Monsieur Annan,
« L’Homme blanc a élevé à des hauteurs jamais atteintes la Civilisation du mensonge. »
Je suppose que vous connaissez cette citation d’un grand intellectuel et historien réunionnais, Jean-Charles Angrand. Elle figure dans une lettre adressée par ce dernier il y a de cela un an et demi au professeur Jean Ziegler, alors coordinateur de la Commission des Nations unies chargée de la lutte contre la faim et pour le droit à l’alimentation.
Vous n’êtes pas sans savoir que les États-Unis opposent un refus catégorique à l’idée de faire figurer le droit à l’alimentation dans le cadre global des droits de l’Homme malgré le fait que ceux-ci ne sont jamais respectés dans le monde surtout par la puissance qui ne cesse d’en brandir l’étendard [1]
C’est sur ce point que Jean-Charles Angrand a voulu insister pour clarifier le débat sur les problèmes politiques comme sur les problèmes économiques et sociaux, surtout que l’une des armes de destruction massive les plus utilisées est l’arme de la faim et de la malnutrition [2]. Quant aux slogans sans cesse répétés en la matière, ils ne servent que pour la propagande. N’est-ce pas Winston Churchill qui a dit : « Pour être protégés, les grands projets ont besoin de sentinelles en mensonges » ?…
Je pense, Monsieur, que cette citation vous rappelle quelque chose, même beaucoup de choses…. à commencer par la tragédie irakienne favorisée par un flux continu de mensonges pour justifier la guerre et entretenir le blocus contre ce berceau de la Civilisation humaine. Le Comité des sanctions chargé d’appliquer le Programme « pétrole contre nourriture » – titre, en soit, sommet de cynisme et de sadisme humain – qui agissait sous votre autorité, a mis en marche un génocide, dans le vrai sens du mot, selon la qualification donnée à cette action par Marc Bossuyt, alors président de la Commission des Droits de l’Homme des Nations Unies [3] et grand professeur en Droit international.
En effet, pendant votre premier mandat comme secrétaire général des Nations unies (1er janvier 1997-31 décembre 2000) le nombre des bébés irakiens tués par les sanctions, parce que privés de nourriture, de médicaments et de traitements médicaux adaptés, s’est élevé à plus de 550 000 enfants en bas âge. Il va sans dire que le « compteur » macabre s’était arrêté en l’an 2000, mais les tueries continuaient à travers le « Programme » qui s’est effondré au mois de mars 2003 avec l’invasion terrestre de l’Irak par la coalition anglo-saxonne et ses alliés.
Nous évoquons seulement le carnage des enfants et des bébés en laissant de côté les autres catégories de la population qui ont subi pratiquement le même sort. Mais l’histoire de votre Comité de sanctions et sa responsabilité dans ce génocide mérite bien d’être mise un peu en relief d’autant plus qu’on vous charge dès à présent de régler d’autres dossiers, non moins épineux, qui pourraient concerner directement la stratégie sanguinaire de l’Empire. Franchement, Monsieur Annan, votre nom à lui seul est devenu indissociable de cette tragédie qui n’a pas encore été prise en charge par la Justice internationale adaptée.
En évoquant ces meurtres en masse, Jean Ziegler ainsi que Hans-Christophe von Sponeck (ce dernier a dirigé à partir de Bagdad le Programme « pétrole contre nourriture ») s’accordent à considérer que .. « graduellement, à partir de 1996, le programme pétrole contre nourriture fut détourné de sa mission et servit d’arme de punition collective de la population fondée sur la privation de nourriture et de médicaments »….. et ce en contradiction flagrante avec la structure même du Programme telle que définie par le Conseil de sécurité, bien que la structure en elle-même est une aberration humaine, voire même une honte.
Des escrocs à la tête du « Programme »
Monsieur Annan, vous étiez au courant de toutes les pratiques et les malversations qui se déroulaient dans les différentes instances du « Programme » à commencer par le Bureau de ce « Programme » chargé d’examiner les demandes présentées par les entreprises qui aspiraient à décrocher des contrats. Le directeur de ce bureau vous l’avez-vous-même nommé à son poste, à la demande des États-uniens, malgré les suspicions qui l’entouraient.
D’ailleurs il a fini par être inculpé par le District Court de New-York avant de se retirer à Chypre « où il coule des jours heureux » selon l’expression de Jean Ziegler. Il était votre protégé, Monsieur Annan. Vous lui avez assuré la couverture nécessaire pour le déploiement de ses minables talents. En même temps, vous vous absteniez à protéger le « Programme », ce qui aggravait les exactions de sorte que dans le monde entier on comparait cette machine infernale aux administrations les plus corrompues de la planète.
Tout ça sur le dos du pauvre peuple irakien à qui on administrait des protocoles de destruction systématique. Il suffit de donner deux ou trois exemples des crimes perpétrés par cette administration à la tête de laquelle vous déployiez vos dons de faux sage africain.
Votre Comité de sanctions, animé par un code de conduite visant à rendre aux irakiens la vie infernale, se surpassait dans l’invention de méthodes, plus cruelles les unes que les autres, afin de remplir sa tâche diabolique. Par exemple le Comité refusait catégoriquement de permettre aux hôpitaux irakiens d’acquérir les machines de dialyse indispensables pour des milliers de patients.
Un jour le représentant de l’OMS à Bagdad, Dr Ghoulam Rabbani Papal, passe une commande urgente à la représentation du « Programme » à Bagdad pour l’acquisition de 31 machines de dialyse. Cette demande fut immédiatement transmise à New-York au Comité des sanctions où, comme dans les films d’horreur, ont disparues les traces de cette commande. Il a fallu réitérer la même demande, avec un temps d’attente de plusieurs mois avant de recevoir une réponse.
Ce n’est qu’après maintes interventions que le Comité a fini par donner son accord mais pour 11 machines seulement !!!… et l’histoire ne s’arrête pas là car ces 11 machines une fois livrées se sont trouvées bloquées au poste frontière jordano-irakien, par une décision anonyme. Il a fallu deux années de démarches acharnées pour pouvoir les libérer. Il va sans dire qu’entre-temps le nombre des patients irakiens qui périrent, femmes, enfants, vieillards etc…., dépassait tous les décomptes imaginables. C’était en l’an 2000.
Monsieur Annan, comment avez-vous accepté qu’une cruauté pareille soit commise sous votre autorité ?… mutisme total de votre part. Avez-vous entendu parler d’un crime qui s’appelle non-assistance à personne en danger, vous qui êtes supposé ne pas ignorer la loi… ?
Silence, on torture !
En 1999, alors que le corps médical irakien parvenait à faire des miracles compte-tenu de l’extrême privation qui le frappait, la directrice de l’UNICEF, Carol Bellamy formulait une demande expresse pour l’importation d’ampoules nécessaires à l’alimentation intra veineuse des nourrissons et des enfants en bas-âge gravement sous-alimentés.
Après une longue période d’attente, le verdict du Comité des sanctions tombe et c’est le refus catégorique. Elle s’est même adressée personnellement au Conseil de sécurité mais en vain !… Ainsi votre machine infernale, monsieur Annan, a réussi une formidable performance en matière de respect de l’être humain.
Est-ce que vous réalisez bien que vous vous êtes abstenu d’apporter une assistance à bébés en danger… ? Pourtant Monsieur Annan, vous ne cessez de cultiver votre image de marque, d’homme intègre, de sage africain, soucieux des droits de l’homme et de la paix dans le monde.
Depuis cette demande de l’UNICEF, le décompte macabre des enfants martyrs s’est arrêté, mais la tuerie continuait son avancée. Et en même temps vous vous êtes accroché à votre poste avec une allure de respectabilité et de calme.
Les pratiques de votre Comité de sanctions à l’égard de l’ensemble de la population irakienne ressemblent davantage à d’interminables séances de tortures. Vous en étiez témoin, Monsieur Annan, et le monde n’a eu aucun écho d’une quelconque manifestation de votre conscience d’homme de paix et de droit.
Je ne veux pas m’attarder, ni à raconter comment votre Comité de sanctions a empêché la fourniture de machines adaptées nécessaires à la remise en marche des stations d’épuration de l’eau potable du Tigre, de l’Euphrate et de Shatt-al-Arab, ni à expliquer comment l’Irak à cause de cela est passé parmi les premiers pays au monde dont la population souffre de maladies chroniques dues à la pollution de l’eau, ni comment votre Commission refusait toutes les demandes et suppliques des hôpitaux irakiens pour l’obtention des climatiseurs nécessaires pour conserver au frais les médicaments dans un pays où la température peut dépasser les 45° durant plusieurs mois.
Ce sont juste quelques petits exemples d’une panoplie d’actions concertées visant à ramener à l’âge de pierre un pays comme l’Irak et Dieu sait ce qu’est l’Irak.
« Ce qui se passe en Irak est bel et bien un génocide » s’est exprimé à haute voix Marc Bossuyt sans que ce cri alarmant et culpabilisant n’atteigne vos oreilles, Monsieur Annan. Tout comme les multiples protestations de cet homme honnête qu’est Denis Hallyday, le coordinateur du « Programme » à Bagdad, qui s’est trouvé contraint de vous jeter en pleine figure sa démission et a quitté les Nations Unies….
Tout comme les protestations de son successeur au même poste, le très honorable Hans Christophe von Sponeck, éponyme de l’honnêteté et du dévouement qui a été empêché d’expliquer de vive voix devant le Conseil de sécurité, les réalités de la situation et du génocide qui se déroulait.
Au lieu d’avoir le minimum d’honnêteté et de fidélité à la charge qui vous incombait et qui exigeait de vous une solidarité avec cette étoffe d’hommes de courage, de compétence et d’honneur, vous avez choisi le silence perfide et de vous ranger du côté des deux délégations anglo-saxonnes qui ont décidé d’interdire à von Sponcek de s’exprimer devant le Conseil de sécurité car il a bravé les interdits en choisissant de respecter scrupuleusement la Charte des Nations unies. Oui Monsieur Annan, sous votre autorité le respect de la Charte des Nations unies est devenu une infraction qui mérite un châtiment.
Complexé de la famille Wallenberg
Les atlantistes ont empêché von Sponeck d’étaler la vérité au grand jour devant le Conseil de sécurité tout comme ils ont empêché dernièrement le général soudanais al-Daby (chef de la délégation des observateurs arabes en Syrie) de s’exprimer devant la Ligue arabe et de faire saisir son rapport par le Conseil de sécurité car il mettait en cause le rôle destructeur et criminel que les organisations terroristes jouaient en Syrie. D’ailleurs il existe plusieurs points communs entre les deux cas.
Monsieur Annan,
Vous êtes sans doute impressionné par la trajectoire de vos beaux-parents suédois. Je veux parler de la famille Wallenberg, très puissante dans le domaine de l’industrie, des finances et des banques et qui a donné à la Suède plusieurs personnalités éminentes dont certaines ont eu un rayonnement pan-européen tel l’oncle maternel de madame votre épouse, Raoul Wallenberg et son oncle Jacob.
Très probablement c’est la personnalité de Raoul qui vous a le plus intéressé car il était sûrement un homme assez particulier qui a fait preuve d’un courage indéniable durant les derniers jours de la Seconde Guerre mondiale lorsqu’il a exposé sa vie aux grands dangers pour sauver des centaines de juifs en Hongrie et ce avant qu’il ne soit arrêté par les troupes soviétiques le lendemain même de leur entrée en libérateur dans Budapest.
D’ailleurs les traces du brave Raoul se sont rangées dans les dossiers des énigmes de la guerre et de l’après-guerre. Tout ce qui a filtré de sa disparition c’est que les soviétiques le considéraient comme un espion états-unien.
C’est tout à fait normal Monsieur Annan que vous sentiez une certaine fierté lorsque vous visitez certaines capitales européennes et que vous vous rendiez à des sites érigés par les communauté juives à la mémoire de Raoul, tout comme à Washington qui lui a délivré le statut de citoyen d’honneur des États-unis, après Winston Churchill. Quant à l’État d’Israël, ou il est aussi citoyen d’honneur, la plaque commémorative en son nom a été placée au cœur même du Mausolée de « Yad Vashem » à la mémoire des victimes de l’holocauste nazi.
Monsieur Annan,
C’est bien dans la nature des choses que ce lien matrimonial qui vous lie à la famille Wallenberg soit à l’origine de votre ascension professionnelle mais est-ce que vous n’auriez pas dû suivre l’exemple de l’oncle de votre épouse en matière de dévouement à son peuple juif et que vous prôniez une attitude ferme contre toutes sortes d’holocauste plutôt que d’y participer, comme vous l’avez fait lors du génocide du peuple irakien.
Oui Monsieur Annan, il s’agit bien d’un holocauste en Irak et d’un génocide, dans le sens juridique du terme tel que qualifié par Marc Bossuyt. Vous êtes partenaire dans la gestion de cet holocauste en Irak.
Vous êtes partenaire principal dans cette non-assistance à 550 000 enfants en bas âge en danger de mort.
Soyez sûr Monsieur Annan que nous ne sommes pas une copie conforme de nos gouvernements sionistes arabes. Si vous avez le plein droit d’être fasciné par vos beaux-parents sionistes, alors vous pourriez être sûr que cela ne sera jamais notre cas vis-à-vis des sionistes arabes. Ils ne nous fascinent guère, au contraire ils nous dégoûtent.
Il est inutile Monsieur Annan, que vous pensiez, ne serait-ce qu’un laps de secondes, que l’holocauste de la Mésopotamie pourrait échapper indéfiniment à la justice. Cette affaire vous concerne directement du fait de votre position dirigeante à la tête de l’exécutif onusien durant la période du génocide qui avait pour titre « pétrole contre nourriture ». Avec un parcours pareil, on peut se demander si vraiment vous êtes habilité pour apporter une solution pacifique à la crise syrienne actuelle que l’ « on » vous a chargé de résoudre.
Pouvez-vous faire à la Syrie une prescription extra-génocidaire qui l’épargnerait de subir le même sort que l’Irak ? …Très probablement on ne vous a pas choisi pour cela.
Monsieur Annan, vous êtes chez nous aujourd’hui pour servir les projets de ceux-là mêmes qui vous avaient envoyé chez nous hier, du temps de l’holocauste en Irak.
Monsieur Annan, vous êtes aujourd’hui en Afrique pour faire la propagande des Rockfeller. N’est-ce pas le groupe Rockfeller qui finance le projet AGRA de « l’Alliance pour une révolution verte en Afrique » que vous présidez vous-même ?
Quand même Monsieur Annan, un peu de décence vous ferait du bien…. Nous n’avons pas perdu notre mémoire et nous nous souvenons bien de vous. Souvenez-vous Monsieur Annan, de la fameuse sagesse d’Albert Camus :
« Toutes les contraintes du monde ne feront pas qu’un esprit un peu propre accepte d’être malhonnête. »
Hassan Hamade
Source As-Safir (Liban)