Pedro Passos Coelho, Premier ministre portugais dans ses petits souliers face à Jose Eduardo Dos Santos, président angolais, la scène avait quelque chose de pathétique jeudi dernier au palais présidentiel angolais. Le Portugais était venu demander l’aide de l’Angolais. L’ancien colonisateur tendait la sébile à l’ancien colonisé. « Le capital angolais est le bienvenu » a expliqué Pedro Passos Coelho à la presse. « L’Angola est prêt à aider le Portugal face à la crise financière » a rétorqué Eduardo Dos Santos, magnanime. Tout était dit en quelques mots. Dixit Alexandre Njilié un blogueur.
Ce titre paru dans le mensuel “Africa Nouvelles” pourrait paraître provocateur. Il illustre pourtant une réalité, le rachat de pans entier de l’économie portugaise par des investisseurs de l’Angola, un pays qui a arraché son indépendance de l’ancienne puissance coloniale en 1975. Cette nouvelle relation est aussi liée à une mentalité. Les Portugais ont conscience que leur salut passe par le soutien de leurs anciennes colonies, cette prise de conscience a-t-elle atteint les dirigeants français?
Dans son édito du 11 janvier dernier, “Témoignages” avait rappelé un enseignement de la crise asiatique de 1997. C’est parce qu’elle avait décidé de ne pas écouter l’Occident que la Malaisie avait sauvé sa monnaie et avait pure lancer son économie.
Dans une tribune libre publiée dans “Le Monde” daté d’avant-hier, Mohamad Mahatir, l’ancien Premier ministre de ce pays a pu également constater que les recettes qu’à l’époque les Occidentaux préconisaient pour l’Asie, ne sont pas celles que ces mêmes Occidentaux s’appliquent alors que leurs économies sont en crise.
Ce comportement est lié à l’héritage d’une hégémonie de plusieurs siècles, qui font croire aux Occidentaux que leurs valeurs sont forcément universelles, et qu’ils détiennent la solution infaillible. « Les jours de l’eurocentrisme sont comptés », affirme Mohamad Mahatir.
Les faits montrent qu’au moins un pays européen a déjà compris cette réalité, et qu’il tente de s’y adapter, c’est le Portugal.
Le premier empire colonial européen
Le Portugal a été à la direction du premier empire colonial européen, avant les Espagnols, les Britanniques ou les Français. Ses explorateurs ont planté le drapeau du Portugal sur tous les continents: Madère, les Açores, le Cap-Vert, le Brésil, l’Afrique australe, l’Afrique centrale, l’Inde, la Chine, les îles de la Sonde en Indonésie… et ils ont commencé à organiser la traite et l’esclavage. Ils sont ensuite rattrapés par les Espagnols. En 1494, sous l’égide du pape a lieu le premier partage du monde entre Occidentaux. L’Espagne et le Portugal s’attribuent chacun une moitié de la planète. La capitale du Portugal, Lisbonne, devient une des principales places commerciales du monde, car c’est là que sont déchargés les trésors pillés dans l’hémisphère portugais.
La puissance du Portugal alla ensuite en déclinant, mais l’implantation de la langue portugaise sur tous les continents rappelle quelles étaient les limites de l’empire portugais.
Le Portugal a été aussi le dernier empire colonial européen, car ce n’est qu’en 1975 que l’Angola, le Mozambique, la Guinée-Bissau, Sao Tomé et Principe, et le Cap Vert arrachent leur indépendance. Le Portugal était également le dernier colonisateur de la Chine, car ce n’est qu’en 1999 que Macao a été rendue à son pays.
Le premier Européen sauvé par une ancienne colonie
Mais aujourd’hui, le Portugal est gravement touché par la crise. Il a dû solliciter une aide extérieure. La troïka FMI, Union européenne et BCE, également à l’œuvre en Grèce, lui a accordé en mai 2011 un prêt de 78 milliards d’euros en échange de sévères contreparties. Il y a notamment une politique de casse sociale, avec la remise en cause du Code du travail, la baisse des salaires des fonctionnaires et des retraites, hausse de la TVA et privatisation de pans entiers de l’économie.
Sont notamment concernés EDP et REN (équivalent d’EDF), l’audiovisuel public RTP et la compagnie aérienne nationale TAP, sans compter plusieurs banques.
En novembre 2011, le Premier ministre du Portugal s’est rendu en Angola pour faire la promotion des entreprises publiques à vendre auprès d’investisseurs angolais potentiels. Les capitalistes de l’ancienne colonie détiennent déjà plus de 3% de la valeur boursière des entreprises cotées à Lisbonne.
La Société nationale d’exploitation des hydrocarbures d’Angola (SONANGOL) est sur les rangs pour acquérir la compagnie aérienne et la télé publique portugaises.
C’est donc une ancienne colonie qui est désormais un soutien indispensable pour une ancienne puissance coloniale. Ce changement de mentalité, le Portugal a réussi à l’opérer en allant se réconcilier avec l’Angola. Les dirigeants français semblent bien loin de cet état d’esprit, car ils entretiennent toujours l’illusion que la France est une puissance capable de dicter sa loi dans les anciennes colonies. C’est ce que montrent les coups de force en Côte d’Ivoire et la guerre en Libye.
Manuel Marchal