D’autres se sont reconvertis en « gnambros » dans le syndicalisme du transport. Souvent impliqués dans des braquages et agressions à main armée.
En Côte d’Ivoire, les heures de braises de la crise post-électorale sont bien loin. Le pays s’en remet et tente peu à peu de sortir la tête de l’eau. Abidjan, la capitale économique a repris sont train-train quotidien. Le président français François Hollande, vient d’y effectuer une visite officielle, renvoyant du coup, aux yeux de l’opinion – selon l’expression qui lui est désormais propre – l’image d’Alassane Ouattara, un chef d’Etat « fréquentable ». Une Côte d’Ivoire où, sous l’impulsion des nouvelles autorités, d’anciens chantiers ont repris et de nouveaux ont été ouverts. Certains ivoiriens veulent y voir « le génie bâtisseur » d’Alassane Ouattara. D’autres, moins euphoriques préfèrent adopter un ton modéré. La Côte d’Ivoire où les nouvelles autorités annoncent une forte croissance. Une croissance qui frôlerait les deux chiffres. Bref, un pays où tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Mais qu’en est-il réellement ? Etat des lieux.
Au plan sécuritaire : la question des ex-combattants, le phénomène des « microbes » et le règne des Dozos
Ils sont plus de 60.000 à attendre d’être réinsérés. Ils, ce sont les ex-combattants dont certains occupent encore certaines cités universitaires. D’autres se sont reconvertis en « gnambros » dans le syndicalisme du transport. Souvent impliqués dans des braquages et agressions à main armée. A Abobo comme à Koumassi, des communes d’Abidjan, ils se sont illustrés par des échanges de tirs avec les forces régulières et en semant la panique partout où ils se trouvent. Comme pour rappeler au régime en place, qu’ils représentent encore une véritable menace. Malgré la mise sur pied de l’ADDR (Autorité pour le désarmement, la démobilisation et de réintégration), le problème de leur réinsertion dans le tissu social reste entier. L’un d’entre eux, dans un reportage sur une chaine de télévision étrangère, témoigne : « Les Com’zones, les chefs de guerre nous ont dit : on a besoin de jeunes valides pour nous aider à combattre ; à enlever l’ancien régime (celui de Laurent Gbagbo, ndlr). Ils nous ont dit aidez-nous et lorsque tout sera fini, on vous donnera du boulot ». Quatre ans après, les promesses n’ont pas été tenues.
Aux ex-combattants s’ajoutent les « microbes ». Ce sont des adolescents – voire des enfants – âgés entre 10 et 18 ans qui écument les communes d’Abidjan et sèment la psychose au sein des populations. Leur mode opératoire : fondre, tels des rapaces sur une zone bien définie pour agresser et dépouiller toutes les personnes qu’ils croisent sur leur chemin. Munis d’armes blanches et parfois d’armes à feu, ils n’hésitent à ôter la vie quand cela leur chante. Bien au fait de ce phénomène plus qu’inquiétant en Côte d’Ivoire, Diaby Almamy, Imam d’une mosquée au Plateau et accessoirement président d’une Ong dénommée « Nouvelle vision contre la pauvreté » les décrit : « C’est une affaire qui concerne trois types d’enfants. Il y a celui des ex-combattants, celui des enfants qui ont servi d’indicateurs pendant la crise et ceux qui ont intégré ces groupes juste par suivisme ». Mais l’Imam croit savoir la cause profonde du phénomène : « (…) le fond du problème est purement politique. Le politique a utilisé ces enfants pendant les heures chaudes où il fallait trouver le moyen de faire partir le président Laurent Gbagbo. Et, une partie de ces enfants brûlaient les pneus, participaient aux opérations ville morte. Ils paralysaient tout le système dans les communes d’Adjamé, d’Abobo et d’Attécoubé. Aujourd’hui, ils ont vu que la situation s’est normalisée. Et, ceux qui les mettaient dans la rue sont aujourd’hui à l’aise pendant qu’eux souffrent ».
Aujourd’hui, « microbes » et ex-combattants sont des milliers à s’estimer laissés pour compte et à ressasser leur amertume. Ils accusent ceux qui les ont enrôlés pour les besoins de leur cause, c’est-à-dire ceux qui sont au pouvoir en Côte d’Ivoire, d’en être les responsables. Ce sont ces derniers que, ex-combattants et « microbes » accusent de favoritisme mais surtout népotisme à leur détriment.
Quant aux chasseurs traditionnels armés appelés Dozos, ils ont été les supplétifs de la rébellion armée qui a porté Alassane Ouattara au pouvoir. Les Dozos sont une véritable milice qui ne dit pas son nom. Evalués à près de 200.000 hommes par le ministère de l’intérieur, ils n’ont, jusqu’à présent, aucun statut juridique. Contrairement aux ex-combattants, ces Dozos refusent de sombrer dans l’amertume. Ils ont décidé de prendre leurs quartiers notamment à l’intérieur du pays où ils ont établit un système de corruption bien huilé. Là-bas, ils règnent en maîtres absolus en tenant des barrages anarchiques, en se substituant aux policiers et en prélevant des taxes illégales sur les populations. Tout cela, au vu et au su du pouvoir d’Abidjan. D’ailleurs, ils ne sont les seuls à rançonner les paysans. Ils font en effet partie d’un vaste système de corruption au sein duquel – selon divers témoignages – sont cités de façon récurrente de hautes autorités administratives et sécuritaires du pays.
Au plan judiciaire : impunité totale
En Côte d’Ivoire, depuis la fin de la crise post-électorale, un seul camp – celui de l’ex-chef président Laurent Gbagbo – est poursuivi. C’est un secret de polichinelle. Ni ceux qui ont pris les armes pour l’avènement d’Alassane Ouattara et leurs supplétifs ne sont inquiétés. Le pouvoir semble leur garantir une impunité totale. Pourtant de nombreux rapports d’Ong accusent ces forces combattantes de crimes contre l’humanité. Les enquêtes annoncées sur les tueries de masse impliquant les proches du pouvoir en place n’ont jamais abouti. Les massacres dans la ville de Duékoué, l’attaque du camp de réfugiés de Nahibly, la prise sanglante de la commune de Yopougon.., perpétrés par les forces pro-Ouattara, en sont devenus les symboles. Les victimes sont triées sur le volet. Sur les crimes perpétrés par les forces pro-Ouattara, c’est l’omerta. Alassane Ouattara, à son arrivée au pouvoir avait promis l’impunité et une justice équitable pour tous. La réalité sur le terrain est tout autre.
La croissance économique : une fiction
Le Pnud (programme des nations unies pour le développement) estime le taux de pauvreté en Côte d’Ivoire à 48,9% et le taux de croissance de son PIB à 9,8%. Ce dernier chiffre à lui seul, objet d’une médiatisation à outrance par les autorités ivoiriennes – sans doute – pour appâter d’éventuels investisseurs étrangers, suffit-il pour affirmer que les populations ivoiriennes y gagnent énormément, notamment en mangeant à leur faim ? En subvenant à leurs besoins les plus élémentaires ? Certains spécialistes estiment que : « si la croissance du Produit intérieur brut (PIB) africain est supérieure à 5%, elle n’est pas constituée des mêmes éléments que celle, par exemple, des « Dragons asiatiques ». Les pays africains sont pour la plupart des pays miniers et agricoles. Leur croissance économique est donc avant tout tirée vers le haut par des exportations du secteur primaire : agriculture, pêche, sylviculture (exploitation forestière) et extraction minière. L’industrialisation y est très faible, et ne progresse pas, voire régresse dans certains pays ». La conclusion qu’ils en tirent répond à notre interrogation de départ : « L’Afrique attire sans conteste les investisseurs étrangers, et son potentiel économique est indéniable. Mais la seule mesure de la croissance du PIB et le taux d’investissement, pour vanter ses qualités auprès des multinationales et de l’opinion publique, n’est pas suffisant ». 9,8% de taux de croissance de PIB ? Mais ils sont nombreux les ivoiriens qui voient leur situation socio-économique se dégrader de jour en jour. Des milliers de jeunes sans emploi et des ménages qui n’arrivent plus joindre les deux bouts. Telle est en Côte d’Ivoire, la triste réalité. Alors la question que l’on se pose est de savoir : à qui profitent les statistiques de croissance fictive ? La réponse se trouve certainement dans les coulisses du pouvoir en place.
Un pouvoir qui, manifestement n’est ni à l’écoute de son opposition politique, ni de celle d’une population profondément traumatisée et divisée. Un pouvoir qui, de toute évidence, supporte mal la critique. Dans cette atmosphère, 2015 s’annonce comme l’année de tous les dangers. Et les regards restent désormais tournés vers un homme : Alassane Ouattara. Dont on se demande s’il est, en définitive, à la hauteur des espérances placées en lui, au regard de tout l’arsenal médiatique, les moyens financiers et diplomatiques colossaux déployés par la communauté dite internationale ; mais aussi et surtout de l’immense espoir nourrit par ses propres partisans à son arrivée au pouvoir, notamment de ceux qui l’ont y porté en prenant les armes. Pour les partisans de l’ex-chef d’Etat renversé, Laurent Gbagbo, ce n’est pas une surprise. Alassane Ouattara a toujours été à leurs yeux, un incompétent, plus un adepte du côté bling-bling du pouvoir, que des réalités qui frappent de plein fouet, la Côte d’Ivoire, ce pays qu’il prétend gouverner.
Marc Micael
La Riposte