Burkina-Faso-Ceux qui ont peur de l’article 37

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Ils réclament à cor et à cri la révision de l’article 37 de la constitution burkinabè. Ils ne veulent pas du tout entendre que le mandat présidentiel a une durée et une limite. Blaise Compaoré, leur naaba moderne, doit continuer son règne à la tête du pays. S’il est à ce niveau, c’est par la volonté divine et personne, surtout pas un « simple article », ne doit l’obliger à prendre vacances des affaires du pays. Ces gens qui se lamentent à l’idée du départ du président Compaoré en 2015 n’ont pourtant pas tort. Si ce dernier s’en va, qui les assurera les nombreux privilèges dont ils jouissent depuis plus d’un quart de siècle ?

Ceux qui ont peur de l’article 37

« Un article de la constitution ne saurait restreindre le choix des Burkinabè, en les privant de l’opportunité d’accorder leur confiance à la personne qui leur convient. » C’est la conviction de François Compaoré, le frère cadet du chef de l’Etat. Dans le lot de ceux qui souhaitent la révision de l’article 37, on peut distinguer trois catégories d’acteurs.

D’abord, le premier cercle présidentiel,

le noyau autour duquel s’est replié le président depuis 2005. La présidentielle de cette année-là a révélé le recentrage des pools de pouvoir du parti vers les réseaux du cercle familial. La marginalisation du CDP a commencé ou s’est manifestée avec l’investiture du candidat Blaise Compaoré. Le parti dont il est le candidat l’a investi à Ouagadougou sans sa présence. C’est dans le patelin familial à Ziniaré que la cérémonie a eu lieu, le tout orchestré par les associations patronnées par le frère François. Le parti a été relégué au rôle « d’accompagnateur ».

Cela ne pouvait pas plaire au directeur de campagne qui n’était autre que Salif Diallo. A partir de ce moment, la machine de broyage politique de ce dernier s’est mise en marche jusqu’à l’éviction de tous les ténors au congrès de mars 2012. On peut comprendre ce premier cercle. Il est plus dans l’ordre du sentimental. Tous souhaitent que le frère reste au pouvoir pour non seulement les privilèges que ce maintien peut procurer, mais aussi par la crainte que suscite l’après pouvoir. A ce niveau, c’est humain, donc compréhensible. François Compaoré est le porte-parole de ce groupe. Lui particulièrement n’a aucun intérêt que le bail de son frère prenne fin. Il est associé dans beaucoup d’affaires qui, pour de nombreux Burkinabè, restent à élucider malgré leur fin de course à la justice. Il se bat donc pour ses propres intérêts et pour assurer ses arrières.

Le second groupe, c’est celui des militaires.

Ce sont principalement des hauts gradés de l’armée, même si parmi eux on compte de simples soldats. Ils ont aidé à prendre le pouvoir le 15 Octobre 1987 ou à le consolider d’une manière ou d’une autre. Certains ont supervisé le massacre de Koudougou le 27 octobre 1987, d’autres se sont illustrés dans de mauvais traitements infligés à ceux qu’on amenait au Conseil pour « explication ». Les étudiants de la génération 90 se souviennent des manoeuvres subies dans ce sinistre lieu. L’étudiant Dabo Boukary et le Professeur Guillaume Sessouma n’ont plus été revus depuis leur passage à ce lieu. Même leur lieu de sépulture reste inconnu de leur famille. Les militaires qui ont donné l’ordre de les « faire » sont encore de service. Ils ne peuvent pas vouloir la fin du régime qui assure leur impunité. Mais ce sont les hauts gradés qui n’ont surtout pas intérêt au changement. Beaucoup ont été ministres, présidents d’institution, directeurs généraux, premiers responsables dans l’administration, postes généralement réservés aux civils dans un Etat de droit. De ces positions, beaucoup ont profité se lancer dans des affaires et font effectivement des affaires florissantes. Ils sont dans l’import-export, dans les hydrocarbures, les BTP et les services. Presque dans tous les secteurs qui peuvent rapporter gros.

Ils trouvent dans le régime de Blaise Compaoré, le parapluie indispensable à la continuité, « dans la paix », de leurs activités lucratives. Sans oublier leur position dans l’armée qui leur procure d’autres avantages matériels et de prestige social. Cette caste de militaires habitués aux délices du pouvoir ne voit pas d’un bon oeil le changement. Ils ne sont pas totalement rassurés malgré les bonnes gages données par le nouveau chef de file de l’opposition, Zéphirin Diabré, qui martèle à longueur d’interviews que le changement qu’il prône n’est pas synonyme de vengeance. Il s’adresse peut-être à leur compréhension de la justice, une exigence dans tout Etat de droit qui ne saurait être qualifiée de vengeance. La question de ces militaires est une préoccupation d’autant plus que dans l’armée, ils se sont fait beaucoup d’ennemis. Le Centre pour la Gouvernance Démocratique (CGD) a eu raison le 2 juin dernier, de parler, lors de son « Dialogue démocratique » de tabou constitutionnel quand on évoque la place et le rôle de l’armée dans le système politique burkinabè. Tous les observateurs s’accordent pour dire que le fond du régime reste militaire. Même certains civils qui sont associés à la gestion du pouvoir ont acquis certains reflexes de caserne (cf. l’affaire des 23 kg d’or avec les ministres Kaboré et Yaméogo).

C’est une problématique qui interpelle les acteurs politiques, surtout à la lumière de ce qui s’est passé en Egypte. Quand on est habitué à une situation de rente et de privilèges indus, on est prêt à perpétrer un coup d’Etat pour sauvegarder ses gros intérêts. En Egypte, l’armée est restée une institution solide et a su jusque-là préserver une certaine unité en son sein. Peut-on dire la même chose de l’armée burkinabè après ce qui s’est passé en 2011 ? Il est permis d’en douter.

Enfin, le troisième groupe est constitué des « intellectuels »,

précisément ceux que les sociologues appellent « les intellectuels du pouvoir » et tous les acteurs « informels » sur lesquels compte le pouvoir pour encadrer la société dans son ensemble. Les « intellectuels du pouvoir » sont des cadres qui ne peuvent pas s’imaginer servir en dehors du pouvoir. Ils rechignent à être dans l’opposition, même un seul jour. On en trouve un peu partout dans le monde, surtout en Afrique. Leur prototype, parfait en Afrique francophone, c’est l’Ivoirien Dona Fologo. De Houphouët à Ouattara en passant par Bédié, Guëi et Gbagbo, il a proposé ses services. Ouattara a décliné ses offres, lui demandant de faire valoir ses droits à la retraite. Ce genre d’intellectuels veulent servir du premier au dernier président du pays. Logiquement donc, «  les intellectuels du pouvoir » au Burkina ne devraient pas craindre leur sort parce qu’ils pourraient se faire valoir dans le nouveau régime qui viendrait à s’installer comme on l’a vu au Sénégal après la première alternance en 2000.

Mais leur crainte est largement justifiée car ils ont tellement duré au pouvoir et traînent des casseroles que tout nouveau régime n’aurait aucun intérêt à s’allier avec eux. Ils constituent plus un boulet au pied qu’un recours sûr pour la gestion. Cette catégorie de personnes se recrute dans deux sphères du régime. L’ancienne classe dirigeante du pays qui a rejoint armes et bagages le Front populaire au lendemain du coup d’Etat du 15 octobre 1987 ou lors de la constitution du CDP en 1996. Ce sont des anciens politiciens de la 3ème République et des cadres de l’administration à la retraite. A ceux-ci, il faut greffer la cohorte de chefs traditionnels ainsi que les cadres non actifs politiquement, mais foncièrement conservateurs qui trouvent dans ce pouvoir un terreau fertile pour fructifier leurs affaires ou couvrir leur mauvaise gestion dans les administrations publique et privée ou dans les ONG. Les opérateurs économiques véreux ayant bénéficié des prébendes et des prête-noms lors des privatisations complètent cette liste. Dans la seconde sphère, on retrouve les intellectuels dit de gauche qui se sont battus dans des groupuscules aussi bien dans le Conseil national de la révolution (CNR) que du Front populaire. Ils sont très fragmentés, mais le gros lot qui prône la révision de l’article 37 appartient à l’ex- Union des communistes du Burkina (UCB).

C’est le dernier carré des fidèles du président, ses conseillers officiels et occultes à la présidence. Ils sont très actifs dans des moments troubles de l’histoire du régime ou lors des congrès du parti. Ils aident le président dans ses choix des hommes ou des formules pour garder l’initiative de la situation. Tous ces acteurs ont peur de l’alternance et sont prêts à soutenir la révision de l’article 37 de la constitution. Mais dans le contexte actuel, les choses risquent de leur échapper car le désir de changement est plus fort dans de nombreux segments de la société burkinabè, surtout chez les jeunes dont l’horizon n’est pas prometteur avec le statu quo actuel. S’ils engagent le bras de fer, ils sortiront forcément perdants.

Abdoulaye Ly

MUTATIONS N° 33 du 15 juillet 2013.

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