Côte d’Ivoire :LIDER interpelle les acteurs du secteur des médias

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La violence qui marque la vie des populations de Côte d’Ivoire, quotidiennement rythmée par son lot de crimes, attaques, lynchages, destructions, répressions et arrestations arbitraires, colore d’une teinte sanglante le crépuscule de ce mois d’août.

Depuis l’issue de la crise post électorale en avril 2011, des journalistes ont été assassinés, emprisonnés, menacés, molestés. Les sièges des organes de presse de l’opposition ont été longtemps occupés par les Forces républicaines de Côte d’Ivoire, devenues l’armée régulière depuis l’accession de M. Ouattara à la présidence de la République, quand ils n’ont pas été simplement saccagés, comme cela a été le cas récemment. Les journaux de l’opposition sont régulièrement condamnés au silence, pendant que les partis d’opposition sont interdits d’accès aux médias d’Etat.

Cet état des lieux navrant intervient après que la libération de la presse ait été acquise de haute lutte dans les 90. Malheureusement, la diversité des titres de presse désormais disponibles en Côte d’Ivoire n’offre que rarement la possibilité aux Ivoiriens de s’informer correctement, tant les médias, pour la plupart affiliés à des groupements et partis politiques, versent dans l’outrance partisane, la désinformation et la manipulation médiatique. Les quelques organes qui essaient de s’extirper de ce marasme en fournissant une information un peu plus mesurée et équilibrée se retrouvent dans les tréfonds du classement des meilleures ventes. Serait-ce à dire que les Ivoiriens, titrologues patentés et étourdis par la brutalité qui secoue le pays depuis plus d’une décennie, ont au final la presse qu’ils méritent ?

Nous pensons que non et il nous parait important d’interpeler les différends acteurs du secteur, de leur tendre le miroir de leurs propres turpitudes afin de les encourager à prendre leurs responsabilités et à enfin jouer un rôle positif dans le retour à l’état de droit et le succès du processus de réconciliation dans notre pays.

La presse privée semble ne pouvoir fonctionner qu’à travers le sensationnalisme et l’intégrisme partisan. Les titres sont racoleurs, parfois sans lien avec le contenu d’articles souvent émaillés de fautes. Le ton est presque toujours violent, attisant la division et entretenant la haine. Le sens critique, le devoir d’information, d’enquête et d’analyse, la vocation de participer au développement intellectuel et à la pluralité d’expression disparaissent au profit d’un fanatisme partisan réducteur et dangereux. Pourtant, ce n’est pas parce que l’on est  l’organe d’information d’un parti politique que l’on doit mettre des œillères éditoriales. L’indépendance journalistique et l’éthique professionnelle sont-elles fatalement des qualités réservées à la presse internationale ? Grâce à Internet, nous lisons tous les jours des journaux américains, français, allemands, sud-africains, britanniques et autres qui, bien que proches de formations politiques, se réservent le droit de critiquer objectivement leur propre camp quand celui-ci fait fausse route, dérape, commet ou tente de dissimuler des actes scandaleux ou impropres.

Les médias d’Etat ne sont pas en reste, et nous interpelons ici la direction du journal Fraternité Matin – vestige de l’ère du parti unique – qui, en constante violation de l’article 20 de la loi n° 93-668 du 9 août 1993 stipulant qu’en dehors de leurs propres organes d’information, «les partis ou groupements politiques régulièrement déclarés ont accès aux organes d’Etat de presse écrite, parlée et télévisée pour la couverture de leurs manifestations statutaires, ou pour leur propagande électorale, et dans le cadre de la retransmission des débats à l’Assemblée nationale ou des tables rondes et débats à caractère politique auxquels ils participent», ferme ses colonnes aux partis d’opposition, préférant transformer cet organe de presse, pourtant financé par l’argent des tous les contribuables ivoiriens, en Pravda locale à la solde du gouvernement Ouattara. A quoi cela sert-il de publier des éditoriaux appelant à la paix et la réconciliation, si, dans le même temps, une politique indigne d’exclusion et de censure est pratiquée?

Nous nous adressons aussi à la direction générale de la Rti, tellement encline à satisfaire le gouvernement dans son entreprise de néantisation de l’opposition, qu’elle rate une occasion de lui apprendre que l’apaisement passe aussi par une meilleure visibilité des partis d’opposition sur les antennes de la radio et de la télévision nationales. Est-il si difficile de comprendre que si les militants, en Côte d’Ivoire et dans la diaspora, voient les activités de leurs partis respectifs se dérouler régulièrement en toute sécurité et leurs différents leaders politiques capables d’échanger des idées contradictoires en toute civilité dans des émissions, ils adopteront eux-mêmes un comportement plus courtois les uns envers les autres ?

Le Conseil national de la communication audiovisuelle doit, selon les dispositions de l’article 5 de la loi 2004-644 du 14 décembre 2004 «garantir l’égalité d’accès et de traitement ainsi que l’expression pluraliste des courants d’opinions.» A LIDER, nous interpelons les dirigeants du Cnca et leur demandons de rendre public le relevé des interventions des partis politiques dans les journaux, les bulletins d’information, les magazines et autres émissions de la Rti, qu’ils sont tenus de fournir chaque mois aux organismes du secteur, afin que l’opinion publique nationale et internationale puisse disposer d’éléments concrets et factuels sur l’état de la liberté d’expression et de la diversité d’opinion véhiculées par les médias d’Etat.

Enfin, last but not least, il convient de souligner le rôle ambigu joué par le Conseil national de la presse qui, régulièrement depuis la prise de pouvoir de M. Ouattara, inflige des sanctions aux seuls journaux de l’opposition, alors que les organes de presse proches de la coalition gouvernementale, qui n’ont absolument rien à leur envier en termes d’excès, de célébration de la désinformation et d’appel à la haine et à la violence, n’ont jusqu’ici fait l’objet d’aucune suspension. Cette partialité du Cnp est non seulement en contradiction avec les missions qui lui sont confiées, mais elle est également un obstacle à la réconciliation, puisqu’elle participe à l’accroissement du sentiment d’injustice qui tend à exacerber la radicalité des positions des uns et des autres.

Nous partons certes de loin, mais nous demeurons confiants qu’avec une dose de bonne volonté, de sang-froid, de courage et d’honnêteté intellectuelle, il peut être mis un terme à la surenchère et au nivellement par le bas de la presse ivoirienne. A LIDER, nous appelons donc tous les acteurs du secteur des médias à arrêter de souffler sur les braises, les invitons à revenir à la raison et les encourageons à enfin devenir des vecteurs d’information, d’apaisement et de dissémination d’un savoir-vivre sociétal indispensable à la reconstruction de notre nation.

Fait à Abidjan, le 30 août 2012

Pour la délégation nationale à la communication

Benson de Gnacabi

Délégué national de LIDER

 

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