Bernard Houdin : La chute de Sarkozy a destabilisé Ouattara

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Notre Voie : Comment expliquez-vous la défaite de Sarkozy à la présidentielle française, le 6 mai dernier. Lui qui prétendait œuvrer pour l’hégémonie de la France dans le monde, notamment en Afrique ?

Bernard Houdin : L’élection présidentielle française s’est faite sur des critères franco-français. Historiquement, sous la Vème République, la France a lentement glissé à droite. Il faut se rappeler que l’élection de François Mitterrand en 1981 était surtout due à un rejet de Giscard d’Estaing. Et le Président socialiste avait subi une période de cohabitation lors de chacun de ses deux mandats. Dans le cas présent, Monsieur Sarkozy a, lui-même, par sa gouvernance, alimenté un processus de rejet qui a atteint une fraction importante de son électorat de centre-droite de 2007 qu’il n’a pu compenser à l’extrême-droite malgré une campagne de 2ème tour faisant appel aux arguments les plus primaires de cette famille politique. Comme toujours, dans une élection nationale, c’est la situation de la France, elle-même, qui a été déterminante. Cela prouve aussi que les rodomontades du Président sorti sur sa fermeté en Côte d’Ivoire et en Libye n’ont eu que peu d’effets (et sans doute un contre-effet pour le cas ivoirien qui a provoqué une forte mobilisation dans la population française d’origine africaine qui a voté, majoritairement, pour le Président Hollande).

Que peuvent attendre les pays africains de la victoire des socialistes en France ?

Même si l’on rappelle souvent le propos du général De Gaulle : «la France n’a pas d’amis, elle n’a que des intérêts», le départ de Sarkozy aura un impact psychologique dont la mesure exacte se fera avec le temps. Mais l’on observe, déjà, une certaine appréhension chez ses «filleuls» réputés les plus proches de lui, à commencer par Alassane Ouattara. Cependant, ce ne sont pas les socialistes qui vont libérer la Côte d’Ivoire. Ce sont les ivoiriens eux-mêmes qui doivent créer les conditions d’un retour à la légitimité républicaine et à l’ordre démocratique dans leur pays.

Quelle sera, selon vous, l’idée directrice de la politique africaine de M. Hollande ? Pensez vous qu’il donnera une suite concrète au discours de La Baule ?

Le candidat Hollande a affirmé vouloir véritablement sortir du système de la Françafrique. Le Président Hollande a nommé un ministre délégué au Développement durable en lieu et place d’un ministère de la Coopération. Simple exercice sémantique ou début d’exécution, l’avenir nous le dira. Il a mis, pendant la campagne électorale, ses pas dans ceux du Président Mitterrand. Il pourrait donc, sans problème, reprendre à son compte l’esprit du discours de La Baule. Cependant, il est aussi l’héritier de la vision économique de Jacques Delors. De toutes les façons, du point de vue africain, il semble qu’il aura du mal à faire pire que Sarkozy !

Comment gérer les foyers de tension que constituent certains pays africains, à savoir la Côte d’Ivoire, le Mali, la Libye, etc. ? Le départ des troupes françaises du continent est-il à l’ordre du jour ?

C’est à l’aune de la gestion de ces dossiers que l’on pourra, sans doute, avoir une idée plus précise de la politique africaine qu’entend mener le nouveau Chef d’Etat français. Et bien que les situations des pays que vous évoquez soient différentes, il sera intéressant d’observer la méthode Hollande par rapport à celle de son prédécesseur. A cet égard, il faut reconnaitre que les premiers pas du Président Hollande (aux Etats-Unis et en Afghanistan) marquent bien une rupture claire d’avec le passé. Je pense que philosophiquement, il n’est pas un tenant acharné de la présence de troupes françaises permanentes en Afrique (ou ailleurs). Il devra, cependant, faire face aux contraintes de la real politik et arbitrer.

Concernant le cas particulier de la Côte d’Ivoire, y a-t-il quelque chose à espérer des dossiers 2004 relatifs à l’intervention de l’armée française et au bombardement d’un camp français à Bouaké ?

Il faut savoir que ce dossier judiciaire vit toujours et que le nouveau juge poursuit actuellement ses investigations. Cela pourrait d’ailleurs, à terme, confirmer une implication douteuse des autorités françaises de l’époque et fournir des éléments démontrant que le Président Gbagbo était la victime d’une manipulation française qui a, malheureusement pour les soldats tués, lamentablement dérapé. Et, à cet égard, le procès-verbal d’audition de Madame Alliot-Marie, Ministre de la Défense à l’époque des faits, est dévastateur pour elle. J’ose espérer que la nouvelle ministre de la Justice, Madame Taubira, ne mettra aucun obstacle à l’avancement de la procédure, en particulier pour les investigations en cours et à venir, du juge d’instruction.

Alassane Ouattara a rendu visite à Nicolas Sarkozy, avant d’adresser une correspondance de félicitations à François Hollande. Comment le camp socialiste a-t-il encaissé cet acte qui tend à faire prévaloir l’amitié sur les relations d’Etat à Etat?

La visite de Ouattara à Sarkozy, au lendemain de la défaite de celui-i, avait un coté pathétique et funèbre mais était surtout révélatrice de la déstabilisation psychologique que j’évoquais plus haut. Après la défaite de Wade au Sénégal, le départ de Sarkozy est sans aucun doute ressenti par Alassane Ouattara comme un très mauvais coup, sans compter qu’aux Etats-Unis le président Obama et son entourage commencent à observer une certaine distance avec le pouvoir mis en place à Abidjan. Cette visite est sûrement une faute politique qui vient compléter d’autres fautes commises par le camp Ouattara à l’occasion de l’élection présidentielle française. J’en citerais deux qui sont révélatrices de la panique qui avait envahi Ouattara et son entourage dans la perspective de la défaite de Sarkozy : la signature, pendant la période du 2ème tour, d’un accord politique entre le Rdr et l’Ump ; les propos tenus publiquement à Paris, par Yayoro Karamoko, président national de la jeunesse du Rdr, appelant les franco-africains à voter pour Sarkozy sinon «le pouvoir d’Alassane Ouattara sera en danger». Tenir une telle ligne politique à quelques jours d’un scrutin dont le résultat était pratiquement acquis, depuis des semaines, n’est pas l’expression d’une grande maturité et cela laissera des traces. Cependant, dans le cadre des relations d’Etat à Etat, il est clair que la France et la Côte d’Ivoire actuelle entretiendront des rapports normaux selon la vieille expression : «on ne reconnait pas des gouvernements mais des Etats». Il nous revient de faire prendre conscience aux nouvelles autorités françaises de la réalité ivoirienne et de travailler à infléchir leur point de vue.

La chute de Sarkozy aura-t-elle une incidence sur la procédure contre Gbagbo à la Cpi ?

Nous sommes en pleine procédure et l’audience du 18 juin approche. Nous n’avons pas à spéculer sur des événements politiques dans un pays et nous devons laisser la défense du Président travailler sereinement.

En 2004, Hollande avait traité Gbagbo d’ « infréquentable », son jugement a-t-il évolué ?

L’Histoire fourmille de phrases prononcées par les uns ou les autres à des moments donnés. J’appellerai cela «l’écume des jours». Ce qui compte, à la fin, c’est la réalité des choses et la Vérité. Aujourd’hui, François Hollande est le Président de la République française. Il va avoir accès à tous les dossiers du Pouvoir (secret défense, câbles diplomatiques, etc.). Sa vision des choses en sera sûrement modifiée. C’est cette perspective qui nous intéresse.

Interview réalisé par Koulibaly Doucy

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