Faire d’une pierre deux coups : envoyer Charles Blé Goudé, leader historique de la jeunesse patriotique ivoirienne, à La Haye, et diviser si possible les rangs des pro-Gbagbo en distillant des analyses et des rumeurs malicieuses. Telle a été la tactique du pouvoir Ouattara, ces derniers jours. Il a voulu profiter du désarroi compréhensible de la base politique de son opposition pour lancer quelques messagessubliminaux. Premier message : c’est la diffusion des photos montrant Blé Goudé maltraité à la DST par ses soutiens sur les réseaux sociaux qui l’a « condamné » à la déportation. Deuxième message : c’est «Affi et Koua Justin », donc le FPI, qui ont « livré » Blé Goudé en organisant une « campagne d’intoxication » sur ses conditions d’incarcération afin de mieux se débarrasser de celui qui, prétendument, leur faisait ombrage.
Au fond, ces deux messages rejoignent celui qui avait été propagé par Guillaume Soro après le transfèrement à La Haye du président Gbagbo. « C’est le FPI qui est responsable de cet état de fait, parce qu’il a refusé de faire profil bas, de participer aux élections législatives et d’entrer au gouvernement », disait en substance l’ancien chef rebelle. Derrière tous ces arguments, il faut retenir une sorte d’apologie de la soumission inconditionnelle. « Cessez de vous battre et de dénoncer et on vous laisse tranquille », susurrent subtilement les ouattaristes… Et pourtant.
Le transfèrement de Blé Goudé répond à d’autres logiques, finalement indépendantes de l’actualité politique locale. Il est directement relié à l’impasse relative dans lequel se trouve le cas « le procureur de la CPI contre Laurent Gbagbo » à La Haye. La présence de Blé Goudé au pénitencier de Scheveningen vise à trouver des arguments pour pouvoir « couler » le premier président de la Deuxième République ivoirienne. Dans sa dernière livraison, qui paraît aujourd’hui, l’hebdomadaire Jeune Afrique, notoirement proche du régime actuel, trahit sans peine une stratégie par ailleurs assez claire pour l’analyste attentif. Les « pro-transfèrement » au sein du pouvoir Ouattara « voient dans ce geste l’occasion de faire d’une pierre deux coups : montrer la bonne volonté de la Côte d’Ivoire en matière de coopération avec la CPI tout en consolidant le dossier d’accusation contre Laurent Gbagbo. L’enjeu ici est d’utiliser Blé Goudé commetémoin à charge contre celui qu’il défendait en mobilisant des milliers de jeunes qu’il faisait descendre dans les rues. »
A la manoeuvre dans le cadre de cette opération, les avocats du régime à la CPI, les Français Jean-Pierre Mignard (accessoirement ami intime du président François Hollande) et Jean-Paul Benoît. Le ministre de la Jeunesse du gouvernement Aké N’Gbo est donc l’objet d’un chantage éhonté. Choisir entre « livrer » le « Vieux », de toute façon plus proche de la fin que du début de sa carrière politique voire de sa vie, et être condamné à une peine qui lui permettra de sortir assez jeune du « trou », et soutenir son père spirituel et passer le reste de ses jours en prison. Bien entendu, cette équation binaire n’est pas une fatalité. Mais il s’agira de le lui faire croire, selon toute évidence.
Si Blé Goudé refuse de trahir Gbagbo, il demeurera utile à la Cour pénale internationale, qui ne veut pas perdre la face. En effet, au cas où l’ancien chef de l’Etat ivoirien ne voit pas les charges contre lui confirmées (le dossier Bensouda est notoirement faible) et retrouve la liberté, Blé Goudé servirait alors de « prisonnier de substitution », qui permettra de maintenir « vivante » la « situation » ivoirienne à la CPI, qui a avant tout besoin de justifier son existence auprès de ceux qui la financent.
Blé Goudé est-il donc définitivement « sacrifié » ? Rien n’est moins sûr. Le talent de son avocat devra consister à démêler l’écheveau d’accusations déjà mis en place contre lui, soit pour le faire « craquer » soit pour le punir de ne pas avoir « craqué ». Des accusations qui, il faut l’envisager, pourraient être portées par d’ex-proches qui l’ont trahi et se sont fait « travailler » au corps par le régime, notamment à travers Hamed Bakayoko, ministre de l’Intérieur de Ouattara, devenu leur parrain. L’un d’entre eux se retrouve déjà en Europe, grâce à la sollicitude du régime, selon nos informations.
Philippe Brou
Alors Gbagbo et Blé croupissent à la CPI, ces criminels encore en liberté
Auteurs et acteurs d’une rébellion armée et de l’offensive militaire en pleine crise postélectorale, Guillaume Soro et ses ex-chefs de guerre continuent de jouir d’une impunité aussi bien en Côte d’Ivoire qu’aux yeux de la CPI, qui agace et surprend plus d’un Ivoirien.
Alors que la Côte d’Ivoire peine toujours à avancer dans le processus de réconciliation, le gouvernement ivoirien vient de porter un autre coup presque-fatal à ce processus, avec le transfèrement de l’ex leader des Jeunes Patriotes, Charles Blé Goudé, artisan de la résistance «aux mains nues». C’est la deuxième personnalité du camp Gbagbo qui est transférée à La Haye, après l’ex-président lui-même, tous deux visés par les mêmes chefs d’accusations. Une justice internationale à sens unique dont les actes jusque là crédibilisent sinon entérinent la justice des vainqueurs qui a court depuis trois ans en Côte d’Ivoire. Puisque l’actuel président de l’Assemblée nationale, Guillaume Soro, et les ex-chefs de guerre ne sont guère inquiétés.
Soro, ex-patron de la rébellion de septembre 2002, était le commandant des opérations lors de l’offensive militaire des Frci durant la crise postélectorale. C’est à ce titre qu’il avait sillonné différentes régions du pays en mars 2011 pour galvaniser ses «troupes». La suite est connue avec le massacre de Duekoué à partir du 28 mars 2011 par les forces de Losseni Fofana dit Commandant Loss, aidées de leurs supplétifs Burkinabè sous les ordres du tristement célèbre Amadé Oueremi.
Les Ivoiriens ont dû subir les attaques simultanées des Frci dans plusieurs villes du pays jusqu’à Abidjan, avec son lot de tueries. Dans leurs offensives militaires à Abidjan, les ex-chefs de guerre ont commis d’innombrables exactions, à en croire les différents rapports des ONG internationales des droits de l’homme. Un rapport de Human Rights Watch (HRW) publié suite à une enquête diligentée du 13 au 25 mai 2011 sur les massacres postélectoraux en Côte d’Ivoire, avait épinglée les Commandants Chérif Ousmane, Ousmane Coulibaly dit Ben Laden et le Capitaine Eddy Medy des Frci dans les massacres de civils à Yopougon.
Sans être exhaustif sur les crimes relevant de la compétence de la CPI et commis par le camp Ouattara, il faut rappeler l’exécution pure et simple du ministre Désiré Tagro et des nombreux civils à l’intérieur de la résidence du président Laurent Gbagbo. Autant de crimes qualifiés de crimes contre l’humanité qui sont jusque-là ignorés par le Bureau du procureur de la CPI, qui a décidé de s’acharner contre le camp Gbagbo.
Pendant ce temps, ces présumés criminels de guerre jouissent d’une liberté arrogante et sont promus pour leurs «hauts faits de guerre».
Frank Toti