Chronique de Kodjo Epou. Réveillez-vous, juges !

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Si l’on parle de magistrature debout (le ministère public) et de magistrature assise (les juges), reste hélas cette troisième catégorie rare qu’on trouve au Togo, la magistrature parallèle, sans aucun point commun avec la règle, platement couchée aux pieds des hommes et femmes d’un pouvoir que le peuple rejette. On attend que se détachent honorablement de la corporation des magistrats quelques“justes” qui font le guet pour la garde de la démocratie. C’est peine perdue! Notre justice est restée attelée aux dispositifs abstraits de l’oligarchie régnante, incapable de dire le droit, de se moderniser.

C’est qui le premier ministre?, avait grondé l’officier. Cette phrase du gendarme avait suffit pour qu’un acte de justice ordonnant la libération d’un détenu d’opinion, acte dont Houngbo demandait l’application soit annulé. On peut, à loisir, multiplier les exemples du genre qui dénient au Togo l’état de droit que ses dirigeants revendiquent. Si notre pays en était un d’actif, la menace publique “il faut les (?) rentrer dedans” suivie de voie de fait et blessures graves sur des journalistes aurait non seulement fait perdre au tristement célèbre colonel Yark un bon nombre de ses galons mais aussi, attiré l’attention des juges. Mais ceux-ci, toujours terrés dans leur mutisme même sur les plus horribles des crimes et scandales, se fient aux injonctions de gendarmes carabinés. Combien de fois les jurisdictions régionales, la cour de justice de la CEDEAO notamment, n’ont-t-elles pas condamné le Togo pour ses jugements parallèles au serment de la magistrature, liberticides, pleins de vices! C’est à de magnifiques démonstrations de courage et de persévérance que se livre, jour après jour, le peuple togolais pour que changent ces mauvaises pratiques érigées en mode de fonctionnement de notre justice.

Nos juges et greffiers, ces derniers jours, sont enfin entrés en activité. Timidement, précise-t-on. Sûrement qu’ils sont touchés par la grâce de la dignité humaine. Ont-ils enfin compris que le temps est venu de rejoindre le mouvement, pour crever le mur de la peur? Si ces travailleurs de la justice, officiellement, réclament de meilleures conditions de vie et de travail, c’est, sans le dire, leur dépendance vis-à-vis du RPT qui les froisse et motive leur colère. Il faut le répéter, le crier, en faire une affaire de tous les jours: dans l’état actuel des choses, face à la déliquescence générale, à la paralysie des institutions et, surtout, à la tendance à substituer le droit par le diktat des gendarmes, il est une voix qui doit s’élever, qui doit appeler à la raison, à un sursaut des consciences: la voix des juges.

Le peuple attend qu’on lui explique pour quelle raison la machine judiciaire est si poussive, si nonchalante, sur certaines affaires et diligente sur d’autres. Pourquoi tant de zèle dans les affaires qui profitent au pouvoir, notamment le renvoi des “députés indésirables”,la capture de Bodjona pour escroquerie international, l’emprisonnement d’opposants…etc. Les Togolais déplorent qu’à leur tour, des dossiers beaucoup plus importants, tels le pillage des biens de l’Etat aux services des impôts, des douanes l’introduction des cargaisons de riz intoxiqué, les chambres de torture de la gendarmerie nationale, la falsification du rapport de la CNDH,et, plus récemment encore, les incendies criminels ayant consumé les deux plus importants centres commerçants du pays, les marchés de Lomé et de Kara … soient traités avec la même diligence. Ils s’étonnent enfin que la justice n’ait pas jugé nécessaire d’aller voir ce qui se passe dans des sociétés d’Etat mises à sac par des responsables corrompus et hauts en couleur ou au port de Lomé où des miliciens du RPT règnent en maîtres, important à bout de bras les marchandises les plus diverses et spoliant tout à la fois l’État et les honnêtes commerçants.

Il y a bien longtemps que des commerçantes crient leur colère dans l’affaire des sommes d’argent dont elles ont été spoliées à l’aéroport et qui ne leur ont jamais été restituées en totalité par des officiers de la gendarmerie dont les noms et les visages sont bien connus des victimes. Les sinistrées d’Adawlato, quant à elles, manifestent et demandent justice mais en vain. Sur ce dernier dossier, l’on s’étonne que nos juges, collectivement, sans qu’une seule voix discorde du lot, aient fermé les yeux sur les vrais pyromanes. Aussi les voit-on procéder, dans un désordre inouï, à des raffles inutiles parmi les citoyens visiblement ciblés mais que le simple “common sense” innocente et délivre de toute culpabilité. Normalement, comme cela se passe partout ailleurs, lorsque s’étalent de la sorte des cas d’injustice flagrante qui hypothèquent l’image d’une nation, envenimant ainsi les bases même du vivre ensemble de ses composantes, c’est de son propre chef, sans qu’elle y soit expressément invitée, qu’agit une bonne justice. Juges, n’est-il pas temps d’agir même s’il est vrai que vous ne seriez qu’une malheureuse petite goutte dans l’océan des rapines qui, le plus ouvertement du monde, saignent à blanc les caisses étatiques? Ou, à défaut, allez-vous, un jour, révélé à l’opinion nationale l’identité des gens qui ont brûlé les biens des Togolais!

C’est parce que sa magistrature est à mi-mât de son potential ou non déployée que le Togo, aujourd’hui, est ouvert à tous les vents, ceux dévastateurs de l’ogre RPT, ceux ignominieux des trafiquants de toute espèce que notre “land of no Law”, à brasouverts, accueille. De leurs procureurs et juges, les Togolais n’attendent pas une fronde à l’égyptienne. Ils leur demandent d’être des “justes”qui savent dire NON aux ingérences, travaillent dans le respect de leur propre serment, avec intégrité bien sûr, mais aussi initiative, détermination et, parfois, avec une dose de témérité dans les jugements entre citoyens, dans le suivi de notre processus démocratique qui marque sourdement le pas depuis près de 23 ans.

En lieu et place de juges justes, formés aux exigences d’une société plurielle en pleine mutation comme la nôtre, c’est d’un programme de modernisation du département de la justice que le gouvernement et l’Union Européenne nous vendent, sans qu’on voit tous ces beaux discours prendre la forme de faits concrets. Sait-on au moins, à Bruxelles, que ces immeubles financés à coup de millions d’Euro resteront des oeuvres vaines et de nul résultat tant que les hommes et les femmes auxquels ils sont destinés continueront de se comporter, non pas en professionnels modernes du droit mais en fidèles et loyaux militants du parti au pouvoir? Qu’elle semble de biais et tendancieuse, cette coopération qui n’a pas d’exigences, qui ne sait pas demander des comptes!

Kodjo Epou

Washington DC

USA

 

 

 

 

 

 

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