Après la confrontation physique, celle des visions ? Quelques heures avant qu’Alassane Ouattara ne lise son discours à la nation, Laurent Gbagbo a martelé ses convictions dans une déclaration envoyée à la presse nationale.
Il va lui pourrir la vie et ce n’est que justice. Vendredi dernier, l’ancien président de la République a fait parvenir à la presse ivoirienne le contenu d’une déclaration intitulée adresse de Laurent Gbagbo à la nation à l’occasion de la fête de l’indépendance de la Côte d’Ivoire. Même si la déclaration est sobrement référencée, il n’empêche qu’elle est attentatoire à la solennité de l’événement et à l’exclusivité dont Ouattara aurait bien aimé se targuer, lui dont les premières assises ont été par ailleurs parasitées par un stupide accident d’autocar qui a recouvert de deuil sa première fête d’indépendance en tant que chef de l’Etat. L’ancien président qui connaît bien les tendances atlantistes de son successeur lui rappelle notamment dans cette déclaration « qu’il est illusoire de croire qu’un peuple peut assurer le bonheur parfait d’un autre peuple ».
Alassane Ouattara est bien souvent mal à l’aise sur ce type de rhétorique, lui qui a été porté au pouvoir par une kyrielle d’organisations internationales, et principalement par la détermination des soldats français et de l’Onuci. Samedi, le nouveau chef de l’Etat a pourtant essayé de compter, insistant sur des thématiques telles que la démocratie, l’indépendance nationale et la souveraineté considérées par lui comme la « promesse d’une société souveraine, rassemblée dans la paix et dans le respect des Droits de l’homme ». Mais Ouattara est emprunté quand il parle de ces sujets. Car au contraire de Laurent Gbagbo, il croit aux institutions internationales, à la fameuse communauté internationale. C’est d’ailleurs avec leur crédibilité qu’il a essayé de convaincre et calmer les ardeurs des populations qui commencent à être impatientes. « Les investisseurs ont à nouveau le regard tourné vers la Côte d’Ivoire. Les partenaires au développement que sont la Banque Africaine de Développement, notre institution continentale, la Banque Mondiale, le FMI, l’Union Européenne ainsi que d’autres organisations et institutions sont de retour. Très bientôt, vous sentirez les retombées de ces contacts sur votre quotidien », a-t-il dit dans un plaidoyer pro domo.
Laurent Gbagbo, lui, ironise sur la position de la monture et le foin. « Je reste persuadé, dit-il , que dans le rapport dialectique du cavalier et de la monture, quelles que soient la qualité et la quantité du foin que le cavalier donne à la monture, la position de celui-là ( le cavalier ) reste largement confortable par rapport à la position de celle-ci (la monture). L’ancien président écrit d’une main ferme et parle d’indépendance nationale d’une tonalité différente coulée dans les sillons tracés par de grands combattants de la liberté : Ghandi, en Inde, Martin Luther King aux Etats-Unis dont le combat profite à présent à Barack Obama, le Général de Gaulle en France, Mao Tsé Toung en Chine, Nelson Mandela en Afrique du Sud et Patrice Lumumba au Congo. « Leur mérite est tout à fait grand dans le contexte qui était le leur. Mais nous devons avoir à l’esprit que leur combat serait vain si nous nous arrêtions à admirer seulement leurs acquis », écrit Gbagbo prêt au sacrifice suprême pour la liberté et l’indépendance de son pays. Et même si « chacun est appelé à donner un sens réel au devoir que nous rappellent les symboles de l’Etat et les armoiries de la République » en faisant sien « le combat permanent qui doit mobiliser toutes les énergies des filles et des fils de notre pays », l’ancien président ne se dérobe point. « En ce qui me concerne, je continue de refuser la position de la monture dan laquelle l’on veut absolument maintenir le peuple africain ».
Au plan interne, Laurent Gbagbo ne veut pas non plus transiger sur le respect de la constitution ; ce qui n’est pas a priori le fort d’Alassane Ouattara. D’ailleurs comme si sa seule volonté suffisait, il a déjà annoncé qu’il modifierait la constitution. « Sur le plan politique, le respect de la constitution, symbole du contrat social qui fonde notre Nation, est une exigence absolue qui ne peut s’accommoder de compromis possibles ». C’est pourquoi Gbagbo dénonce une fois encore les accords de défense avec la France qui est un accord de dupes. « Le respect de nos institutions me paraît être un autre aspect tout aussi important de l’exercice de notre souveraineté. C’est pourquoi nous avons négocié avec les autorités françaises la rupture des accords de défense qui nous liaient avec l’ancienne puissance coloniale. La crise que connaît notre pays nous aura appris que dans ce monde à compétition ouverte du fait de la mondialisation, les conflits d’intérêts peuvent naître entre les nations même les plus amies. Dans ces conditions, il vaut mieux se donner une marge de manœuvre dans l’exercice de son droit de défense ». Avec ça, il n’est pas sûr que le discours de Ouattara ait eu l’effet escompté après le cours d’indépendance du Professeur Laurent Gbagbo.
Joseph Titi