Cette Lettre qui dérange l’Elysée

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Côte d’Ivoire: Suite à la réélection proclamée ce jour du président sortant Laurent Gbagbo, qui est dans le collimateur de la France depuis dix ans pour délit de non conformité aux règles de fonctionnement de la Françafrique, le chef de l’Etat français Nicolas Sarkozy a mis en branle toute l’artillerie lourde dont il dispose pour rendre caduque la volonté du peuple ivoirien exprimée par les urnes. A l’heure où il cherche fébrilement comment intervenir militairement en Eburnie sans mettre en péril les ressortissants français en Côte d’Ivoire et dans les autres pays africains, qui observent très attentivement ce qui se passe à Abidjan, nous nous adressons à lui à travers cette lettre ouverte.

 

Monsieur Nicolas Sarkozy de Nagy-Bocsa,

Je ne sais pas pour vous, mais en ce qui me concerne, je trouve très horripilant d’être prise pour une cruche par un voyou, pour reprendre le terme utilisé par l’hebdomadaire français Marianne pour vous qualifier. Votre rapport entravé avec la vérité et votre addiction aux magouilles et tripatouillages en tous genres est historique, comme le prouvent votre implication dans les affaires Woerth-Bettencourt, l’attentat de Karachi, les cambriolages des bureaux et domiciles des journalistes enquêtant sur les casseroles qui vous collent aux talonnettes, sans parler de vos mensonges éhontés relativement à votre présence à Berlin le jour de la chute du Mur ou à propos de la soi-disant adhésion de la Chancelière allemande Angela Merkel à votre politique d’expulsion des Roms. Je ne mentionne même pas le jour où vous avez chapardé un stylo en Roumanie, ou celui où vous avez insulté l’un de vos concitoyens de «pauvre con» en mondovision. J’observais toutes vos bouffonneries en spectatrice hilare, n’étant nullement concernée par tout ce qui touche à la Gaule. Je ne suis sortie de ma réserve que trois fois : en août 2006, alors que vous étiez encore ministre de l’Intérieur, je vous dédiais un édito à propos de votre politique d’immigration choisie, puis en juillet 2007, quand vous êtes venu insulter l’Homme africain à Dakar, et enfin en décembre 2008, lorsque vous avez cru bon de monter sur vos ergots pour «exiger le départ du pouvoir du président zimbabwéen Robert Mugabe».

Je ne vais rien vous cacher, monsieur Sarkozy de Nagy-Bocsa : je fais partie de ceux qui n’aiment pas la France. C’est comme ça : c’est viscéral, c’est génétique, c’est historique. Il faut dire que le passé colonial de la France en Afrique francophone a été suffisamment sanglant pour entacher négativement nos relations de façon durable et que la politique néocoloniale prévaricatrice à laquelle vous persistez à vous livrer à travers la nébuleuse de la Françafrique ne fait rien pour arranger cela, bien au contraire.

Hier, dans un communiqué officiel relatif à l’élection présidentielle ivoirienne, vous avez dit que «la Commission électorale indépendante s’était acquittée avec rigueur de sa mission.» Monsieur Sarkozy de Nagy-Bocsa, je crois que nous avons une compréhension très différente de la notion de rigueur. Prenons au hasard les résultats de la région du Bandama, tels que mentionnés sur le procès-verbal officiel de ladite chargée des élections en Côte d’Ivoire, que vous avez félicité si chaudement. Pour une meilleure illustration, j’ai scanné le document. A ce stade, nous n’évoquerons pas les exactions qui ont pu être commises lors de cette consultation électorale, bien qu’il soit utile de préciser que le représentant du candidat de la LMP a été obligé de signer ce procès-verbal sous la contrainte. Des faits, rien que les faits. Regardons donc le travail rigoureux que vous avez tant apprécié chez les membres de la CEI. N’allons pas loin : dans un premier temps, additionnons simplement les chiffres colonne par colonne. Toutes les calculatrices de la planète trouveront qu’en lieu et place des 374.196 inscrits, les chiffres compilés dans le document ci-dessus donnent comme résultat réel 373.834.

La deuxième colonne est encore plus savoureuse Monsieur Sarkozy de Nagy-Bocsa. Le total exact des «votants réguliers» résultant des chiffres immortalisés par vos amis de la CEI donne 178.555, en lieu et place des 292.702 mentionnés. Une différence de 114.147 votants. Rien que ça ! Quelle rigueur, quelle précision dans les calculs en effet.

Ca continue dans la colonne des « votants non inscrits ayant voté » : l’addition de leurs propres chiffres donne un résultat de 5.522 personnes, mais chez eux cela devient 5.612 (soit une différence de 90 voix).

Là où ça devient carrément rocambolesque, c’est quand on arrive aux suffrages exprimés. Pour rappel, les suffrages exprimés représentent le total des votants (réguliers + ceux non inscrits ayant voté) duquel on soustrait le nombre de bulletins nuls. Prenons la ville de Bouaké. D’après le procès-verbal, il y a eu 48.301 votants réguliers + 2.761 votants non inscrits ayant voté, desquels on déduit les 2.662 bulletins nuls recensés. Cela donne donc 48.400 suffrages exprimés, croyez-vous ? Que nenni ! A Bouaké, avec la méthode rigoureuse que vous avez louée avec tant d’empressement et de vigueur, cela donne subitement 159.588 suffrages exprimés. Sans blague. Il faut croire que qu’ils en ont été eux-mêmes tellement surpris qu’ils ont « oublié » d’allouer ces 108.617 voix surnaturelles aux candidats. Ainsi, à Bouaké, le candidat Laurent Gbagbo a obtenu 22.845 votes, alors qu’Alassane Dramane Ouattara se retrouve crédité de 42.070 votes. Ce qui donne un total de 64.915 voix. Ce qui ne colle ni avec les 159.588 miraculeux suffrages exprimés selon la CEI, ni aux 48.400 suffrages exprimés réellement.

Que dire du total des voix d’Alassane Ouattara dans la région du Bandama ? Lorsque l’on additionne les chiffres des cinq circonscriptions électorales, on trouve un total de 149.598 voix. Mais ce chiffre est subitement transformé en 244.471 voix, soit 94.873 voix providentielles apparues là comme par magie.

Le taux de participation réel est donc de 47,52%. Vous vous rendez compte des implications politiques de ce chiffre ? En clair, Monsieur Sarkozy de Nagy-Bocsa, cela signifie que les populations Baoulé n’ont pas suivi le mot d’ordre de vote d’Henri Konan Bédié. Elles sont massivement restées chez elles. Le taux de participation a donc chuté de 77,55% au premier tour à 47,52% au 2nd tour. Plus d’un tiers de ceux qui ont participé au premier tour se sont donc abstenus! Quel désaveu !

En conclusion, Monsieur Sarkozy de Nagy-Bocsa, rien que pour le procès-verbal de la région du Bandama, situé en zone CNO sous contrôle rebelle, et en tenant compte des chiffres mentionnés et additionnés correctement, le candidat RDR aurait obtenu 84,21% des suffrages exprimés, tandis que celui de la LMP en emporterait 23,52%. Ce qui donne un total de 107,74%, ce qui est un peu gênant, je suis sûre que vous en conviendrez avec moi. Nous savons votre notion de « rigueur » chancelante, mais à ce point…

Monsieur le président de la République française, il y a trois ans, votre serviteur Abdoulaye Wade vous a laissé venir à Dakar nous dire que nous, Africains, sommes des sous-hommes. C’est votre vision. Souffrez donc que nous vous réitérions la notre. La Côte d’Ivoire est un état de Droit, souverain, doté de lois et textes organiques que tous nos partenaires sont tenus de respecter, comme nous respectons les leurs. Pour nous, l’élection du président de la République de Côte d’Ivoire n’est pas l’élection d’un sous-chef de classe dans une école primaire à Issy-les-Moulineaux.

Dans votre communiqué officiel précédemment cité, vous faites référence à la proclamation des résultats provisoires du scrutin hier-après midi par le président de la Commission électorale indépendante et vous lancez un appel aux dirigeants et responsables ivoiriens concernés «pour que le processus électoral, si bien engagé, s’achève rapidement dans un climat apaisé et ouvre à la Côte d’Ivoire une nouvelle ère de paix et de prospérité».

En proclamant les résultats depuis le quartier général de la rébellion et du RHDP plus de 16 heures après l’expiration du délai légal prescrit par la Loi et en dehors des formes et du cadre prévus à cet effet, le président de la CEI Youssouf Bakayoko a enfreint non seulement la Constitution de notre pays, mais également le Code électoral ivoirien et le règlement intérieur de l’institution qu’il dirige, ce que vous n’êtes pas sans ignorer, puisque l’Elysée a été la première à pousser des cris d’orfraie à l’expiration du délai légal de proclamation des résultats provisoires par la CEI, qui était fixé au mercredi 1 décembre à minuit.

En validant ce comportement hors-la-loi et en vous en faisant le porte-voix, vous vous désignez comme l’instigateur et le parrain de cette ridicule et ubuesque tentative de coup d’Etat électoral, qui est, il faut l’avouer, bel et bien à votre image : vaudevillesque et pitoyable. Si la vie et l’avenir de millions de personnes n’étaient pas en jeu, on en rirait!

Hier, à peine trois minutes après l’annonce clandestine, illégale et donc non avenue des «résultats provisoires» par votre très rigoureux ami de la CEI, tous les médias d’Etat français et affiliés avaient changé leur programmation, avec diffusion du portrait d’Alassane Ouattara, émissions spéciales, interruptions des émissions, identité graphique dédiée, et absolument aucune mention d’une quelconque appréhension sécuritaire ou de l’intervention du président du Conseil constitutionnel, pourtant antérieure à celle de l’ami Youssouf Bakayoko. Aujourd’hui, alors que le Conseil constitutionnel a annoncé la victoire définitive de Laurent Gbagbo depuis 15h30, nous sommes toujours en attente de la diffusion de son portrait ou d’émissions spéciales apologiques qui lui seraient consacrées. A la place de cela, nous avons droit à des prises de paroles haineuses et vindicatives (celle du journaliste Vincent Hugueux de l’Express sur France 24 devrait faire date en la matière) et au fait que depuis quelques minutes, vous semblez vous être souvenus qu’il y a 16.000 Français en Eburnie.

Compte tenu du refus constant de la France d’entamer une relation de partenariat équitable avec la Côte d’Ivoire et bien d’autres pays africains, couplée à votre incapacité à trouver des solutions au marasme socio-économique dans lequel vous avez plongé la France depuis votre élection en Mai 2007 ainsi que votre propension à user des mêmes méthodes que votre prédécesseur Jacques Chirac dans votre entreprise d’appropriation de la Côte d’Ivoire, la suite est connue. Peut-être aurez-vous l’amabilité de nous communiquer la chronologie qui vous sied pour l’édition 2010 de vos forfaits ? En attendant, voici la liste non exhaustive que nous connaissons par cœur, vous pensez bien : incitation aux troubles insurrectionnels urbains, attaques organisées par vos soins des intérêts économiques français et étrangers en Côte d’Ivoire, afin d’en faire porter la responsabilité au président Gbagbo, campagne médiatique anxiogène sur «Gbagbo et les jeunes patriotes-chasseurs-de-Blancs», résurrection des escadrons de la mort, manipulation de l’opinion internationale à travers des informations biaisées et fausses, disparitions opportunes de barbouzes, financement occulte des terroristes de la rébellion, résolutions fantaisistes au Conseil de sécurité de l’ONU, guerre, accords de «paix» obtenus sous la contrainte…

Votre façon, Monsieur Sarkozy de Nagy-Bocsa, de nous prendre pour des amputés du cerveau est crispante. Elle correspond au mépris que vous éprouvez à notre endroit, mais quand même ! Est-ce votre manque d’intelligence, de créativité ou tout simplement votre nature roublarde et brouillonne qui vous empêchent d’être un peu plus fin et discret dans l’élaboration et l’implémentation de vos stratégies de déstabilisation et de main mise sur la Côte d’Ivoire? Ce n’est pas faute d’avoir tenté, mais vous n’avez même pas réussi à imposer votre fils à la tête d’un simple établissement public pour l’aménagement d’une région parisienne et vous pensez pouvoir décider qui va présider la Côte d’Ivoire ? Je vous assure, Monsieur Sarkozy de Nagy-Bocsa, cela est vraiment vexant.

A cause de la guerre militaire, diplomatique, médiatique, politique et économique que votre pays mène au notre depuis maintenant 8 ans, nous avons été contraints de vivre dans la peur et la pauvreté et de faire des concessions indigestes et avilissantes. A la prospérité et au bien-être ont succédé la mort, le viol, le pillage, la déchéance. Nous ne reprendrons plus cette route. Je pense que ce serait bien si vous vous le teniez pour dit, monsieur le président de la République française. Quiconque tentera d’entraver notre dignité, notre liberté et notre développement, nous le combattrons désormais, sans concession.

Il n’est cependant pas trop tard pour vous rattraper. Votre souhait a été exaucé. Le processus électoral s’est achevé dans le calme ce jour. Le 28 novembre 2010, le peuple ivoirien a voté. Le Conseil Constitutionnel, seul organe habilité à proclamer les résultats définitifs des élections en Côte d’Ivoire, vient de déclarer Laurent Gbagbo vainqueur de la présidentielle avec 51,45% des suffrages. C’est lui que les Ivoiriens ont désigné pour diriger leur pays pendant les cinq prochaines années et ouvrir «une ère nouvelle de paix et de prospérité». Vous pouvez nous féliciter ! Et rappeler au candidat Alassane Dramane Ouattara qu’il s’est engagé à respecter les résultats du Conseil constitutionnel. Pour finir, Monsieur Sarkozy de Nagy-Bocsa, ce serait vraiment très sympathique si vous pouviez informer vos amis de la communauté internationale que ni eux, ni vous n’avez qualité pour parler ou décider au nom de la Côte d’Ivoire, et que Laurent Gbagbo a été mandaté par nous pour gérer notre pays dans l’intérêt bien compris des Ivoiriens, et non celui de la France, de l’ONU, du FMI ou d’autres puissances occidentales.

Vendredi 3 décembre 2010
Mahalia Nteby (mahalia.nteby@ yahoo.fr)

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