Les Indiens brisent des couples, assèchent et bouchent des barrages, exproprient les populations
Bangéli commence à compter ses morts et l’Etat laisse faire
Les Indiens de la société MM Mining qui exploitent le fer de Bangéli font la misère des populations de la localité. Ils brisent des couples, assèchent et bouchent barrages et puits ; exproprient les populations, des animaux privés d’eau. Pendant ce temps, Bangéli commence à compter ses morts et l’Etat laisse faire.
Une fillette, un garçonnet, une veuve, c’est ce que le jeune AYINDO Tilagbine, 23 ans, vient de laisser à son père, un vieux de 90 ans au moins. Assis dans son fauteuil traditionnel à même le sol, les yeux du vieux AYINDOH Gmadjomban étaient dissimulés dans un chapeau en laine posé sur le visage, comme s’il refusait de se faire voir. Il nous dit ceci : « c’est lui qui s’occupait de moi ; dès aujourd’hui, à mon âge, et vous voyez bien ma barbe toute blanche, c’est moi qui dois m’occuper de ses gosses ». Il ne lui manquait plus que les larmes, pour faire percevoir son désarroi, sa colère, et surtout sa haine pour ces deux Indiens délégués par la société MM MINING ; le Directeur Général de cette société, un Noir, était aussi présent aux obsèques du jeune, mort à la fleur de l’âge. Plusieurs centaines de jeunes, pour la plupart ouvriers sur la mine, s’étaient mobilisés pour cet enterrement.
Avait-on senti qu’il y avait de l’électricité dans l’air ? Une chose est sûre : à notre arrivée dans le village de Biakpabé, à 7h 30 mn ce samedi 19 février, nous avons vu arriver un de ces Indiens, escorté par le Commandant de Brigade de Bangéli, armé. Un autre Indien était déjà sur place ; lui avait accompagné le corps depuis Kara. Le mépris de ces Indiens exploitants pour la population (nous en parlions dans un précédent article) semble être leur trait distinctif. La preuve : le rendez-vous avait été pris pour 3h00 à la morgue de Kara ; les membres de la famille étaient tous à l’heure. Mais l’Indien désigné pour les formalités de retrait du corps ne se pointa qu’à 5h45mn. Le lecteur comprendra que le départ de Kara ne sera possible qu’après 6h. En général, le transport d’un corps se fait dans la nuit, pour éviter que les rayons solaires ne tapent le mort. Cela ne dit rien à ces Indiens dont le non-respect de la sécurité des ouvriers sur le chantier de façon générale, et la négligence en particulier ont conduit à la mort du jeune AYINDO. Voilà la parenthèse sur la levée du corps.
A côté, deux gendarmes en tenue étaient aussi postés. Peut-être y en avait-il aussi en civil ! Plus tard, le véhicule de la gendarmerie arriva puis stationna à une vingtaine de mètres du manguier sous lequel se tenaient les cérémonies d’enterrement. Vont arriver, tour à tour, le député « du coin », M. NAMBOU Yawaye, qui était accompagné de M. MIZIYAWA Amadou Mériga – un farouche rptisite vomi de tout Bassar ; l’homme qui, il y a peu, était capable de poursuivre et d’identifier, à longueur de journée et « à bord » de sa vieille Mate 50, tout véhicule « étranger » qui entrait à Bassar par Kabou comme par Sokodé – du Préfet de Bassar, M. SIKOU, avec dans sa suite le Lieutenant de Bassar et une fille gendarme. Le chef du canton, un certain SERTCHI Kabrou, arriva en dernier, et pour cause : « notre chef-préfet » attendait tout bonnement (« dans son palais ») que le Préfet de Bassar passe le chercher dans sa voiture de commandant ! Allez-y comprendre ! L’homme confond tout. Il arriva, éhonté, sur un « Z ». En voilà justement un autre !
L’homme semble déconnecté de son « peuple ». On l’accuse de faire obstacle à tout, de ne penser qu’à son seul ventre, de saper tous les efforts des populations de Bangéli. Pour beaucoup, l’accident aurait pu être évité si cet ancien encadreur devenu chef canton par la force des choses, répercutait, à qui de droit, les nombreuses revendications des populations de Bangéli, s’il transmettait les correspondances à lui envoyées par « voie hiérarchique ». On dit de lui qu’il est trop cupide, et qu’il « se sucre » auprès de ces Indiens vomis par tout Bangéli et particulièrement les populations de Biakpabé, le site minier, à 4 km de Bangéli ; il engrangerait tout ce qui est destiné à tout le canton. On peut lire dans une plate-forme élaborée pour la circonstance que, pour déplacer les fétiches « avant d’envisager toute activité sur la montagne (mine principale), il faut penser à déplacer et à réinstaller les fétiches qui s’y trouvent (70% de la population sont animistes). Mais pour une prévision de 5 100 000F CFA, la société MM MINING n’aurait versé que 300 000 F CFA ». Les 300 000 F sont tombés dans la main du seul chef ! Il n’aurait remis que des miettes pour déplacer certains fétiches, par une répartition dont il est le seul à détenir la formule, c’est-à-dire la clé de répartition.
Avant l’arrivée des pseudos autorités, une discussion déchira la famille : il était question d’interpeler ces Indiens et de les responsabiliser quant aux suites après le décès (l’avenir de la famille du défunt par exemple). Les uns demandaient que la discussion ait lieu après l’enterrement ; les autres trouvaient que les Indiens pourraient se retirer aussitôt l’enterrement. Les seconds l’emportèrent : la plate-forme préparée et signée par le chef du village de Biakpabé, M. KPAGHERI Satifala et le Président du Comité Villageois de Développement (CVD), M. TCHASSOUN Kodjo, sera lue en premier par le Président du CVD. Traduction en sera faite en bassar par M. KOUPOKPA Gabriel Kodjo, un homme respecté dans tout Bassar. Dans sa traduction et son commentaire, ce comptable à la retraite pointera la négligence des Indiens comme étant la cause du décès du jeune. « Vous n’avez même pas une ambulance. Vous entassez des blessés dans un taxi ; le pneu ne peut que s’éclater. Nous ne voulons plus voir de décès sur cette mine ! », a-t-il mis en garde. Il faut dire que le 7 février dernier, 7 blessés graves ont été entassés dans un taxi de 5 places pour des soins à Kara ; le pneu s’éclatera quelques instants après le démarrage.
Ce document intitulé « PLATE-FORME DES IMPACTS SOCIOECONOMIQUES ET ENVIRONNEMENTAUX DE L’EXTRACTION DU FER SUR LE SITE DE BIAKPABE DANS LE CANTON DE BANGELI » sera remis en mains propres au Préfet de Bassar. On peut y relever, entre autres, d’abord un fait : par le passé, « le village de Biakpabé a pendant longtemps servi de lieu d’approvisionnement en eau pour les villages environnants ». Mais un constat amer : « aujourd’hui, par le fait des activités de MM MINING, la souffrance refait surface, d’abord pour ce village et pour les autres bénéficiaires… la fermeture pure et simple (par les Indiens, ndlr) des puits réalisés entre temps par un « projet de développement communautaire » de la région de La Kara en faveur des jardiniers de Bangéli ». De même, le barrage que suppléaient ces puits a été purement asséché au profit du barrage servant au lavage du minerai. Depuis lors, il est quasiment impossible pour les conducteurs de bœufs, qui partageaient ce barrage avec les jardiniers, de pouvoir abreuver leurs bêtes… Plus grave ! « … nous tenons à mentionner la méchanceté du personnel de la société, à commencer par les premiers responsables, qui se permettent, à cœur joie, de briser les foyers paisibles des couples paysans », poursuit la plate-forme. Plus clairement, disons que certains parmi ces Indiens se permettent de retirer les femmes aux paysans de Bangéli ; ils poussent aujourd’hui de dignes femmes à la débauche. Les femmes de paysans sont reconnues pour être des plus fidèles, elles sont compagnons de leurs époux, surtout dans les travaux champêtres. Nous reproduirons dans nos prochaines parutions cette plate-forme.
C’est après la litanie des maux causés par l’exploitation du fer que l’oraison du jeune AYINDO sera lue. Le point pathétique a été le récit de sa mort, ce lundi 7 février, dans des conditions combien atroces ! Perchés en effet, comme une dizaine d’autres, sur un caterpillar gradeur (qui n’a qu’une ou deux places au maximum), à la hauteur des deux grosses paires de roues dont la taille avoisine les 2 m, il a été projeté, comme bien d’autres, sur une dizaine de mètres. Nous sommes allés visiter un modèle de ce caterpillar, dans le parc auto des Indiens : nous imaginons mal comment il a pu être possible de se tenir à 10 sur un tel engin. On dit même que le jeune a été projeté et retrouvé coincé entre deux roches sur cette montagne ferrugineuse de Biakpabé. Il en aurait même été aussi « extrait » de ces roches ferrugineuses, tel ce fer extrait par ces Indiens. Cela n’est pas étonnant puisque le corps du défunt laissait apparaître des impacts d’au moins 3 cm sur la joue droite et sur le menton. C’était horrible.
Nous avons retrouvé sur place trois des quatre blessés : deux étaient sur le lieu d’enterrement. Ils semblaient en forme. Le troisième nous a aperçus. Il n’a sans doute pas voulu exhiber son « lot ». De son vestibule, il est venu vers nous, avec sa femme, le bras toujours enveloppé dans un plâtre. Il est sorti de l’hôpital vendredi soir. Seul celui atteint au niveau du sexe, et qui risque de perdre son vibreur, est encore à l’hôpital. Nous n’avons pas encore de nouvelles du blessé évacué sur Lomé.
L’homme fut inhumé vers 10h, sous les pleurs nourris des centaines de femmes présentes dans la cour. Une fois la foule de nouveau assise, la tension a commencé à monter. Des jeunes se lèveront pour s’adresser aux Indiens et leur dire : « ça suffit ! » Ils seront empêchés par d’autres, qui solliciteront « le courage, la patience ». La tension remonte, tous les regards se figent. Les yeux des autorités présentes à cette cérémonie se tournaient de tous côtés, comme si elles étaient égarées. C’est dans ce brouhaha qu’un jeune lancera à l’endroit des Indiens : « l’homme a laissé une femme et deux enfants. Vous devez vous en occuper ; vous êtes la cause du décès du jeune ».
C’est dans cette confusion que les autorités et les responsables de la société MM MINING essayeront de se retirer. Un homme de la quarantaine s’est exclamé : « comment payer 1000F pour un tel travail ? Je suis capable, en une journée, d’engranger 2000 à 3000 F en faisant des buttes. Il faut que ces Indiens arrêtent de nous tricher ». Les discussions autour de l’enterrement se sont donc déplacées sur le plan social : « la mort de ce jeune doit changer toute la donne dans cette mine. Elle doit servir à quelque chose », dit un jeune très remonté.
Mais une question reste posée : combien sont-ils ? Combien seront-ils encore à connaître le sort du jeune AYINDO ? La veillée s’est déroulée vendredi soir, sans électricité. Cependant, du lieu de la veillée, la population pouvait admirer l’électricité en montagne et sur tout le site d’exploitation, à moins de 500 m. C’est ainsi que le village de Biakpabé est éclairé en électricité. D’après un technicien en la matière, les deux groupes en place pourraient permettre d’éclairer tout ce village. Les Indiens n’ont pas daigné placer quelques poteaux pour éclairer le village, le centre de santé, ou tout au moins penser à ces ouvriers qui finissent leur corvée à minuit. Ils doivent se débrouiller avec des torches ; eux qui n’arrivent même pas à payer leurs loyers de 1500F par mois en moyenne. M. NKPEBE, propriétaire d’une maison, nous a déclaré : « sur un loyer de 1500F par mois, sur 14 mois, mon locataire n’a versé que 6 mois » ; un autre propriétaire d’ajouter, « sur 14 mois, 4 sont restés impayés ». C’est dire que les miettes versées aux ouvriers ne leur permettent même pas de vivre.
Mais il y a plus insidieux : quand je me suis rendu ce samedi sur la mine, vers 15h, nous nous sommes posé nombre de questions. Une expression nous est venue à l’esprit : le « tabagisme passif ». Aucune relation ; n’est-ce pas ? Quand nous avons cherché à aller jusqu’au minerai, on nous en a refusé l’accès. Mon compagnon et moi avons haussé le ton ; les gardiens ont cédé. Ils ont compris que… Là, l’un d’eux s’est empressé pour nous expliquer le mécanisme ; il nous montra le « gros grain », « le moyen », etc. Il y avait plusieurs tas disposés selon la taille. Quelques tas plus loin attirèrent notre attention. On nous fit comprendre que c’était des déchets. Mais l’homme ajouta aussitôt que ça sert à d’autres choses. Peu avant, deux personnes nous ont dit ceci : « vous pensez que c’est ça seul que ces Indiens trouvent ici ? ». Allez-y comprendre !
C’est dans cette visite guidée qu’un très léger coup de vent a soufflé. Nous avons tous dû tourner le dos à la montagne d’où venait ce vent : la poussière était insupportable, car le sol est tout nu, le couvert végétal ayant disparu. Et cette poussière contient de toute évidence des « débris de fer » que nous avons aussi respirés. Nous parlerons de « respiration passive ». Les populations de Biakpabé et Bangéli respirent donc depuis un air chargé, sans en imaginer les effets sur leur santé. Nous avons pensé en même temps aux vents forts de l’harmattan, avec leur vitesse. Et des Togolais respirent quotidiennement ce vent malsain, impur sur le chantier, et aussi au village. Nous avons pensé à « Melancholia », un poème de Victor Hugo dans « Les Contemplations » qui commence par :
« Où vont tous ces enfants dont pas un seul ne rit
Ces doux êtres pensifs que la fièvre maigrit »
Nous avons aussi pensé à « La bête humaine » d’Emile Zola.
Ce temps est révolu. Nous avons aussi vu l’eau issue du lavage du minerai. Elle était boueuse, rougeâtre, et elle suivait un cours ; quoi de plus naturel. C’est dire qu’elle coule vers d’autres rivières, et que ces eaux seront bues par de pauvres populations, en aval, auxquelles on ne pense sans doute pas. Nous avons compris pourquoi dans la plate-forme, les populations disaient que « les points d’eau naturels encore disponibles dans la région de l’exploitation constituent aujourd’hui, à coup sûr, des pièges à maladies… » Tous les ingrédients sont donc réunis pour que se développent, dans le centre-ouest du pays, des maladies jusque-là inconnues, alors qu’aucune structure sanitaire digne de ce nom n’existe dans ce canton. Il urge que des équipes d’experts se transportent sur les lieux, et qu’elles fassent sur place des études dans toutes les directions pour évaluer non seulement les problèmes environnementaux, mais aussi les impacts sanitaires sur les populations.
Il n’y a pas de doute que ces conséquences pourraient s’étendre jusqu’au Ghana puisque les eaux des rivières du milieu finissent leur course dans la Volta. Pendant ce temps, l’Etat reste coi. Coi sur des traitements de moins de 125F CFA l’heure (y compris pour des travaux de nuit !) par des Indiens que beaucoup de pays africains ne peuvent aucunement envier, des assèchements de barrages obtenus grâce à des financements, des puits réalisés par des ONG et aujourd’hui purement et simplement bouchés par ces Indiens, des Indiens qui poussent aujourd’hui des femmes de paysans à la débauche, une exploitation minière loin de respecter les normes minimales de sécurité et de santé, une extraction minière dans un milieu sans un important centre de santé (le cas de ce décès le prouve à suffisance ), un canton éclairé en montagne alors que les populations riveraines sont dans l’ombre. Une véritable harmonie des contraires !
En tout cas, l’avertissement des populations de Biakpabé, le site minier est sans équivoque : « … la population de Biakpabé lance donc un appel à qui veut l’entendre, pour des dispositions urgentes à prendre afin d’éviter des soulèvements … », lit-on dans la plate-forme).
Ditchaa Koutigbar
Liberté Hebdo