Dans une lettre ouverte à la procureure générale de la Cour pénale internationale (CPI) Fatou Bensouda, le conseiller spécial du président Gbagbo Alain Cappeau attire l’attention de cette dernière sur la grande honte qui la guette à force de persévérer dans la procédure contre Gbagbo et Blé Goudé à La Haye.
Chère madame,
Nous serons vous et moi d’accord pour dire qu’être accusateur public n’est pas un métier, c’est un choix de vie, c’est une forme de sinécure à hauts risques dès lors qu’elle s’abandonne à flirter avec l’idée de délation, et l’histoire ne manque pas de nous rappeler que cette possible collusion n’est jamais à écarter. Dans un registre extrême, rappelons-nous l’institution du « magistrat de sûreté » imposé en France par la loi du 7 pluviôse an IX (27 janvier 1801), ce puissant agent de la vindicte publique placé par-dessus les juges de paix qui disposait d’un pouvoir (déjà) discrétionnaire « occulte et ténébreux » pour procéder à la fois à des actes d’accusation et d’instruction ; là, il n’y avait pas de demi-mesure! Nous n’étions pas dans la collusion, mais bien dans un système judiciaire totalitaire.
Fort heureusement ce type d’instruction secrète et écrite ne fut qu’une création de courte durée en France. Cependant, on ne peut s’empêcher de se questionner quant à l’émergence d’une nouvelle version, plus contemporaine, de ce type de perversion de la nature humaine, d’une forme de pandémie quand on observe attentivement les agissements et tergiversations de votre gouvernance.
En effet lorsque nous avons lu dans la presse que le bureau du Procureur de la CPI disposait, «de moyens discrétionnaires pour classer les affaires », nous nous sommes demandé si au sein de cette institution on n’essaierait pas d’exhumer de vieux démons !
Lorsque nous avons constaté votre aplomb à relativiser toutes les attaques dont vous êtes la cible, lors d’une interview sur France 24 le 10 novembre 2016, nous nous sommes, là aussi, demandé si vous n’étiez pas dans un déni de réalité doublé d’un délit de parjure. Assurément vous étiez dans un aveuglement volontaire que l’on qualifie en psychanalyse de forclusion, et qui consiste à faire comme si un évènement traumatique n’avait jamais existé, en l’occurrence la désertion d’au moins quatre pays, de la Cour Pénale Internationale, avec toutes ses conséquences que notre simple logique peut imaginer, et que la vôtre, probablement plus sophistiquée, refuse d’intégrer.
Anonner d’une manière hésitante sur l’intégrité de votre bureau, se voiler la face s’agissant de votre impartialité dans les choix de vos enquêtes, n’a aujourd’hui plus de prise sur l’opinion publique, sauf à partager votre détresse morale dans une empathie émotionnelle.
Reconsidérez vite, madame, vos régulières objurgations visant la communauté africaine, dont vous êtes issue, car l’Union Africaine, par le truchement de certains membres vindicatifs, vous met en garde et vous conseille de revenir à de meilleurs sentiments.
Demain étant un autre jour, exemplarité aujourd’hui en la matière ne vaut-elle pas demain légitimité ?
Chère madame, à l’évidence votre obstination à ne pas voir le criant dans la situation dont vous êtes la responsable contribue à la fracturation d’une idéologie à son origine porteuse de bons sentiments, que votre prédécesseur et vous-même avez rendue irréversiblement explosive. Vous avez su « trivialiser » une instance qui aurait pu représenter un idéal de justice mondiale, simplement aux fins d’assouvir un égo désarmant, une gloriole sans lauriers, et quelques intérêts personnels fugaces. Vous avez profondément fragmenté un bel idéal de justice porté par la déclaration universelle des droits de l’homme de 1948. Libérez donc au plus vite votre bureau de ses mensonges, de sa vacuité intellectuelle, de son arrogance et de ses travers mégalomaniaques qui minent la CPI de l’intérieur.
Ces mensonges sont aujourd’hui au coeur de la crise de confiance qui ronge cette instance judiciaire et vous semblez ne pas le comprendre. Faites preuve de bienveillance, d’élégance et, si possible, de compassion envers les « deux trophées » que vous avez, avec l’aide de gens de peu, accrochés à un tableau de chasse peu glorieux. Jetez l’éponge dans l’inique procédure que vous avez initiée à l’encontre de messieurs Gbagbo et Blé Goudé, et les Etats parties au statut de Rome vous en seront gré. Pour ces Etats, n’en doutez pas, c’est ça ou bien une cascade de démissions à venir dans leur rang. Dans cette affaire Gbagbo/Blé Goudé, cherchez un accommodement raisonnable qui vous ferait sortir la tête haute du marais fétide dans lequel vous vous êtes embourbée, faites preuve de discernement en comblant le vide sidéral qui vous submerge dans votre quête de pouvoir, de prestige et d’honneurs, car en tout il y a toujours un après ! Que n’attendez-vous pour fourbir honnêtement cet après avant que le ridicule ne déshonore votre bureau plus que ne le ferait le déshonneur lui-même.
Chère madame la procureure, saurai-je vous persuader que les magistrats ne sont pas investis de pouvoirs divins, saurai-je vous convaincre que les mafieux qui blanchissent à tour de bras ne sont pas dans votre pénitencier de Scheveningen mais aux manettes dans les quelques Etats qui cautionnent encore les agissements de votre bureau, et dans les rares démocratures que vous adoubez ! Aujourd’hui chevalier, demain vacher, dit l’adage, autrement dit mieux vaut lâcher prise dans l’affaire évoquée que de porter l’entière responsabilité d’une déroute programmée des Etats parties africains de la CPI.
En souhaitant bonne perception de la présente, je vous prie d’agréer, chère madame, mes sincères salutations.
Alain Cappeau
Conseiller spécial du
Président Laurent Gbagbo.
In Le Nouveau Courrier N°1518 du Vendredi 18 Novembre 2016
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