Cette cérémonie mystique s’est déroulée le 5 février, dans la région d’Odienné. Pendant quatre jours, les dozos entendaient ainsi renforcer l’entente entre les membres de la confrérie disséminés aux quatre coins de la Côte d’Ivoire et des pays voisins (Mali, Guinée et Gambie, notamment). Autre objectif : expliquer à leurs compatriotes les règles et traditions du dozoya (la science des dozos) et tenter de briser quelques clichés à la dent dure.
Petit rappel, qui sont les dozos ?
“Nous existons depuis que le monde est monde”, disent les dozos. Dans les livres d’Histoire toutefois, la présence des dozos est pour la première fois signalée à l’époque du grand empire mandingue (entre le XIIIe et le XVIIe siècle). Durant la Seconde Guerre mondiale, les dozos étaient légion dans les rangs des tirailleurs sénégalais. Leur rôle dans la société ivoirienne a ensuite décliné. Ces dernières années, ils sont majoritairement employés comme agents de gardiennage ou de sécurité.
Leur rôle pendant la crise ivoirienne
Pendant la crise ivoirienne qui a suivi l’élection présidentielle de 2010, les dozos ont pris fait et cause pour l’ancien Premier ministre Alassane Ouattara (auquel il est arrivé d’aider financièrement les dozos). Leur rôle aux côtés des FRCI (pour Forces républicaines de Côte d’Ivoire) et des autres milices pro-Ouattara est encore confus, mais plusieurs associations ont dénoncé des violences commises par des Dozos. Un rapport d’Amnesty International publié en juillet dernier décrit les attaques menées par des dozos à l’encontre de villages et de civils. “Si fin avril et début mai 2011, les crimes au regard du droit international pouvaient être attribués aux deux parties au conflit, à partir de la mi-mai, ce sont les FRCI et les dozos qui se sont rendus responsables de la majorité de ces crimes”, est-il notamment écrit. “Cette insécurité est clairement liée à la présence accrue des dozos dans de nombreuses régions de l’ouest du pays”, poursuit l’ONG. L’Onuci avait également souligné le rôle des dozos dans le massacre de Duékoué.
Plus récemment, le Conseil constitutionnel ivoirien relevait “l’intervention des Forces de sécurité et des Dozos au service de certains candidats” après s’être penché sur le déroulement des législatives du mois de décembre. L’APDH (Action pour la Protection des Droits de l’Homme) a quant à elle déploré l’action des chasseurs dozos dans les zones forestières “qui se comportent en véritables maîtres des lieux à l’ouest”.
Depuis sa prise de pouvoir, le président Ouattara a fait renaître la police militaire, notamment chargée de désarmer ceux qui ne font pas partie de l’armée. À la tête de cette nouvelle force, Alassane Ouattara a installé Zakaria Koné, un des chefs de la conférie dozo.
“Ils font peur car les gens ne savent pas grand-chose d’eux, mais ils sont en réalité des individus normaux”
Alexandre Foulon est un Français qui réside en Côte-d’Ivoire. Il a assisté au rassemblement dozo et a transmis ses images aux Observateurs.
Il y avait plus d’un millier de chasseurs dozos dimanche soir ; ils n’étaient plus que quelques centaines le lendemain. Il y avait bien quelques journalistes locaux sur place, mais très peu d’observateurs étrangers. J’ai aussi vu quelques membres de l’Onuci et quelques soldats étrangers venus en “repérage” : des Bangladais, des Burundais, un Philippin.
J’imagine que Zakaria Koné a été mandaté par Alassane Ouattara pour initier un certain contrôle sur cette confrérie. Dans son discours, Zakaria Koné a voulu mettre en garde les dozos. Il leur a demandé de cesser toute activité illicite et de ne pas se substituer aux forces de l’ordre. Il a aussi promis un vrai statut aux dozos en indiquant que l’État allait s’occuper d’eux. Ils souhaitent s’organiser en association, avec des instances dirigeantes qui les représentent. Le jour où les autorités diront ‘on veut récupérer les armes légères des dozos’, elles auront un interlocuteur. Il y a un semblant de hiérarchie chez les dozos, mais pas de représentant unique. Zakaria Koné a demandé aux siens de se trouver un vrai chef avant la réunion prévue à Korhogo, le mois prochain.
Dans les autres pays, les dozos sont davantage organisés.
“Le chef a déroulé une sorte de cordelette d’une dizaine de mètres de sa bouche”
J’ai assisté à des moments mystiques pendant le rassemblement. Zakaria Koné a mangé des branches d’arbres puis a déroulé une sorte de cordelette – d’une dizaine de mètres – de sa bouche. Forcément, les gens étaient impressionnés. Entre autres tours, il a aussi versé une poudre dans une jarre percée, il a mélangé la poudre à de l’eau et, soudainement, la jarre n’était plus percée… Les chefs dozos sont censés avoir des pouvoirs, notamment celui de se transformer et de transformer les éléments. C’était une manière pour lui de réaffirmer sa supériorité. Parmi les histoires que se transmettent oralement les dozos, il y a celle du dozo qui rentre dans un fourré et fait apparaître du gibier.
Les dozos sont aussi des guérisseurs traditionnels : on entre dans la confrérie seulement si on maîtrise ces connaissances. Ils souhaitent préserver leurs traditions et leur culture.
Zakaria Koné et d’autres dozos effectuent une danse. Vidéo : Alexandre Foulon
Les dozos voulaient montrer, avec ce rassemblement, qu’un chasseur traditionnel n’est pas un criminel. À l’époque de Laurent Gbagbo, rien n’a été fait pour les dozos et beaucoup de clichés ont été véhiculés. Pendant le rassemblement, des griots chantaient les noms des chefs en langue locale, ils faisaient aussi référence à la mauvaise gestion du pays par Gbagbo. Mais les dozos ne font pas allégeance à un parti en particulier.
Quand ils se sont battus contre les pro-Gbabgo, les dozos n’ont pas tenu un rôle très important dans les combats militaires – ils étaient surtout là pour effrayer l’ennemi. À Abidjan et parfois dans le reste du pays, les dozos sont craints et la population s’en méfie. On leur prête des pouvoirs mystiques. Selon certains, ils sont aussi liés à des exactions. Par exemple, des dozos sont accusés d’être les coupeurs de route qui sévissent sur l’axe Bouaké-Korhogo.
“Une franc-maçonnerie à l’africaine”
Mais paradoxalement, c’est aussi des dozos qui ont sécurisé l’axe Man-Duékoué. Ils sont appréciés quand ils chassent pour nourrir les gens ou quand ils assurent le maintien de l’ordre dans les zones très rurales, particulièrement dans le nord du pays. Ils s’occupent notamment des vols de bétail.
Au rassemblement, ils avaient leurs armes traditionnelles, des armes de chasse de petit calibre, qui pour certaines ont été fabriquées directement par des dozos du nord.
Les dozos défilent armes au poing. Vidéo : Alexandre Foulon
Ils font peur car les gens ne savent pas grand-chose d’eux, mais ils sont en réalité des individus normaux. On n’est pas dozo par métier, mais parce qu’on a été initié. On peut être agriculteur et dozo à la fois, ou militaire et dozo. Il s’agit simplement d’une confrérie avec un rite initiatique, une franc-maçonnerie à l’africaine si on peut oser la comparaison”.
France24.com
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