Cote d’Ivoire . Votre philosophie est-elle blonde ?

0

Alors que certains Ivoiriens ne voient encore dans la Grande Dame qu’une mère Thérésa-bis, – certes un peu spéciale, puisque finançant ses bonnes œuvres sur les deniers du Trésor ivoirien, par le biais de sa fondation Child of Africa –, il est grand temps de découvrir qu’elle pense, donc qu’elle est, qu’elle ek-siste même, et ce par-delà son rôle de distributrice patentée de kits scolaires

Après les piscines, les tournois de foot, les crèches appelées de son nom, la couverture de Paris-Match, voici enfin Le livre qui lui est consacré. Le 27 septembre 2014, un ivoirien originaire de Krinjabo dans le Sud-Est de la Côte d’Ivoire, présentera dans le cadre de l’UNESCO, une série de trois livres dont l’un, consacré aux œuvres humanitaires de l’épouse du chef de l’état ivoirien, intitulé « Dominique Ouattara : Une dame des grandes causes humaines ». Un parterre de hautes personnalités et même d’anciens chefs d’état seraient attendus pour l’occasion : retransmission assurée en mondovision, tellement l’événement est exceptionnel !

Philosophe et juriste, Pascal Dieudonné Roy-Ema, habitant en France depuis plus de 10 ans, est assurément la personne la mieux qualifiée pour nous parler de la « première dame », celle qui a supplanté l’historienne Simone Gbagbo dans le « PAF » abidjanais, à défaut de gagner le cœur des Ivoiriens – non rattrapés, précisons-le –. Grand spécialiste de Heidegger, sur lequel il a planché en vue de son doctorat d’université en 2009, voici un monsieur à même de se pencher sur la fascinante complexité de la dame blonde imposée aux Ivoiriens; à même de déchiffrer les paradoxes de cette pensée riche et féconde qui la pousse à défrayer la chronique de la bienfaisance par son acharnement à gâter les enfants pauvres – de préférence, à de rares exceptions électoralistes près, ceux des autres pays ! –, autant qu’à lutter sans merci contre l’esclavage des enfants en Côte d’Ivoire – burkinabés pour la plupart, et dont la présence même sur le sol ivoirien découle directement des accords passés entre Blaise Campaoré et son époux Ouattara ! –. Il est vrai qu’entre ces deux concitoyens du « Pays des hommes intègres », le spectacle d’une si belle amitié fait chaud au cœur; quand on sait par ailleurs que le ciment de cette amitié n’est autre que la France, ce grand pays de la générosité tambour battant, on ne peut que laisser couler une petite larme émue…

Alors que certains Ivoiriens ne voient encore dans la Grande Dame qu’une mère Thérésa-bis, – certes un peu spéciale, puisque finançant ses bonnes œuvres sur les deniers du Trésor ivoirien, par le biais de sa fondation Child of Africa –, il est grand temps de découvrir qu’elle pense, donc qu’elle est, qu’elle ek-siste même, et ce par-delà son rôle de distributrice patentée de kits scolaires, – qui auraient dû être officiellement pris en charge par le gouvernement –, et de savonnettes, oh combien utiles face à la menace d’Ebola, dans une Côte d’Ivoire aux infrastructures sanitaires totalement délabrées…

«Si philosopher, c’est s’obstiner à découvrir le sens de l’être, on ne philosophe pas en quittant la situation humaine, la vie quotidienne ; il faut, au contraire, s’y enfoncer… pour comprendre, par exemple, que l’homme est jeté dans un monde sans qu’il ait choisi d’y être (facticité), abandonné, isolé et privé de tout secours (déréliction). Au-delà, en déduire une actualité des réflexions de Heidegger. En effet, Heidegger a ouvert plusieurs chemins que l’humanité continue d’emprunter sous différentes formes. De la « responsabilité au quotidien » à travers le « on » au déclin de la terre et de la vie (écologie) du fait du mésusage des sciences techniques, Heidegger surgit au milieu de nos préoccupations contemporaines et des problèmes les plus concrets de la vie, à travers le déchiffrage de « la question de l’être »…» dixit notre auteur dans l’introduction de sa thèse doctorale. Je ne sais pas si le Dasein heideggérien va l’aider à expliquer Dominique à des Ivoiriens empêchés de l’étudier faute d’universités en état de marche, mais point n’est besoin de citer le philosophe pour connaître et analyser le cauchemar, le calvaire quotidien des Ivoiriens depuis plus de 10 ans, et surtout depuis mars/avril 2011. Mais notre philosophe à la double casquette de juriste diplômé en sciences politiques va très certainement nous expliquer que dame Ouattara n’est autre que l’égérie du Bon Choix estampillé Communauté Internationale, et que le droit, la justice et la vérité sont les trois piliers porteurs du gouvernement actuel.

Pour ce qui est du travail, des soins, de la vie quotidienne, de la scolarité des petits et des grands, le sourire sempiternel d’une blonde universelle façon troisième Reich vaut tous les sacrifices; d’ailleurs, pendant qu’elle dépense sa cagnotte humanitaire, l’argent ne travaille-t-il pas, coulant à flot de poche en poche, quitte à oublier de s’arrêter pour prendre racine dans le sol réel de l’économie ivoirienne ?

En déchiffreur de la réalité, notre chargé de cours de Philosophie et d’Histoire du Droit à l’Université Alassane Ouattara de Bouaké est bien à sa place pour lire et décrypter – un peu, mais pas trop… – les agissements de notre première dame, et révéler que le gouvernement n’est pas un gouvernement de nuls et d’amateurs; les lieutenants-colonels en formation au Maroc, en Chine, et ailleurs ne diront pas le contraire : issus de milieux modestes, sans bac et sans BEPC, ils ont, à la seule la force de leur bras – armé, il est vrai – gravi tous les échelons. Ce sont des « pro » dans le maniement de tous les stratagèmes de la rébellion, docteurs ès-détournement d’argent, comme la dame blonde l’est dans son domaine : business et thésaurisation version familiale.

Alors oui, si Dominique et son staff répondent « présent », le jour de la dédicace du Livre, c’est qu’ils auront choisi de cautionner cet éloge dithyrambique d’une vraie fausse blonde, d’ores et déjà candidate à sa béatification future, sous réserve que son époux parvienne miraculeusement à gagner les élections avec un score stalinien. Si par contre elle est absente ce jour là, comme certains l’annoncent – d’importantes obligations l’obligeant à voyager aux Etats-Unis à cette date –, c’est que ce livre aura quelque peu froissé son ego : oh, très légèrement, rassurons-nous, parce que l’on ne devient pas professeur détaché à l’université Alassane Ouattara sans faire partie du fan club RHDP, sans avoir sa carte de rattrapé dans la poche et un compte en banque qui fait des petits bien plus vite que celui des heureux bénéficiaires du pseudo-microcrédit usurier mis en place par de l’héroïne du jour.

Petite question qui me taraude : pourquoi étudier Heidegger de nos jours, alors que son passé de sympathisant nazi a depuis longtemps ressurgi; alors que ce philosophe de l’existence et du sens de la vie s’est parfaitement accommodé du contexte nouvellement créé par l’irruption au pouvoir du démocrate Hitler ? Son collègue protestant Paul Tillich a préféré fuir aux Etats-Unis plutôt que de prêter allégeance à l’innommable. Alors, pourquoi aujourd’hui un ivoirien « Heiddegerien » ? Si ce n’est pour écrire et dire que la philosophie la plus haute est parfaitement conciliable avec la dictature, que Heiddeger est aujourd’hui, dans la Côte d’Ivoire de Dramane et de sa blonde, le philosophe idéal : celui par qui la neutralité politique érigée en absolu, drapée dans le linceul de la respectabilité intellectuelle, fait le lit de toutes les compatibilités idéologiques, même lit de satin, ignoble et noble confondus ?

Si la philosophie des philosophes s’illustre par leur vie, la vérité des idées qu’ils prônent trouve son critère dans les décisions que va leur dicter le contexte en temps de crise : en l’occurrence, soumission ou résistance face à l’inacceptable; passivité, engagement mou du ventre, ou énergie inlassable à dénoncer le mal sous toutes ses formes; allégeance frileuse sur fond d’égocentrisme esthétisant, ou prise de risque, aptitude à penser et promouvoir des alternatives de lutte et de combat. Le philosophe a toujours le choix : va-t-il bercer le public au son de belles phrases accréditées par les tenants du pouvoir, ou sonner l’alarme et le rassemblement ?

Ce n’est pas pour rien que Paul Ricœur, penseur protestant lui-aussi, s’est intéressé à Husserl, ce philosophe juif auquel Heidegger doit tout, et non à Heidegger lui-même, resté quoiqu’on en dise un penseur de salon, penseur d’une vie statique, théoricien virtuose d’une rivière qu’aucun événement, aucune force ne feront jamais sortir de son lit… Sans Husserl, Heidegger n’est rien, sa pensée, privée d’épaisseur humaine. Quand dans les années 2000 – en parallèle avec les cruels soubresauts de la crise ivoirienne ! –, notre biographe de la première Blonde ivoirienne s’est spécialisé dans la pensée de Heidegger, c’est un peu comme s’il s’était attaché à l’étude érudite et minutieuse d’un présent statique, étranger au temps qui passe, indifférent aux évolutions et aux révolutions en cours…

Qu’avons-nous besoin de philosophes du statu quo, prompts à conforter les dictatures, serviteurs de l’idéologie dominante ? Ce qu’il nous faut, ce sont des hommes et des femmes qui s’engagent, aptes à mener une réflexion vraie sur l’avenir de l’Afrique; cet avenir que des vautours occidentaux à bout de souffle et en fin de course, prisonniers de leurs propres impasses, rétrécissent chaque jour un peu plus, se nourrissant des lambeaux de pays qu’ils ont voués à la « pauvreté » par le pillage de leurs ressources, sans aucun bénéfice en retour, sans partenariat digne de ce nom. De cette « amitié entre les peuples » dont se gargarisent les instances internationales, il ne reste – mais y eut-il jamais autre chose ? – que le cynisme de relations envisagées dans le but de répondre à une seule question : « comment pigeonner ces anciens esclaves le plus courtoisement possible ? ». La réponse, nous la connaissons : « continuer de le faire, au prix de quelques miettes d’humanitaire, jetées en pâture à ces malheureux, avec à la clé quelques projets de développement ingénieusement asservissants… ». A la formule de cette version actuelle du « cataplasme sur jambe de bois », les maîtres du monde viennent d’ajouter un nouvel alinéa : « trouver sur place des théoriciens de la langue de bois et de l’opium du peuple aux diplômes suffisamment prestigieux pour transformer ces autochtones en belles au bois dormant, et leur léthargie endémique en un sommeil cataleptique de 100 ans; d’ici là, nous auront bien trouvé le moyen d’exterminer in utero tous les princes charmants potentiels ».

Côte d’Ivoire, retourne sans crainte à ta somnolence préélectorale, Heidegger redivivus et sa blonde vestale veillent au grain !

Shlomit Abel, 18 septembre 2014
 

Partager

Laisser une réponse