Cailloux et prières dans le Mono !

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Je ne comprends pas vraiment nos comportements. Lorsque des enfants, au lieu de faire des œuvres utiles, par exemple aller en classe ou aider leurs parents au champ,  à la pêche, dans des travaux domestiques vont au bord de l’eau se livrer au jeu qui consiste à lancer des cailloux dans le fleuve, on les réprimande, on les punit même parfois. Lorsque ce sont des adultes, hommes et femmes d’âge mûr (pléonasme d’insistance, donc utile) qui se livrent au même jeu enfantin, on pense, soit qu’ils sont devenus fous, soit qu’ils se livrent à des pratiques magiques dont on ignore le but. Dans tous les cas, personne ne trouve cela normal. Il est vrai que le lancer des cailloux dans le fleuve peut constituer un sport intéressant, amusant et nul ne nie la nécessité du ludique dans la vie et le développement de l’homme. Il pourrait même y avoir une esthétique de ce jeu, non seulement dans le geste, mais aussi dans le jaillissement de l’eau ainsi heurtée, dans les oscillations  que provoquent les pierres en retombant à la surface de l’eau, oscillations que l’on peut admirer pendant un temps, mais qui, quelle que soit leur ampleur, leur beauté, finissent par mourir progressivement. Je n’oublie pas le bruit ou le son   produit par le choc ( une belle musique) des cailloux sur l’eau…Tout cela est très beau ! Mais si nous passions tout notre temps à ce jeu, rien qu’à ce jeu, adultes et enfants…tout notre temps jour et nuit, pendant 10, 20, 30 ans…et surtout si cela ne nous lasse pas nous-mêmes, au point que nous cherchions une autre occupation, si nous en faisions un métier, alors que les autres s’occupent à des œuvres plus consistantes, de quoi nous traiterait-on dans le voisinage ?

Qu’on nous permette de nous interroger de savoir si le lancer des cailloux dans le fleuve n’est pas devenu le sport professionnel de notre opposition. Cailloux ou pierres ? J’y viens. Je connais encore un proverbe mina, souvent en usage parmi les populations des bords du Mono : « Gbe nɔ due dõ hũ đo tɔ » ( il faut unir les voix pour pousser la pirogue sur le fleuve ). Mais je ne connais aucun proverbe, donc aucune sentence de notre sagesse  populaire recommandant d’unir les voix pour lancer des pierres dans le fleuve (Gbe nɔ due da kpe đo  tɔme?). Il nous est arrivé d’unir nos voix, mais malheureusement, uniquement pour lancer dans le fleuve des pierres ou des rochers que seuls, nous n’avons pas la force de  soulever. L’effort fourni est certes plus important, plus louable. Les effets en bruit, en oscillations et ondes aussi…La joie et même l’euphorie sont atteintes à un degré assez haut, comme dans toute entreprise qui comble notre instinct grégaire. Mais, il n’y a, en fin de compte que jaillissement spectaculaire de l’eau agitée à la surface, grand bruit…la pierre, quelque grosse qu’elle soit s’enfonce, disparaît et va reposer au  fond du fleuve. On n’en parle plus jusqu’à la prochaine pierre. On pourra la choisir plus grande, donc fournir pour la soulever et la lancer, un effort plus grand, surhumain si on veut, mais le résultat sera le même. Je disais qu’un adulte, un être pensant qui lancerait, de cette façon, pour ce genre de résultat des pierres, pourrait être soupçonné de se livrer à un  geste magique, une incantation « gbesa », dont le commun des mortels ignorerait le secret. J’ai entendu une fois, dans un débat diffusé sur Kanal K, Fenêtre sur l’Afrique entre mon ami Atsou Edem Kwassi et Gilbert Bawara, ce dernier marteler  à l’adresse de l’opposition : «  Nous ne sommes pas dans l’incantation ! » Je m’en moquais un peu, parce qu’il répétait sans cesse cette phrase, justement comme une incantation : «  bođe wu bođe » (incantation contre incantation, laquelle gagnera ?).

Finalement, il me semble bien que c’est l’incantation de Bawara qui a gagné, car son camp a obtenu tout ce qu’il voulait. Et son chef, Gnassingbé, sort plus que jamais renforcé de l’épreuve de force à laquelle l’opposition togolaise l’a soumis ces derniers temps. La leçon que l’on peut tirer de cela est qu’il ne faut pas se moquer de l’adversaire avant d’avoir entièrement compris qu’il ce voulait dire, ce qu’il menaçait de faire et, pour rejoindre un autre proverbe et rester dans la métaphore filée de la pierre, «  sur quelle pierre Bawara avait posé son pied » et contre qui il se préparait à la lancer pour faire bien mal. Le camp de Bawara sait presque toujours de quelle pierre il dispose, quand il la lancera et contre qui. Nous qui nous disons de l’opposition, notre problème est que nous ne savons lancer notre pierre que dans le fleuve.

J’avoue encore que je m’étais moqué de Bawara, mais en ce moment, c’est bien Bawara et son camp qui doivent se moquer de notre opposition, en particulier de Zeus Ajavon. Sous sa direction, le CST a encore lancé des pierres dans le fleuve, utilisant, mélangeant cris, slogans, déclarations intempestives, tours de Jéricho ( notre Josué !), un temps, lui et sa troupe peut-être égarés sur la route, errant, rebroussant chemin, ou reculant devant l’immensité de la muraille,  ont fait un petit tour chez les Vodusi…puis, se sont rendus finalement à la messe de Monseigneur Barrigah et de l’Ambassadeur  des États-Unis( nommé, par un lapsus révélateur, Monseigneur lui aussi au cours de la lecture du communiqué) pour y absorber l’amère communion ( pardon, je veux dire : avaler le lieu commun) du…communiqué final lu par Apevon. Ajavon, Apevon, Adjamagbo, Agbéyomé… Ah ! Ah !Ah !Ah !Ah !( gémissements de regret?). Mais la messe est dite,  Madame et Messieurs.

À moins que le gris-gris d’Ajavon et de ses amis aient eu des effets cachés que nous ne voyons pas, que nous ne connaissons pas, ce ne sont pas de nouvelles pierres lancées ensemble ou individuellement dans le fleuve qui y changeront quoi que ce soit. Comme par exemple celle-ci, repêchée dans une eau trouble, c’est-à-dire dans un texte pathétique, assez confus, aux contradictions peut-être habilement dissimulées ( c’est peut-être cela l’art de la politique chez nous) :

« En conséquence, le Collectif Sauvons le Togo lance un appel pressant à l’ensemble du peuple togolais, notamment aux femmes, aux jeunes, aux étudiants, aux agents de l’État, aux forces de sécurité, aux travailleurs du secteur privé, aux commerçantes et commerçants, aux agriculteurs, aux artisans, à toutes les filles et à tous les fils de notre cher pays en âge de voter, à se mobiliser massivement pour porter leur choix sur les listes conduites par les partis du Collectif Sauvons le Togo. Électrice, électeur togolais, par ton vote, fais le( sic) 25 juillet 2013, le levier du changement pour le triomphe des aspirations populaires. Le changement c’est maintenant plus que jamais. Dans ce combat de David contre Goliath, le Dieu des Armées, le Dieu de Justice est avec nous. » (le comédien lisant ce passage  doit, bien entendu, adopter le ton de la grandiloquence).

Nous sommes, bien sûr, pour ne pas parler comme Bawara, dans le prêt-à-penser,  le prêt-à-communiquer et le prêt-à-déclamer, qui marquent notre vie politique, toute notre vie politique depuis les années de gloire d’Eyadema. À peine y fait-on quelques petites retouches. Et on y va gaillardement, élégamment. Les retouches d’aujourd’hui?  Ce ne sont pas seulement les livres de Samuel  qui ont remplacé celui  de Josué. C’est aussi François Hollande et son slogan de campagne que l’on cite sans les citer. Cela porte bonheur, peut-être. Zeus, oint roi d’Israël (non pas  l’État actuel, mais le royaume théocratique dont la fin remonte à 721 avant Jésus-Christ) ou vainqueur des Cananéens qui renversa la muraille de Jéricho, ou  Président, comme François Hollande, vainqueur des élections présidentielles françaises de 2012, installé à l’Élysée…Ou  encore maître Zeus, maître des dieux grecs et des hommes, régnant sur l’Olympe.

Quand donc, unissant nos forces simplement humaines, celles de l’esprit et des bras, nous les emploierions, non plus à lancer des pierres, mais à pousser notre embarcation sur le fleuve pour y pêcher ou pour nous rendre à une destination bien définie ? Quand donc aurons-nous une vraie stratégie propre à  l’opposition togolaise, stratégie qui est imagination, réflexion, méthodes, actions mais qui est aussi langage et style pour penser, dire et réaliser la maîtrise du cours du fleuve togolais à laquelle nous aspirons tous?

Sénouvo Agbota ZINSOU

 

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