Plus choquant : le texte propose que Gilbert Diendéré et ses hommes bénéficient de mesures d’amnistie immédiates
Stupeur et tremblements. Si l’on s’en tient aux réactions sur les réseaux sociaux, l’annonce par la médiation de la CEDEAO (dirigée par les présidents sénégalais Macky Sall et béninois Yayi Boni) des points forts du projet d’accord de sortie de crise au Burkina Faso a indigné une partie importante de l’opinion africaine.
Certes, les « putschistes foireux » qui ont pris en otage – au sens propre du terme – le gouvernement du pays de Thomas Sankara sont priés de quitter un pouvoir qu’ils auraient été bien en peine d’exercer et de laisser se réinstaller sur son fauteuil le président de transition Michel Kafando. Mais ils ont finalement obtenu, en dépit des arrêts du Conseil constitutionnel, ce pourquoi ils ont mis leur pays sens dessus dessous : la remise dans le jeu électoral des caciques du parti de l’ancien président Blaise Compaoré, chassé par une insurrection populaire en octobre 2014, alors qu’il tentait à toute force de tripatouiller la Constitution pour s’éterniser au pouvoir. Les putschistes voulaient la peau du Premier ministre Isaac Zida, ancien numéro deux de leur Régiment de sécurité présidentielle (RSP) passé à l’ennemi. Ils l’ont eu, le projet d’accord lui indiquant très clairement la porte de sortie.
Plus choquant : le texte propose que Gilbert Diendéré et ses hommes bénéficient de mesures d’amnistie immédiates. Et pourtant : les corps des manifestants aux mains nues qu’ils ont abattu parce qu’ils protestaient contre leur imposture sont encore chauds. Le bilan de leur rodéo sanglant n’est même pas encore établi ! Faut-il être surpris ? Cette impunité proposée sans le moindre état d’âme aux « Compaoré boys » fait partie de la logique de la « communauté internationale » depuis 28 ans. Il faut admettre (ou oser affirmer) qu’ils jouissent des dividendes de leur position géopolitique : d’une manière ou d’une autre, ils sont des « supplétifs » ou des « mercenaires » au service d’intérêts bien plus puissants qu’eux-mêmes.
Un « maître-espion »… au service de qui ?
L’acte fondateur de leur « prise de fonctions » dans ce rôle bien singulier est bien entendu l’assassinat de leur camarade et leader, Thomas Sankara, le 15 octobre 1987. En pleine guerre froide, le tribun révolutionnaire était un caillou dans la chaussure du camp occidental et en particulier de l’ancienne puissance coloniale, la France, François Mitterrand étant président. Arrivé au pouvoir après ce meurtre fondateur, Blaise Compaoré assurait d’entrée de jeu vouloir « renforcer la coopération » avec Paris. Ce qu’il a fait avec zèle durant 28 années de pouvoir. Le fait que le « coup » de son âme damnée, Gilbert Diendéré, arrive le jour même de l’annonce des résultats de l’enquête longtemps étouffée sur les circonstances de la mort de Sankara, dans laquelle il est nommément cité, ne saurait relever de la coïncidence…
A la force du canon, celui que les services secrets occidentaux décrivent comme un « maître-espion » raffiné, s’est protégé lui-même cette fois.
Mais qui l’a protégé, et qui a protégé son mentor, des multiples dénonciations émanant des Nations unies et pointant leur implication criminelle dans des conflits qui ont ensanglanté l’Afrique ? Le 4 décembre 2000, un rapport des Nations unies accuse le Burkina Faso de Blaise Compaoré d’avoir fourni 68 tonnes d’armes au Front révolutionnaire unifié (RUF), cruel mouvement rebelle sierra-leonais qui pratique l’amputation en série des membres de ses victimes. Par le passé, d’autres éléments avaient permis d’attester que le « pays des hommes intègres » avait fourni au moins 400 mercenaires, majoritairement issus du fameux RSP, à la rébellion de Charles Taylor au Liberia.
Il n’empêche que quand ce dernier est traduit devant le Tribunal spécial pour la Sierra Leone pour son activisme meurtrier, son comparse burkinabé n’est même pas cité à comparaître, alors qu’il est abondamment citée lors des débats, et que son implication est largement documentée. Notamment à travers un certificat d’utilisateur final, délivré… par Gilbert Diendéré pour « blanchir » les approvisionnements illégaux du RUF. Mais le RUF, en dépit de sa cruauté et du fait qu’il était combattu par le Américains et les Anglais, ne représentait-il pas une certaine « utilité » pour la Françafrique, qui voulait faire échouer l’ECOMOG, force d’interposition nigériane, donc anglo-saxonne, alors que la fin de la guerre froide avait réveillé le « syndrome de Fachoda » ?
Le 30 décembre 2000, un autre rapport onusien accuse Diendéré d’avoir fourni des documents falsifiés à l’UNITA du rebelle angolais Jonas Savimbi pour lui permettre de contourner l’embargo sur les armes. Cela déplaisait-il vraiment à un bloc occidental qui n’avait lâché qu’à contrecœur celui qui lui avait longtemps servi d’allié stratégique dans cette zone de l’Afrique ?
Ils ont plus de souvenirs que s’ils avaient mille ans…
Septembre 2002. Une rébellion armée soutenue par la France tente de renverser à partir de Ouagadougou le président ivoirien Laurent Gbagbo, que Jacques Chirac déteste. Les preuves de l’ingérence armée de Blaise Compaoré dans les affaires intérieures de son voisin du sud sont nombreuses et variées. Son statut de délinquant aux termes du droit international, qui devrait normalement retourner Paris contre lui si l’on s’en tenait aux accords de défense franco-ivoiriens, ne l’empêche pas de « prophétiser », comme quelqu’un à qui l’on a raconté le film à l’avance, que Gbagbo finirait dans les rets de la justice internationale.
Une fois de plus, Diendéré est à la manœuvre, aux côtés des rebelles officiellement dirigés par Guillaume Soro. Il ne risque rien. Un peu plus de huit ans plus tard, quand Nicolas Sarkozy jure la perte de Gbagbo après une élection présidentielle à problèmes au bout de laquelle son rival Ouattara est l’élu de la « communauté internationale », Compaoré et Diendéré sont toujours là. Disposés à servir dans le cadre d’opérations « grises » voire totalement en marge de la légalité internationale, mais sanctifiées par l’ex puissance coloniale, qui y participe activement.
A la faveur de la crise au Mali, plus tard, le même Diendéré, qui entretient des relations étroites avec les rebelles du MNLA (voire de la mouvance djihadiste) est un acteur-clé du « business des otages » occidentaux. Il est plus qu’à son aise dans cet univers interlope, fait de faux-semblants, de rétrocommissions, d’opérations coup de poing et de coups tordus inavouables. A la fois du côté des « cow-boys » et des « Indiens », des « bandits » et des « policiers », il incarne les contradictions des grandes puissances, amies de certains rebelles et ennemies de certains autres, y compris quand les talents de transformistes de ces derniers brouillent le jeu au point de le rendre illisible.
En octobre 2014, Compaoré, traqué par son peuple alors que son RSP a déjà causé la mort de dizaines de civils désarmés, cherche une porte de sortie. Est-ce au nom des « services rendus » par le passé que François Hollande mobilise les militaires français positionnés en Afrique de l’Ouest aux fins de l’exfiltration vers la Côte d’Ivoire de Ouattara d’un homme qui doit pourtant rendre des comptes à la justice de son pays ? Quelques jours plus tôt, sous la pression de la rue ouagalaise et alors qu’elle s’était montrée très discrète sur les manigances du maître de Ouaga, la présidence française avait fait filtrer une lettre très amicale tentant de contrarier le projet sans se fâcher avec celui qui le portait…
Gilbert Diendéré et Blaise Compaoré ont plus de souvenirs (et détiennent plus de secrets) que s’ils avaient mille ans. Paris ne peut pas trop les brusquer, Washington non plus. Alassane Ouattara surtout pas – il leur doit trop. Alpha Condé et Mahamadou Issoufou peut-être pas – ils ont pu rendre des services. Du coup, fatalement, la CEDEAO ne peut que tenter de les remettre dans le jeu, alors que l’Union africaine les traite de « terroristes ». Quant au peuple burkinabé, il se débrouillera.
Théophile Kouamouo
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