Bernard Houdin rend hommage à Vergès – Salut Jacques !

0

Jeudi 15 août 2013, 23 heures, je reçois un SMS de la journaliste Leslie Varenne, que j’avais rencontré la première fois chez lui alors qu’elle préparait son livre « Abobo-la-Guerre » : « Vergès est parti »… Non, Vergès n’est pas parti. Le « Diable Noir » entre au Panthéon des hommes et des femmes qui, par leurs actes et leurs combats, nous empêchent de douter définitivement de l’Humanité.


Depuis ce matin je lis, j’écoute, je regarde le « microcosme », cette « Cour des Miracles » des Temps Modernes et tout ce que je lis, j’écoute et regarde, dans l’immense majorité des cas, me conforte pour l’Eternité : Jacques Vergès est un Grand Homme et aucun de ses « censeurs » ne mérite de rivaliser avec lui.


J’ai connu Jacques Vergès au début de ce que le magma « bien-pensant » a appelé la « crise postélectorale » ivoirienne, présentée, dans la Doxa « officielle » ( ?!) comme l’affrontement entre le Bien (le démocrate « élu », Alassane Ouattara) et le Mal (le dictateur « déchu », accroché au pouvoir, Laurent Gbagbo).


Dès les premières heures de cette « crise », Jacques Vergès a « senti » la réalité du dossier, en fait un nouveau mauvais coup porté au Droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, en violation de des principes fondateurs de la Charte des Nations-Unies, et au nom, comble de la perversité, de ces mêmes Nations-Unies, sous le couvert de la fameuse « Communauté Internationale » à propos de laquelle l’éditorialiste Jean Claude Guillebaud se demandait récemment si elle existait réellement et si quelqu’un l’avait une fois rencontrée…


Rien, dans nos parcours personnels, n’aurait dû nous faire nous rencontrer jusqu’à cet évènement africain où, en ma qualité de Conseiller Spécial du président Laurent Gbagbo, j’ai été précipité dans ce moment d’Histoire. Notre première rencontre, en présence de son ami, au sens le plus noble du terme, Roland Dumas, que je salue et dont l’émotion doit être intense en ces circonstances douloureuses, fut pour moi un choc « tellurique ». Au-delà des portraits haineux, des diatribes des petits esprits qui ne respirent que l’ « air du temps », Jacques Vergès, né quelque part dans le Monde, à la croisée des civilisations, restera le symbole de la lutte pour la Vérité.


La Vérité ne se divise pas et il a toujours voulu montrer que, dès que l’on entrait dans la dialectique « du vainqueur et du vaincu », le sens commun et le libre-arbitre étaient broyés au bénéfice des uns et au détriment des autres.


Ainsi, en Côte d’Ivoire, il a vite compris le fond de l’affaire, remugle des pires heures de la « Françafrique », et dont la Vérité commence à émerger, « tchoco-tchoco » [sûrement, sûrement], comme l’on dit au pays. Et la fin, non pas de l’Histoire, mais de l’épisode actuel qui est un soubresaut dans la fondation de la Nation Ivoirienne, pourra se résumer ainsi : « le vrai dictateur des deux n’est pas celui qu’on croit » !


Entre le combattant infatigable et jamais découragé de la démocratie, défenseur du multipartisme, clé de voute de la liberté d’expression et du respect du Droit, Laurent Gbagbo, et un homme aux convictions vacillantes et mû par le seul appât du pouvoir, qui a un jour déclaré : « je prendrai ce pays ou je le mélangerai… » Jacques Vergès a vite compris dans quel traquenard la Côte d’Ivoire allait être entrainée. (Et que l’on ne me parle pas de ses « honoraires »…l’indécence des milliards déversés par Ouattara sur ses « défenseurs » devrait rappeler à certains que toutes les vilenies ont leurs limites).


Aujourd’hui la crise ivoirienne passe au révélateur de l’Histoire et la Vérité, chère à Jacques Vergès, commence à se faire jour telle qu’il l’avait pressentie lui qui, dès 2005, était venu en Côte d’Ivoire pour enquêter sur le terrain après des massacres perpétrés, déjà, dans l’Ouest du pays par les bandes armées que, hélas, les dirigeants français de l’époque, mettront au pouvoir, en avril 2011, dans un assourdissant concert de bombes et de contre-vérités.


Le Monde ne se résume pas à l’horizon fini et cupide d’une poignée de nantis qui pensent le « diriger », mais le « bien commun » de milliards d’hommes et de femmes qui n’accepteront plus longtemps la dialectique « du cavalier et de sa monture », alpha et oméga de ces nantis. Pour eux Jacques Vergès est tout à la fois héros et héraut : les héros ne meurent jamais et leur voix porte pour toujours. Aujourd’hui, des rizières de l’Orient aux brousses africaines en passant par les jungles sud-américaines, une foule immense se souvient et sait, désormais, que cette dialectique asservissante voit ses jours comptés.


Jacques Vergès l’avait très bien compris et sa « défense » de l’ « indéfendable », Klaus Barbie, en est l’illustration la plus parfaite. Il a simplement rappelé à tous que l’on ne peut juger définitivement les pires criminels que si l’on est soit même exempt de tout reproche. Il faut se rappeler qu’avant de « défendre » Barbie, Jacques Vergès avait acquis, dans cette problématique contre les dirigeants Nazis, une légitimité insoupçonnable : il avait lui-même pris les armes, à 17 ans, contre ces nazis, quittant une adolescence paisible au cœur de l’Océan Indien, pour une mère-patrie en feu, prêt à donner sa vie pour que vive la Justice et la Liberté. En cette heure tragique, quelques planqués des buvettes et des gazettes devraient avoir l’humilité de s’en souvenir.


A mon premier retour de Côte d’Ivoire, au milieu des années soixante, je fus élève au Lycée Carnot, à Paris. Chaque jour je pouvais voir la plaque dédiée à Guy Moquet sous l’immense verrière de la cour intérieure. En France on perpétue la mémoire de ce garçon, tombé sous les balles nazies à l’âge où Jacques Vergès s’engageait dans le même combat. Mais a-t-on le même souci pour tous les « Guy Moquet » des luttes pour la souveraineté des peuples et qui sont, parfois, tombés sous les coups de ceux qui honorent, chez eux, « leurs Guy Moquet »? Combien de Guy Moquet palestiniens, ivoiriens, congolais, vietnamiens, boliviens et autres ?


Même Nicolas Sarkozy, dont la décence est inversement proportionnelle à la « volonté de pouvoir » a eu l’audace d’appeler le souvenir de Guy Moquet au secours de sa politique de domination, à l’opposé des vraies valeurs qui fondent l’humanisme et la cohésion sociale. Dans une tribune au souffle épique, Sarkozy sous BHL, Jacques Vergès l’avait pourfendu, lui rappelant que n’est pas Napoléon qui veut !


Au cours des nombreux entretiens, dans son bureau envahi par les effluves de ses havanes, où, au-delà du dossier ivoirien, nous échangions ou, plutôt, je revivais l’Histoire à l’aune de son immense savoir, j’ai appris à connaitre un personnage exceptionnel, au Destin unique. Il me revient aujourd’hui, une anecdote qui m’avait beaucoup marqué, à l’époque, et qu’il a, depuis, révélée dans ses Mémoires (De mon propre aveu-Souvenirs et rêveries) : après l’indépendance algérienne, installé en Algérie, un officier algérien lui donne la mission d’aller « récupérer » une personne à la frontière marocaine. L’officier s’appelle Aziz Bouteflika, la personne est Nelson Mandela….


Ces dernières années, marque de sa formidable vitalité il s’était produit au théâtre où sa performance physique et intellectuelle ont impressionné tous ceux et celles qui l’on vu sur scène. Jacques Vergès aura été acteur de sa vie et témoin du Monde. Les hommes passent, les idées ne meurent jamais.


Salut Jacques et où que tu sois, Bonne Arrivée !


Le 16 août 2013

Bernard Houdin

Conseiller Spécial du président Laurent Gbagbo

Partager

Laisser une réponse