Comment Gbagbo et Blé Goudé discréditent la CPI

0

Les affaires Gbagbo et Blé Goudé achèvent de convaincre que la Cour pénale internationale (CPI) est une Cour politique où on peut confirmer les charges contre un Accusé en l’ab- sence de preuves irréfutables contre lui. En tout cas, le dossier discrédite de plus en plus la CPI.

Quand on a observé la magistrale intervention de Blé Goudé le 2 octobre dernier à la clôture de l’audience de confirmation des charges contre lui, et qu’on on se rappelle également la sortie de Gbagbo le 28 février dernier, à l’occasion du même exercice, ainsi que les développements qu’a connus l’affaire Gbagbo, la Cour pénale internationale (CPI) ne peut que susciter davantage de méfiance dans l’opinion. Ces deux affaires ivoiriennes achèvent de discréditer cette Cour. Gbagbo et Blé Goudé ont quasiment adopté la même la ligne à lors de ces audiences de confirmation des charges. En effet, comme dans l’affaire Gbagbo, le Bureau du Procureur a faussement décrit la réalité pour tenter malgré l’incohérence de son argumentation mêlant amalgames dangereux, falsification des faits et récréant à dessein un contexte dénaturé dans lequel il reconstitue les événements. C’est cet aveuglement volontaire imparablement préjudiciable pour les Accusés que Blé Goudé a tenu à pointer du doigt dès l’entame de sa dense intervention de 56 minutes devant la CPI le jeudi 2 octobre dernier. «Je me retrouve ici, à la Cour pénale internationale, à un moment où à tort ou à raison, une certaine opinion accuse cette Cour de servir d’instrument pour des règlements de comptes politiques contre des leaders africains indociles qui seraient même déjà condamnés avant d’être jugés ; ce qui mettrait à mal la crédibilité, l’impartialité, l’indépendance de cette prestigieuse institution. Vrai ou faux, madame la juge, je n’en sais absolument rien. Dans tous les cas, je suis déjà là et j’ai donc toute la latitude de me faire ma propre opinion », déclarait le président du Cojep. Blé Goudé est pleinement conscient de la nature politique de cette affaire qui le vise. Mais cette interpellation à l’avantage de mettre les juges (Gurmendi et ses collègues de la Chambre préliminaire I) devant leurs responsabilités. C’est une véritable pression morale qu’il exerce sur la Cour, comme pour dire aux juges : ‘’Vous avez prêté serment pour dire le droit et non pour vous mettre au service d’intérêts politiques et économiques’’ : «Par ma voix, des millions d’Africains vous regardent. Je compte sur vous pour ne pas permettre à des individus de se servir de cette Cour pour réaliser des ambitions qui peuvent entacher l’image de notre Cour parce que c’est notre Cour. Moi j’ai beaucoup de respect pour cette Cour». Pour lui, le Procureur ferait mieux en tout cas d’orienter ses enquêtes à Abidjan où les vrais criminels qui se baladent tranquillement.

Quand Gbagbo s’indignait contre les allégations du Procureur

Face à la falsification des faits par l’Accusation, Blé Goudé a souligné qu’il avait « beaucoup de précisions » à faire. Il n’est pas seul à avoir mal vécu les allégations du Procureur qui évoque un supposé plan commun. A la clôture de son audience de confirmation des charges le 28 février 2013, le président Laurent Gbagbo s’insurgeait contre les méthodes Fatou Bensouda et son équipe : « J’ai entendu beaucoup de choses. Certaines fois, je me suis retrouvé en Côte d’Ivoire, mais d’autres fois, je m’en suis trouvé tellement éloigné, tellement les questions qu’on posait étaient loin de ce que nous avons vécu ». Gbagbo avait consacré ces 17 minutes d’intervention à un rappel historique pour situer sur les péripéties de la crise que connait le pays depuis au 2002 avec la rébellion armée, les concessions à celle-ci par la discussion qu’il a initiées et sur la nécessité de privilégier la démocratie et le respect des institutions démocratiques associées, notamment la constitution : «Madame, c’est parce que j’ai respecté ma constitution qu’on veut m’amener ici», avait-il conclu. Comme son leader, l’ancien ministre de la Jeunesse a rétabli la vérité des faits. « On ne peut pas tronquer l’histoire de la Côte d’Ivoire devant moi. C’est Alassane Ouattara, qui depuis la prise de pouvoir de Gbagbo en 2000, voulait l’enlever du pouvoir par tous les moyens y compris par la force et moi j’ai les preuves de ce que je dis. Près de quatre tentatives de coup d’Etat de 2000 jusqu’à ce qu’on arrive en 2002», rappelle Blé Goudé face au Procureur qui soutenait l’inverse. Avec l’art oratoire qu’on lui connait, Blé Goudé a ridiculisé le Procureur qui a tenté pendant ces 4 jours qu’a duré l’audience de criminaliser des faits les plus anodins comme ses « rapports » avec Gbagbo, sa « casquette noire » perçue comme un code et même ses appels pacifiques au rassemblement aux mains nues ainsi que son charisme. Blé Goudé pointe la collusion entre le bureau du représentant légal des victimes avec le régime Ouattara en démasquant le juge Epiphane Zoro Bi qui a publiquement annoncé son appartenance au Rdr en juin 2013. Logiquement, si on s’en tient aux arguments et aux éléments de preuves présentés par l’Accusation, il est évident que la Chambre préliminaire ne confirmera pas les charges contre Blé Goudé. Mais il faut se rappeler que nous sommes à la CPI, une Cour des intrigues politiques. La CPI se discréditerait davantage si elle franchissait le rubicond en décidant de renvoyer Blé Goudé en procès comme dans l’affaire Gbagbo qui met déjà à mal l’impartialité de cette Cour qui fait de plus en plus l’objet de critiques acerbes.

Ce qui irrite le Procureur

Un clash a été évité de justesse le 2 octobre dernier. Lorsque Me Claver N’Dry, l’avocat de Blé Goudé démontrait que le témoin clé de l’Accusation P44 était peu crédible. Prétextant d’une volonté de la Défense de révéler l’identité de ce dernier, le Procureur Mc Donald était sorti de ses gongs. Il a coupé, sans avoir la parole, Me N’Dry de manière systématique. « M. Mc Donald, je pense que vous avez fait du cinéma. Ne m’interrompez pas lorsque je prends la parole ne serait-ce que par politesse », s’est insurgé le conseil de Blé Goudé. « M. Mc Donald, tout à l’heure lorsqu’il a pris la parole m’a confirmé purement et simplement que le document de l’Accusation si volumineux qu’il soit, si vous enlevez tout ce qui est repris des organes de presse, il n’en restera rien d’autre », charge-t-il. Cette même irritation du Procureur a été constatée lors de la confirmation des charges contre Gbagbo lorsque la défense soulignait que l’équipe de Bensouda ne prouve pas les allégations dans son DDC. « Nous nous demandons si le document qui nous a été transmis le 17 janvier 2013 est réellement un document contenant les charges ou un brouillon, un mémorandum interne sur lequel il fallait encore travailler afin de se décider quel mode de responsabilité il allait choisir », avait fait remarquer le 25 février 2013 Me Natacha Fauveau Ivanovic dans l’équipe de Maitre Altit. Il n’en fallait pas plus pour que le même Mc Donald saute de sa chaise pour réclamer la parole. Manifestement, le Procureur n’aime pas être démasqué de manière flagrante. Les errements de l’Accusation sont tellement perceptibles. « Ce que je dis est tellement vrai que même pour l’identité de M. Charles Blé Goudé, l’identité d’un suspect qui se trouve à la Cour depuis le 22-23 mars 2014, l’Accusation s’est trompée sur son identité. Pourquoi ? Parce qu’on est allé prendre pour l’identité de M. Charles Blé Goudé dans un livre et un magazine. C’est grave », s’est révolté Me N’Dry. Ce qui prouve que l’Accusation n’a pas véritablement enquêté. Me Nicholas Kaufman est allé dans cette même logique en expliquant que le témoignage du témoin principal du Procureur, P44, n’était pas crédible. Puisque, soutient-il, « les meilleurs éléments de ces témoignages ne sont que des ouï-dire ». Avec ça, si les juges décident de suivre l’Accusation, dans une centaine de jours, il est évident que la CPI ne pourra que renforcer davantage l’opinion de ceux qui la perçoivent comme une Cour de justice politique.

Par Anderson Diédri

 

Partager

Laisser une réponse