« Trahir un ami est la plus grande des trahisons, on ne retrouvera jamais son cœur ni sa confiance »
(Jean Baptiste Blanchard)
Lors de la dernière campagne électorale, le président Alassane Ouattara, avait promis de modifier la Constitution s’il était réélu. Après sa réélection, le régime Ouattara souhaite changer la constitution pour dit-on éviter d’autres rebellions au pays. Une constitution se change et c’est parfaitement conforme à l’Etat de droit. Une constitution peut se changer assez souvent, dès lors que les procédures sont respectées et que la révision s’effectue dans les formes républicaines. D’ailleurs, toute constitution étant une œuvre humaine, elle est faite pour être adaptée à l’évolution de la société. Pour autant lorsque la lettre ne s’accommode pas avec l’esprit du changement opéré, ce dernier perd toute sa substance. En Côte d’Ivoire, le projet de la troisième république contient en lui-même les germes de sa propre disparition. Trois raisons peuvent être avancées pour justifier cette position que nous adoptons. Parmi ces raisons, il semble que ce projet a pour seul dessein de contrarier le Président de l’Assemblée Nationale, monsieur Soro Guillaume. Pour une bonne compréhension de cette réflexion, il faudra que le lecteur prenne de la hauteur pour ne pas voir ici la défense d’un ex-rebelle mais celle d’une constitution au sens strict du terme. Avec cette clarification, nous pouvons à présent évoquer les trois raisons qui nous motivent à rejeter ce projet belliqueux.
La première raison est que le peuple a été oublié dans le projet
Une bonne constitution est celle qui est l’émanation de la volonté populaire. Ce que le peuple a fait, il lui appartient, de le défaire, en retour. En Côte d’Ivoire, la procédure pour l’adoption d’une nouvelle constitution est viciée. Il n’appartient pas au comité d’experts nommés par le Président de la république de proposer un nouveau contenu de la future constitution. Cette tâche revient au peuple ivoirien qu’on peut résumer par la société civile et aux politiques. Il n’est pas possible de passer d’une 2eme à une 3eme République sans associer le peuple ivoirien. C’est lui qui doit décider de tout, donc des questions de fond et les hommes de droit s’occupent de la forme et non du fond. Pour respecter les Ivoiriens, le président Ouattara aurait dû convoquer une assemblée constituante et laisser le peuple décider de son avenir. Encore une fois, le régime Ouattara n’a pas respecté le peuple de Côte d’Ivoire.
La deuxième raison est l’incohérence temporelle du Président Ouattara
Fondement juridique de l’Etat, la constitution n’est pas immuable. Comme toute norme juridique, la constitution est le produit de la société et non l’inverse. Cela est d’autant plus vrai que la société est sujette à des métamorphoses, évolutions et révolutions technologiques, scientifiques, idéologiques, culturelles etc. Dans ce cas, le contenu de la constitution doit s’adapter à ces changements sociétaux. C’est ce qui justifie régulièrement les modifications constitutionnelles. Dans notre pays, il a été dit que notre constitution consacrait une certaine exclusion. Par exemple, l’article 35 exclut tout candidat à la présidentielle n’étant pas d’origine ivoirienne, de père ET de mère. Il a dit qu’il s’agissait d’enlever tous les germes potentiellement conflictuels de la constitution actuelle car pour lui « Nul ne doit être exclu en raison de sa religion, de son origine, de son ethnie ou de la couleur de sa peau ». On ne comprend donc pas pourquoi le Président Ouattara souhaite passer à une troisième république au lieu de proposer aux ivoiriens une modification de la Constitution ? Cette incohérence temporelle cache des vérités obscures. L’être humain ne change pas sans motivation : il a ses raisons que les ivoiriens ignorent. Ce qui est certain, le régime Ouattara veut permettre aux aventuriers de diriger un jour la Côte d’Ivoire. Le Président Ouattara trouve que les conditions d’éligibilité au poste de Président sont très strictes. Pour rappel, l’article 35 de la Constitution impose que « le candidat à l’élection présidentielle (…) doit être ivoirien d’origine, né de père et de mère eux-mêmes ivoiriens d’origine. (…) Il ne doit s’être jamais prévalu d’une autre nationalité. ».
La troisième raison est la création suspecte de nouveaux postes
Dans une révision constitutionnelle, on peut distinguer entre ce qui pourrait s’apparenter à une révision structurelle, consistant en une refonte profonde du texte constitutionnel et une révision conjoncturelle liée à la politique. Dans le cas ivoirien, la révision voulue par le président Ouattara est purement politique donc conjoncturelle. Les Ivoiriens ne comprennent pas ce que le régime Ouattara reproche au poste de Président de l’Assemblée Nationale. La création d’un poste de vice-président élu au suffrage universel direct, en même temps que le président de la République, est suspecte. Désormais en cas de vacances du pouvoir, le vice-président garantit la continuité de l’Etat d’une part et le respect du calendrier électoral d’autre part. C’est une façon pour le Président Ouattara de préparer le terrain à son futur successeur qu’il a déjà choisi. Deuxième personnalité de l’État, le vice-président sera alors détenteur du dauphinat constitutionnel. Une position dans le schéma politique ivoirien qui est aujourd’hui tenue par le Président de l’Assemblée Nationale, Guillaume Soro. Visiblement, le président de l’Assemblée nationale actuel n’est pas le choix du président Ouattara. Les Ivoiriens ne comprennent pas également la mise en place d’un Sénat qui travaillera de concert avec l’Assemblée nationale et dans lequel se retrouveront « d’anciens serviteurs de l’État, de personnalités de qualité » comme l’a confirmé le président Ouattara. Jusqu’à présent, la coopération entre le Président de la République ivoirienne et le Président de l’Assemblée nationale a montré de bons résultats et la création d’une vice-présidence et d’un Sénat pourrait compromettre cet équilibre. Les Ivoiriens ont le dernier mot, ils doivent tout simplement s’opposer à ce vilain projet de nouvelle constitution.
Dr Yao Prao Séraphin
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