Côte-d’Ivoire: Soro, un os dans la gorge de Ouattara

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Les tensions entre le RDR d’Alassane Dramane Ouattara et ses alliés d’hier, les Forces Nouvelles de Soro Guillaume continuent de rythmer l’actualité politique en Côte d’ivoire. Au congrès du RDR, Soro Guillaume et ses partisans ont, sans surprise, brillé par leur absence. Quel sens donner à cette affaire Soro/Ouattara ?

Déjà un proche de Soro annonçait les couleurs : « Lorsque l’on divorce, on n’est pas obligé de rameuter tout le quartier pour l’annoncer. On peut se contenter de faire chambre à part dans la même maison. »

Avec les récents échauffourées, les multiples mutineries, les insinuations publiques par Tweets et Facebook interposés, l’on n’aurait pas tort d’affirmer que non seulement le quartier est déjà rameuté mais aussi qu’il n’est plus possible de se contenter de faire chambre à part dans ce foyer d’au moins 15 ans de mariage, au risque de se faire mordre la nuit par son conjoint qui ne supporte plus cette présence. Retour sur un divorce qui marque un tournant dans le microcosme politique ivoirien.

Comment Ouattara n’a-t-il pas vu venir Soro ?

Toute prise de pouvoir par les armes est un coup d’état et les coups d’état sont planifiés en ayant une armée, des alliés politiques locaux et des partenaires étrangers. Le tout fonctionnant conjointement à des fins d’intérêts particuliers. Pour renverser le régime de Laurent Gbagbo, il fallut mettre sur pieds une armée, lui trouver des ennemis locaux et des « anti-Gbagbo internationaux ». C’est donc dans la mise en pratique de ce plan que Soro va fournir une armée de mercenaires à son associé pour former la rébellion qui va endeuiller la Côte d’Ivoire. Sans être militant du RDR, Soro va assumer la rébellion. Avec cette position, Soro et ses hommes prendront part à plusieurs tables rondes qui renforcent le RDR dans le marigot politique ivoirien et lui donnent voix au chapitre sur le plan international. Suite aux accords politiques de Ouagadougou, Soro devient le premier ministre du président Gbagbo, ce qui lui permettra d’avoir accès à des informations au sommet de l’Etat et de se rapprocher du système Gbagbo pour ensuite l’attaquer plus facilement. Ne dit-on pas que pour savoir comment quelqu’un ronfle, il faut réussir à passer la nuit avec lui dans la même pièce ? Soro l’aura bien compris. Jusqu’à la chute du régime de Laurent Gbagbo, Soro va rester fidèle à son objectif principal : faire réaliser à Ouattara son rêve de s’installer au palais d’Abidjan, prenant ainsi sa revanche sur ses rivaux Bédié et Gbagbo grâce aux hommes armés de Soro. En retour, Soro nourrit le secret espoir de se servir des relations de Ouattara à travers le monde, profiter de sa position de faiseur de roi pour se constituer son propre carnet d’adresse et aussi placer ses hommes dans l’appareil de l’Etat, le tout pouvant lui permettre de réaliser son ambition de s’emparer du pouvoir d’Etat dès 2020, à la fin du deuxième et supposé dernier mandat de Ouattara. Une fois le coup d’état effectué, Soro jouit de la confiance totale du tout nouveau Président de la République installé avec l’onction de toute la communauté internationale. C’est sans difficulté qu’il se voit immédiatement octroyer le poste de premier Ministre doublé du portefeuille de la défense. Avant même d’atteindre l’âge requis par la constitution, Soro devient Président de l’Assemblée Nationale (PAN) de Côte d’Ivoire. Il est important de rappeler que cette nouvelle position est stratégique dans la mesure où elle désigne le PAN comme étant le dauphin constitutionnel du Président de la République en cas de vacance du pouvoir. Dans l’entendement de l’ivoirien, Soro est donc le successeur d’Alassane Ouattara. Bien qu’opposés à cette ascension fulgurante de celui qu’ils considèrent comme un arriviste, les cadres du RDR vont contenir leur mécontentement et prendre tout leur temps pour convaincre leur mentor du danger que Soro représente pour lui et sa formation politique.

« Opération clouer Soro au sol » ou « Opération plumer l’oiseau »

Les rivaux de Soro ont vite compris le jeu de celui qu’ils soupçonnent de se servir de ses voyages à l’extérieur du pays pour se tisser un réseau, constituer son propre carnet d’adresse pour en fin de compte monter sur le podium le conduisant au palais présidentiel en 2020. L’entourage de Ouattara réussit à convaincre leur mentor du danger de laisser Soro voler de ses propres ailes. « L’opération clouer Soro au sol » est lancée. D’abord l’affaire des écoutes téléphoniques de Ouagadougou, pour brouiller les relations entre le PAN et le Burkina Faso, le privant et le coupant ainsi de sa base arrière traditionnelle qui l’aura aidé pendant des années à installer sa rébellion armée. L’entourage de Soro soupçonne vite Hamed Bakayoko, un de ses rivaux dans la course à la succession de Ouattara, Ministre de l’intérieur au moment des faits, d’avoir monté cette affaire de toute pièce pour ensuite la faire fuiter. L’opération va connaitre une dimension internationale quand la justice française s’en mêle. En effet, lors d’un séjour en terre hexagonale, Soro échappe de peu à une arrestation. Très vite, Ouattara vole au secours du PAN, montrant ainsi à Soro, que désormais, le patron, c’est lui Ouattara. Pour boucler la boucle et mettre définitivement son désormais ex-poulain hors d’état de nuire, les adversaires de Soro conseillent à Ouattara un projet de modification de la constitution ivoirienne. 2016, un référendum est organisé dans des conditions qui frisent le forcing politique pour sécuriser le testament politique privé de Ouattara et du RDR en se servant des institutions de l’Etat. Selon la nouvelle constitution, le PAN n’est plus le successeur d’ADO, les ivoiriens héritant désormais d’un vice-président, dauphin constitutionnel. Comme si cela ne suffisait pas, le clan anti-Soro décide de lui porter l’estocade. Ainsi, Il est décidé en secret de lui retirer son titre de PAN au profit d’un militant du PDCI (parti politique associé au RDR pour former le RHDP). Ses alliés au sein du clan Ouattara avertissent Soro du coup en préparation contre lui. .

Fallait-il laisser faire ? « Là où tout va se gâter »

A la veille de l’élection de Président de l’Assemblée Nationale, des mutineries à répétition éclatent dans le pays. Soro et ses proches sont montrés du doigt par l’entourage d’Alassane Ouattara. On retrouve une quantité impressionnante d’armes à feu au domicile de Kamagaté Souleymane dit Soul to Soul, chef du protocole de Soro. Entendu à plusieurs reprises par la brigade de recherche de la gendarmerie, Soul to Soul est laissé en liberté. En tout cas, le rubicon n’a pas été franchi pour mettre aux arrêts le mis en cause dans cette affaire embarrassante au sommet de l’Etat. En homme avisé, Ouattara ne veut pas courir le risque d’un combat frontal avec celui dont les hommes composent à majorité l’armée du pays. Trop tard pour ses adversaires, dans la peur panique, Soro est réélu PAN.

De retour d’une tournée internationale, Soro annonce qu’il ira demander « pardon à Gbagbo » à La Haye. Comme si tout était coordonné, après plusieurs rencontres avec Soro, Bédié annonce depuis Paris que le PDCI présentera son propre candidat à la prochaine élection présidentielle de 2020 et il demande à Ouattara de respecter sa part de l’accord entre les deux partis alliés. Ouattara et son entourage y voient un nouveau deal entre Soro et Bédié. Plusieurs proches de Soro et de Bédié sont révoqués de certaines fonctions qu’ils occupaient dans l’administration.

Comment se débarrasser de Soro ?

Trop tard, Soro a une armée. Autrefois c’était des mercenaires mais aujourd’hui elles sont républicaines. Ouattara leur a donné une légitimité pendant qu’ils ne sont que redevables à Soro. En réalité, c’est grâce à lui qu’ils existent. Si Soro tombe, ils tombent aussi simple que cela. En définitive Soro a l’armée nationale en main.

Depuis quelque temps Hamed Bakayoko, le poulain de Ouattara essaie de les amadouer mais visiblement cela semble sans résultat pour l’instant.

Entre temps, Soro a gagné en équipe politique, il a plusieurs députés et des ministres à sa solde etc. Ce qui fait que politiquement, il compte. Il devient alors doublement difficile pour Ouattara de l’écarter. Côté international, Soro a été parmi les invités triés sur le volet lors d’une cérémonie célébrant « La République en marche » du nouveau président français. Soro sait d’où tout est parti contre Gbagbo ; avant d’ouvrir officiellement les hostilités, il prend le temps de s’assurer que rien ne partira de la France contre lui et ses hommes. Ce samedi 9 septembre, en refusant poliment de participer au congrès du RDR, Soro a fait un pas vers le divorce. Il a choisi de prendre ses distances avec un pouvoir de plus en plus vomi par les ivoiriens. Le RDR va-t-il le donner le coup du berger à la bergère en l’ignorant dans la future redistribution des cartes qui à coup sûr, sanctionnera le congrès ? Les jours à venir nous situerons. En attendant, Soro demeure un os dans la gorge de Ouattara et le RDR.

Une contribution de kpakpato225 (nom d’emprunt)

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