Plus d’un an après l’accession d’Alassane Ouattara au pouvoir d’Etat, la Côte d’Ivoire cherche toujours ses marques. Aux espoirs suscités par les promesses de l’ancien Directeur adjoint du Fmi, se sont succédé peu à peu désillusion et désespérance au regard notamment de la cherté de la vie et de la corruption à l’intérieur de l’appareil judiciaire.
L’appareil judiciaire, ses manquements, ses lourdeurs dues souventes fois au trafic d’influence et autres appels venant d’en haut pour étouffer telle ou telle affaire inquiètent à la fois les Ivoiriens et les partenaires au développement.
La vérité, c’est que l’indépendance et la transparence de la justice constituent un signe de bonne gouvernance. C’est même une variable indispensable pour que les investisseurs se bousculent aux portes d’un pays. Pour l’heure, la Côte d’Ivoire est loin de disposer d’une justice fiable, indépendante, équitable et qui rassure. Et cela saute aux yeux de tous. La chose est même perçue au-delà des frontières ivoiriennes, et devient de plus en plus gênante, dans les rapports de la Côte d’Ivoire avec certains grands pays. C’est le cas notamment des Etats-Unis. En effet, selon la « Lettre du continent » du jeudi 28 juin 2012, « en privé, l’ambassadeur en poste à Abidjan, Phillip Carter III, n’hésite plus à dénoncer le blocage du système judiciaire et la corruption qui semble s’être installée sur la lagune Ebrié ».
Cette situation a amené les autorités américaines à « geler un projet de 700 000 dollars soit 350 millions Fcfa lancé en janvier pour réhabiliter l’appareil judiciaire. Cette initiative devait permettre de doter les tribunaux ivoiriens de nouveaux équipements », peut-on également lire dans la Lettre du continent du jeudi dernier. Les Etats-Unis qui ne voient pas les choses bouger avec transparence au niveau de la justice ivoirienne, ont préféré mettre ce projet en attente. Le temps de voir des dispositions pratiques, franches et sincères s’instaurer dans le milieu judiciaire.
Justice des vainqueurs : faut-il y croire ?
Depuis la fin de la crise postélectorale, les pro-Gbagbo n’ont de cesse de dénoncer une justice détaillée à la tête du ‘’client’’. Même si ceux-ci ne sont pas des enfants de cœur, et que leur attitude méprisante à l’égard des victimes et des parents des victimes doit être dénoncée, il n’en demeure pas moins qu’à ce jour, aucune personne proche du pouvoir actuel n’a fait l’objet n’a même d’une simple interpellation. Aucun élément des ex-forces nouvelles qui ont aussi commis des crimes abominables n’a fait l’objet d’arrestation encore moins d’audition à ce jour. Selon la Lettre du continent « l’administration américaine demeure toujours aussi vigilante concernant l’avenir des chefs des ex-Forces nouvelles (Fn) qu’elle voudrait voir traduits devant la justice internationale ». Alassane Ouattara lui-même a de tout temps affirmé que tous ceux qui ont commis des crimes avant et pendant la crise postélectorale, seront recherchés, jugés et punis. La France, les Etats-Unis et l’Onu qui ont joué un grand rôle dans la chute de Laurent Gbagbo attendent que le président actuel crée les conditions d’une vraie justice. Une justice indépendante et transparente. Au plan national, la récente sortie de Karim Ouattara qui a exigé que le pouvoir mette fin à l’arrestation des exilés pro-Gbagbo, qui rentrent au pays dans le cadre de la réconciliation nationale, témoigne d’une insuffisance d’équité au niveau de l’appareil judiciaire. Les mêmes pratiques sous Laurent Gbagbo semblent avoir refait surface dans ce milieu. On feint de ne pas voir les comportements détestables des proches du Président Ouattara tout en brandissant haut et fort l’infraction quelquefois mineure des autres.
Adama Bictogo, Cheik Koné Oumar, Awa N’Diaye…Toujours libres
Dans l’affaire des déchets toxiques qui court depuis plusieurs années, l’ex ministre de l’Intégration africaine, Adama Bictogo a été débarqué du gouvernement le 22 mai 2012, en raison de son implication dans le détournement de 4,658 milliards Fcfa destinés aux victimes.
Un rapport de la Police Economique du 16 février 2012, avait recommandé l’arrestation dudit ministre, de Koné Cheick Oumar et de Claude Gohourou en exil depuis la chute de Laurent Gbagbo. Quelques 600 millions de Fcfa ont été empochés par Adama Bictogo tandis que le Pdg du Groupe Koneco s’en tirait avec 2,600 milliards Fcfa. Ces deux personnalités proches du pouvoir actuel sont libres de tout mouvement. Rien ni personne ne les inquiète. Pourtant, Charles Koffi du Réseau national pour la défense des victimes des déchets toxiques de Côte d’Ivoire (Renadevit-ci), qui a initié en 2009 la plainte contre ceux qui ont détourné cet argent a, quant à lui, été jugé récemment avec une célérité déconcertante et il croupit en ce moment à la Maca. Emprisonné pour dénonciation calomnieuse à l’égard du Premier ministre et troubles à l’ordre public, Charles Koffi, maillon faible de la chaine sociale purge une peine de six mois. La justice ivoirienne protégerait-elle les plus forts comme Bictogo et Koné Cheick Oumar ? Les victimes des déchets toxiques continuent de mourir dans l’indifférence totale.
La corruption, le trafic d’influence et les achats de conscience ont refait surface dans le milieu de la justice où tous les coups sont permis. Le Président Alassane Ouattara, lors de la campagne présidentielle avait pourtant affirmé qu’il changerait bien de choses dans le fonctionnement de la justice ivoirienne. On s’attendait à ce que soit élu à la tête du Conseil supérieur de la magistrature, un magistrat chevronné pour éviter le regard silencieux mais combien permanent de l’Exécutif sur l’activité judiciaire. Cependant, le Président de la République reste toujours le président du Conseil supérieur de la magistrature. La Côte d’Ivoire est entre une justice corrompue et incertaine, et la résurgence de l’impunité qui a caractérisé les temps de Laurent Gbagbo. L’espoir d’une justice indépendante, renouvelée, juste, transparente et équitable est désormais différé. C’était tout simplement un rêve très vite rattrapé par la réalité ivoirienne, qui veut que les plus forts écrasent au mépris du droit, les plus faibles.
Jean Philippe Okann