De 1991 à 2010 près de 27 sociétés d’Etat seront bradées aux réseaux d’affaires proches du pouvoir
«Même s’ils arrachent mille fleurs, ils ne seront pas les maitres du printemps.» Pablo Neruda
Près de trois décennies après sa prise de pouvoir dans le sang par l’assassinat le 15 octobre 1987 de Thomas Sankara, héros de la lutte anti-impérialiste dans l’ancienne Haute-Volta, Blaise Compaoré vient à son tour, d’être renversé par une insurrection populaire. En voulant réviser au forceps l’article 37 de la constitution pour se maintenir au pouvoir après un bail présidentiel de plus d’un quart de siècle, il a déclenché l’ire du vaillant peuple burkinabé.
Minés par des dissensions internes et fortement affaiblis, les piliers institutionnels internes sur lesquels reposait son autorité (l’armée, le Congrès pour la Démocratie et le Progrès et les chefferies traditionnelles), n’auront pas réussi à lui sauver la mise. Au nom de la realpolitik, il est prié par ses parrains occidentaux de s’effacer devant l’intransigeance populaire.
Cette exceptionnelle longévité à la tête d’un Etat si coutumier de violentes convulsions politiques reposait avant tout, sur trois invariants essentiels: une gouvernance extravertie à la solde du Consensus de Washington, une médiation complaisante au service de la sauvegarde des intérêts occidentaux et enfin, l’instauration d’une économie politique de la guerre et de la prédation dans la sous-région ouest africaine notamment.
Blaise Compaoré, l’enfant chéri des institutions internationales
«Notre objectif, c’est la croissance. Nous avons besoin d’un développement du capitalisme.»[1] Tel est le référentiel idéologique du nouveau régime lorsqu’il accède au pouvoir le 15 octobre 1987. Depuis lors, le FMI et de la Banque Mondiale vont conseiller les nouveaux maitres du pays. La politique dite de « rectification », mise en route une fois Sankara assassiné, sera en réalité un alignement du pays sur le dogme néolibéral. Blaise Compaoré et ses amis démantèlent progressivement la politique étatiste et sociale de Thomas Sankara au profit des privatisations et libéralisations sauvages.
Ceux qui oseront critiquer «le déviationnisme droitier»[2] de l’Etat seront fusillés à l’instar de Jean Baptiste Lingani et Henri Zongo en 1989. Les premières mesures des Programmes d’Ajustements Structurels (PAS) signées en 1991 qui visent à « accroitre » la compétitivité de l’économie burkinabée, creuseront davantage les inégalités sociales et appauvriront les couches populaires. Une oligarchie financière gravitant autour de François Compaoré, le frère du Président (surnommé le Vice-président), mettront en coupe réglée l’économie du pays. De 1991 à 2010 près de 27 sociétés d’Etat seront bradées aux réseaux d’affaires proches du pouvoir.
Passées les privatisations, suivront des vagues de licenciements massifs qui relégueront des milliers de travailleurs sur le carreau. L’impératif de rentabilité financière prend le pas sur la mission de service public de l’Etat. En d’autres termes, la valeur d’échange prime désormais sur la valeur d’usage.
A titre d’illustration, la Régie des Chemins de Fer Abidjan-Niger (RAN) qui assurait plusieurs dessertes quotidiennes fut privatisée et cédée à vil prix, dans des conditions opaques à la multinationale Vincent Bolloré[4]. Rebaptisée par le nouvel acquéreur, Société Internationale de Transport Africain par Rail (SITARAIL), l’ex RAN, serra l’ombre d’elle-même. Le fret des marchandises passe avant le transport des passagers dans un pays fortement enclavé qui a une longue tradition de voyage en train. Au nom de l’accumulation du capital, Bolloré sacrifie la mission de service public qui consiste à désenclaver le pays.
Sans passagers qui n’est plus la priorité de Vincent Bolloré, de nombreuses gares ferment une à une et les villes se meurent. Faute de trains qui habituellement ont toujours stimulé l’activité économique dans les localités rurales, les communautés villageoises croupissent dans une misère abjecte.
Par ailleurs, malgré une croissance de 5 à 6% en moyenne et une longue stabilité dans un voisinage troublé, les Burkinabés ne verront jamais les fruits de cet « accroissement » théorique des richesses nationales. Au contraire, les grandes villes connaitront un chômage endémique des jeunes (plus de 60% de la population a moins de 25 ans) à quoi s’ajoute un exode rural des paysans confrontés à l’effondrement des prix du coton du fait de la libéralisation du secteur imposé par la Banque Mondiale et l’Union Européenne comme conditionnalité d’appui financier à partir de 1991.
Cette gouvernance extravertie explique pourquoi Blaise Compaoré a fait du remboursement de la dette nationale s’élevant désormais à plus de 03 milliards de dollars US[6], la primauté de sa politique économique et budgétaire au détriment des besoins sociaux des Burkinabés. Il est en retour acclamé et célébré par la communauté financière internationale comme « l’élève modèle » du FMI et de la Banque Mondiale quand son peuple crie famine!
Ouagadougou, capitale africaine de la subversion armée
En près de trois décennies au pouvoir, Blaise Compaoré va s’impliquer activement dans plusieurs conflits en Afrique de l’Ouest et bien au delà.
Un héritage politique qu’il doit à Félix Houphouët Boigny, son parrain ivoirien.
D’abord, aux cotés de son ami et agent de la CIA Charles Taylor, le Liberia va connaitre une des pages les plus sombres de son histoire vers la fin des années 1980. Avec plusieurs milliers de morts et un Etat ravagé. En Angola, Blaise Compaoré fournit du matériel militaire aux rebelles de l’Unita de Jonas Savimbi en violation totale de l’embargo international. En retour il est rétribué en diamants.[7] Suivront peu après, les guerres en Sierra-Leone (milieu des années 1990), en Guinée (2000) et en Côte d’Ivoire à partir de janvier 2001. Blaise Compaoré s’appuie à Freetown et les localités conquises sur Foday Sankho, le leader du Revolutionnary United Front (RUF) et son fidèle lieutenant Sam Bockarie « Mosquito » connu pour sa propension à couper les mains des populations civiles[8] (opération manches courtes et longues). En Côte d’Ivoire, le président Burkinabé s’appuie sur Guillaume Soro, le Chef rebelle des Forces Nouvelles pour affaiblir Laurent Gbagbo. La conséquence directe de cette politique de « guerres nomades » dans la sous-région ouest-africaine (Liberia, Sierra-Léone, Guinée, Côte d’Ivoire, Mali,…) fut la mise en place d’une véritable économie politique du crime et de la subversion armée. La Côte d’Ivoire de Laurent Gbagbo[9] et le Mali d’ATT[10] en sont les récents témoignages. Le Burkina Faso de Compaoré, pays très pauvre et dépourvu de richesses naturelles, verra l’émergence des hiérarchies parallèles (acteurs et institutions) qui s’investiront dans le trafic des armes, des diamants du sang[11], du bois précieux, des produits agricoles (cacao, café, hévéa), des otages occidentaux et surtout de la drogue.
Un activisme diplomatique au service de l’Elysée
Depuis deux décennies, Blaise Compaoré est associé à la résolution des crises et conflits qui minent l’Afrique notamment dans sa partie francophone. Tour à tour, le Burkina s’implique dans les médiations au Liberia, Togo, en Sierra Leone, au Niger, en Guinée, en Côte d’Ivoire, au Gabon et au Mali entre 1993 et 2014. Une véritable « industrie de la médiation » se crée et se structure autour du Général Gilbert Diendéré, fidèle parmi les fidèles et l’inamovible Djibril Bassolé, son missi dominici, chargé des négociations secrètes. Avec souvent des résultats pour le moins mitigés.
Le seul résultat tangible de cette frénésie diplomatique fut l’Accord Politique de Ouagadougou (APO) qui a gelé en 2007 l’affrontement entre le Président ivoirien Laurent Gbagbo et les rebelles de Guillaume Soro. L’implication militaire directe du Burkina Faso aux cotés des forces françaises (Licorne) et des Nations Unies en Côte d’Ivoire (ONUCI) durant la guerre post-électorale contre Laurent Gbagbo, le président légal, démontre à suffisance, le jeu trouble et le double visage du « médiateur » Blaise Compaoré.
Par ailleurs, en récusant tout récemment la médiation de Blaise Compaoré, pour finalement se rapprocher de l’Algérie[12], le président malien IBK, rappelle combien Ouagadougou a fourni aide et assistance militaire aux terroristes du Mouvement National de Libération de l’Azawad (MNLA), soutenus par le Quai d’Orsay et l’Elysée. Au Gabon des Bongo, au Togo des Gnassingbé tout comme en Guinée d’Alpha Condé, l’œuvre diplomatique du président du Faso a surtout permis de consolider l’emprise politique des régimes illégitimes qui ont confisqué les rênes de l’Etat. Pour le plus grand bonheur de Bolloré, parrain des régimes sus-mentionnés. Enfin, outre ce rôle de pivot diplomatique en Afrique de l’Ouest, le Burkina Faso va devenir un terrain de jeux pour les forces spéciales françaises (Opération Barkhane) et américaines qui vont y installer chacune une base militaire dont l’objectif « officiel » est traquer Al-Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI). L’Elysée installera même vers fin 2010, le QG des forces spéciales françaises à Ouagadougou dirigé alors par le General Emmanuel Beth, lequel venait quelques mois plutôt, d’être nommé Ambassadeur de France au Burkina Faso. Sa feuille de route? Renverser Laurent Gbagbo et intronisé Allassane Dramane Ouattara à la tête de la Côte d’Ivoire.
En guise de conclusion, Blaise Compaoré a fait du Faso, un appendice territorial des opérations secrètes des réseaux Foccart et ses heritiers en Afrique de l’Ouest et au delà. Ce qui a occasionné des milliers de morts et institué des « Etats manqués » c’est à dire totalement vidés de toute capacité régalienne.
De ce point de vue, le Liberia et la Sierra-Léone, tenus en laisse par une charité structurelle des instances internationales (ONU, Banque Mondiale, ONG humanitaires) en sont les caricatures les plus abouties.
En scandant « La patrie ou la mort, nous vaincrons! », les « sans-culottes » burkinabés ont réaffirmé le caractère immortel des idéaux de justice sociale et de dignité pour lesquels Thomas Sankara a payé de sa vie. Et en attendant que justice ne soit rendue à ce digne fils d’Afrique ainsi qu’aux dizaines victimes tombées sous les balles assassines du régime sanguinaire et kleptocrate de Blaise Compaoré soutenu jusqu’à son éviction par la France de Hollande, un devoir de vigilance et d’alerte s’impose afin d’éviter que cette révolte populaire ne soit parasitée et finalement travestie par d’infâmes desseins françafricains.
Olivier FADO DOSSOU