision du 12 mars 2013, le Juge unique a considéré que « les risques associés à la libération et de la connaissance par le monde extérieur d’une telle libération ne peuvent actuellement être gérés efficacement que dans le centre de détention de la Cour. » Comme indiqué plus haut, le risque continue d’exister. Néanmoins, la Chambre estime qu’il convient, à la lumière des circonstances particulières de cette affaire, et en considérant le principe fondamental que la privation de liberté devrait être l’exception et non la règle, de déterminer s’il est désormais possible d’atténuer suffisamment ces risques à travers une formule de libération conditionnelle.
Toutefois, il convient de souligner que, à ce stade, aucune option concrète de libération de M. Gbagbo dans des conditions qui seraient suffisamment susceptibles d’atténuer ces risques, n’est connue de la Chambre. Ainsi, la libération conditionnelle ne peut actuellement pas être accordée. Néanmoins, la Chambre souligne que cette décision est sans préjudice de la possibilité d’envisager une libération conditionnelle à l’avenir, si une solution viable est trouvée, avec l’imposition de conditions appropriées. La Chambre reste ouverte à l’examen d’une telle solution, et cherche elle-même à identifier les potentielles modalités de libération conditionnelle susceptibles d’atténuer suffisamment les risques identifiés. Si cela devient nécessaire, la Chambre tiendra une conférence d’état à cet effet», peut-on lire.
En résumé, les juges estiment que les formules présentées par le passé n’étaient pas assez rassurantes, et demandent aux défenseurs de Gbagbo de se remettre à la tâche et d’imaginer d’autres solutions qui lui permettront de sortir de prison tout en ayant des garanties suffisantes de représentation pour la suite des procédures. Mieux, elle se propose de réfléchir elle-même à des schémas idoines. Les négociations de l’ombre ont d’ores et déjà commencé ! Selon les informations du Nouveau Courrier, les tractations pourraient s’accélérer après les vacances judiciaires d’été, qui courent du 19 juillet au 12 août prochains.
Dans les semaines et les mois qui viennent, le régime Ouattara, dont la nervosité actuelle sur ce dossier s’explique par la connaissance qu’il a de l’évolution de l’état d’esprit de certains cercles à la CPI, aura donc à coeur de tenter de démontrer par tous les moyens qu’une éventuelle mise en liberté de Gbagbo équivaudrait au retour de la guerre civile en Côte d’Ivoire. Il n’est pas impossible que, dans un futur proche, le régime suscite des « attaques » ou des « confessions » médiatisées de prétendus déstabilisateurs missionnés par « le camp Gbagbo » pour faire prospérer ses théories apocalyptiques.
Théophile Kouamouo