Lynx.info : Le ministre gambien des affaires étrangères ouvre le bal au micro des confrères de l’agence Reuter et invite Faure Gnassingbé à quitter le pouvoir. Vous le voyez partir ?
Comi Toulabor : Non, absolument non ! Faure ne partira pas sur l’injection du ministre gambien des Affaires étrangères. La preuve : il est toujours là . La Gambie, c’est « combien de divisions ? » ! Son homologue togolais Robert Dussey a dû penser à cette formule de Staline ridiculisant l’importance du Vatican dans les relations internationales. La Gambie ou tout autre pays africain n’ont suffisamment pas de poids pour imposer à Faure ce châtiment infamant de démission. L’injection viendrait de la France qu’elle aurait une toute autre portée. On l’a vu, et Robert Dussey le sait, qui a contraint le Gambien au démenti. Mais que représente un démenti en diplomatie où le port du masque mensonge et de l’insincérité est obligatoire? Robert Dussey, ancien frère franciscain, le sait aussi ! Dans les fonctions qui sont les siennes, le masque du mensonge a plus de valeur que l’acier de la vérité, comme d’ailleurs pour l’ensemble du système RPT/UNIR.
Les morts et blessés jonchent les rues de Lomé et des autres villes de l’intérieure. Comment expliquez-vous l’autisme de Faure Gnassingbé ?
Faure n’est pas du tout autiste. Il est en cohérence logique avec le système hérité de son père, et résultante de ceci, avec la manière sanglante et meurtrière dont il a accédé au pouvoir. Son père tuait et torturait tout en honorant dans le même temps une femme dans son lit. Les morts et les blessés participent à cette bonification du plaisir chez les Gnassingbé. C’est très jouissif, orgasmique ! Eros et Thanatos, deux faces de la même pièce, non ! Cela dépasse la seule fin de conserver le pouvoir. C’est plus profond, plus ontologique qu’uniquement génétique comme chez bien de rejetons du Baobab. Ceux-ci sont des tueurs en série, et Faure est la partie visible de l’iceberg nommé Gnassingbé, sur lequel la psychanalyse devra un jour se pencher.
« Tous au referendum » C’est le groupe de mots que le ministre Gilbert Bawara et Christophe Tchao ont au bec. Que fait courir le parti UNIR ?
L’électorat stipendié participera à la mascarade référendaire, avec l’approbation de la fameuse « communauté internationale ». Le tour risque d’être joué pour Faure, c’est le pari qu’il fait. Si le « dégagisme » (le « Faure must go ») ne faiblit pas et que le bras de fer continue dans la rue, Faure parie, quant à lui, à son essoufflement à coup de répression, de morts, de blessés et d’emprisonnements. Tout rentrera dans l’« ordre », la « stabilité », la « paix », le « développement », etc. C’est-à-dire les différents noms donnés au Togo à la corruption et à la négation de l’Etat. Les Ouattara, les Talon, les Condé et les autres défileront à Lomé, Macron peut-être en tête, célébrer la « sagesse » du peuple togolais qui attendra in futura saecula l’avènement du Messie. Scénario pessimiste, mais très réaliste dans le contexte international actuel où démocratie et droits humains, détrônés par la lutte contre le terrorisme, ne sont plus vraiment des préoccupations majeures, et ne l’ont jamais été, même dans les années 1990.
Plus vieux parti du Togo, Unir sous le fils donne l’impression de n’avoir que les Gnassingbé comme personnes ressources. Comment l’expliquez-vous ?
Le RPT/UNIR en tant que parti politique organisé, structuré avec des militants payant leur cotisation, n’existe pas. C’est un parti épisodique, circonstanciel, occasionnel, opportuniste, qui apparaît lorsque son chef en a besoin. Et là, le chef banque pour les services qu’il demande. C’est un parti où l’on ne connaît pas le militantisme bénévole et gratuit depuis sa création. Ce sont les fonctionnaires de l’Etat, les préfets notamment, qui lui donnent cette impression d’existence. Le chef en est en même temps le fondateur, donnant au parti son caractère familial par ailleurs. Faure meurt, et le RPT/UNIR meurt avec lui. Non, le RPT/UNIR n’est pas un parti. Un parti peut-être à la togolaise ou à l’africaine, ça oui !
Vous dites Mr Comi Toulabor : «Tikpi était inattendu. Il est venu un peu comme le Messie ». Comment expliquez-vous que, Jean-Pierre Fabre échoue en 11 ans d’existence ce que Tikpi fait en deux ans ?
Tout a dépendu des circonstances de l’apparition de Tikpi Atchadam. L’essoufflement des partis d’opposition, la mal-gouvernance de l’Etat et l’épuisement du désespoir de la population avec le chômage massif des jeunes lui ont été globalement favorables. Et le facteur Atchadam lui-même caractérisé par une offre politique claire, limpide et accessible à l’entendement du plus grand nombre a énormément joué dans son émergence politique. Si Jean-Pierre Fabre a échoué là où Tikpi Atchadam semble réussir, alors que les conditions sont pratiquement identiques, je dirai que le premier n’est pas une « bête politique » à l’instar du second. Il n’a pas de sens politique, vraiment. Pour moi, Fabre est un peu comme un gnou fou (qui plaît à une certaine jeunesse !) et non le renard rusé de Machiavel. Il ne va pas aimer, mais bon.
De Faure Gnassingbé, Obasandjo, ex président du Nigeria dit ceci : «Je crois qu’il a dû épuiser toutes les idées qu’il a pu avoir en termes de développement, sauf s’il a quelque chose de nouveau à nous apprendre». Beaucoup d’analystes pensent que Faure Gnassingbé est désormais grisé par le pouvoir. C’est aussi votre avis ?
Je partage parfaitement l’avis de l’ancien président nigérian Olusegun Obasanjo. Si celui-ci est devenu clairvoyant aujourd’hui, c’est tout à son honneur. Président en exercice de l’Union africaine, il était un des farouches soutiens de Faure en 2005. Ce dernier est tenu au pouvoir par les militaires qui l’ont fabriqué. Il veut couler avec eux sur le bateau ivre en brave capitaine.
« Si je suis réélu, mon prochain mandat sera celui de l’impunité zéro ». La presse a parlé de pots de vin de plusieurs des proches de Faure Gnassingbé et de son premier ministre. Depuis rien….
Honnêtement, je ne sais quand Faure a dit cela, mais peu importe qu’il ait dit aujourd’hui ou hier. Le système Gnassingbé est un système mafieux, c’est-à-dire le summum même de la corruption. « L’impunité zéro » : cela signifie la mort du système. Il ne peut pas vouloir la mort du système et s’y accrocher aussi obsessionnellement, en faisant couler des hectolitres de sang de ses concitoyens. Faure ment, et le mensonge est une partie consubstantielle du système. Il a été bien biberonné au sein paternel !
En politique, le temps est un facteur déterminant. Il joue pour Faure Gnassingbé ou contre lui depuis que les Togolais sont dans les rues pour des reformes ?
Exactement. Le facteur temps compte énormément pour Faure. Il le sait. Ses collaborateurs, faucons, lui disent de temporiser et de maîtriser le macadam que ce diable d’Atchadam finira par lâcher, abandonné par ses propres alliés d’hier. D’autres de ses collaborateurs, non moins faucons, lui conseillent de ne plus réprimer la rue qui s’essoufflera d’elle-même, comme les grèves illimitées de 1992-1993, ou les marches illimitées du Frac/Cst. Lui Faure, prénom dans lequel est écrite sa prédestination, ne s’essoufflera pas ! Mais c’est aussi un risque qu’il prend, car un souffle d’air suffira pour le propulser dans l’abîme.
Lynx.info : Question d’ordre personnelle Mr Comi Toulabor. Pourquoi est-il impossible à Faure Gnassingbé de comprendre qu’il y a une autre vie après les fauteuils cossus du palais de la Marina [Palais présidentiel au Togo, NDLR] ?
La vie dans les fauteuils cossus du palais de la Marina vaut certainement mieux qu’« une autre vie », incertaine celle-là. La Fontaine ne nous apprend-il pas qu’« Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras » ? C’est un des rares passages des fables de La Fontaine que Faure connaît par cœur et applique avec ardeur.
Mr Comi Toulabor votre mot de fin
Au-delà de l’étiquette de chercheur, je voudrais, en modeste citoyen, exprimer à mes concitoyens mon admiration. Mes pensées aux morts et aux blessés ainsi qu’aux familles endeuillées. Je veux dire aussi de ne pas baisser les bras. Il y a et il y aura beaucoup de manipulations provenant de toutes parts. Baisser les bras maintenant signifie qu’il faudra attendre plus d’une décennie pour les prochaines contestations contre le pouvoir des Gnassingbé. En effet après le 5 octobre 1990, il a fallu attendre 2005, soit quinze ans, pour que les Togolais descendent dans la rue pour refuser l’ignominie. Et il a fallu encore attendre douze ans, en 2017, pour reprendre le même combat arrêté au même endroit depuis 1990. Rester debout et lutter « sans défaillance » pour vaincre la mort de nous-mêmes et de nos enfants. Révérence à tous mes concitoyens au pays comme dans la diaspora !
Chicago, le 26 octobre 2017
Interview réalisée par Camus Ali
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