Ago Ma Yi ! (Laisse-moi y aller !)

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A moins d’un miracle, en cas d’élections législatives ( si on on peut appeler la chose ainsi ), le camp RPT\UNIR-AGO va de nouveau s’installer à l’Assemblée nationale togolaise ( là aussi,si on peut appeler la chose ainsi). C’est dire, pour être honnête, que d’une part, il n’y aura pas de véritables élections législatives et d’autre part, que le genre d’institution où vont s’installer les dits élus à l’issue des dites élections n’est pas une assemblée nationale au sens où il en existe ailleurs dans les pays réellement démocratiques et au sens où l’entend la très large majorité de notre population qui se bat depuis si longtemps pour la démocratie. L’essentiel pour le régime ( c’est là l’un des paradoxes de l’État togolais ) est d’avoir « élections, assemblée nationale et même président élu » pour avoir les allures d’une démocratie sans en être une. Des Sans-Propos ( lisez  plutôt en verlan ) ne considèrent-ils pas que c’est là le régime qui nous conviendrait?

Dès lors, certaines questions peuvent être soumises à la réflexion de nos compatriotes qui persistent à parler d’élections législatives et d’Assemblée Nationale au sens où le camp RPT\UNIR-AGO entend ces termes. Bien entendu, ces questions ne s’adressent pas aux compatriotes de ce camp, puisque pour eux tout est clair, mais bien à ceux qui n’appartiennent pas à ce dernier, puisque tout pour eux, en un sens, n’est pas clair. La seule chose dont les uns et les autres soient sûrs, malgré toutes les agitations ( ou plutôt, paradoxalement, la seule raison d’être de toutes les agitations) est que le statut quo sera maintenu.

Le camp RPT\UNIR-AGO veut gagner et va gagner : tout le dispositif est en place pour atteindre ce but et il entend ne le modifier d’aucune manière, à aucun prix. Le camp RPT\UNIR-AGO va gagner pour renforcer le pouvoir du clan Gnassingbé, cela est clair aussi, et la victoire du camp RPT\UNIR-AGO est la garantie pour Gnassingbé de demeurer au pouvoir, de se faire « réélire » en 2015 à la tête de l’État. Nous savons ce que signifie la conservation du pouvoir par Gnassingbé pour ses partisans, individuellement, à différents niveaux : la perpétuation des privilèges, des postes. Nous savons même ce que cette victoire du camp RPT\UNIR-AGO et son corollaire, le pouvoir Gnassingbé signifient pour nos compatriotes qui s’apprêtent à rallier ce camp : être en situation enfin de bénéficier d’avantages qu’ils n’avaient pas eus jusqu’ici mais  auxquels ils estiment avoir droit eux aussi . N’avons-nous pas, à plusieurs reprises, dans certaines circonstances, entendu des raisonnements dans ce genre : il ne faut pas laisser…toujours les mêmes jouir des avantages qui devraient nous être accordés à nous aussi? Ainsi on entre dans le cercle ou plutôt on s’engage sur le boulevard de ceux qui jouissent des avantages!

Laisser aux autres, toujours les mêmes… le boulevard large! Le genre de réflexion qui commence ainsi existe à tous les niveaux et je n’apprends rien à personne en répétant celle émise, il n’y a pas très longtemps par un personnage très important de notre vie politique nationale, un ancien Premier ministre. Pour ne pas laisser aux autres, toujours aux mêmes…que n’a-t-il pas fait? Que n’a-t-il pas accepté, avalé et peut-être même déjà digéré au point qu’il serait aujourd’hui parfaitement en état d’avaler un plat du même genre? A moins de le concéder à quelqu’un qui lui soit assez proche! Pour ne pas laisser aux autres, toujours aux mêmes…combien de nos compatriotes n’ont pas eux aussi avalé les couleuvres ou, pour parler comme les anciens qui, parfois usant des proverbes ne reculent pas devant le mot concret, « pincé le nez pour cultiver un champ qui ne sent pas bon »? Combien avons-nous eu de premiers ministres, de ministres, de députés, de  directeurs de ceci ou de cela, d’attachés par-ci par-là, hommes autrefois libres et respirant à pleins poumons, qui aujourd’hui ont pincé le nez, pour avaler…?

Il reste seulement à poser mes questions à ceux qui sont encore conscients que le champ sent mauvais, que ces élections n’ont pas tout à fait le parfum que l’on souhaiterait qu’elles aient, que la prétendue assemblée nationale n’est pas un lieu où on respire réellement le débat démocratique, que ceux qui y entrent s’engagent à supporter toutes les mauvaises odeurs qui y règnent ou  à en sortir. Ces derniers n’ont pas d’autre choix. Évidemment, lorsque l’on a fait ce choix-là, lorsque l’on décide délibérément d’aller se pincer le nez, les arguments pour justifier sa position sont tout faits, nous les connaissons. Nous ne nous étonnerons donc pas lorsque certains de ceux qui réclamaient des réformes, (une révision du code électoral entre autres) et ne les ont pas obtenues, nous diront que s’ils vont à l’élection législative, c’est pour aller constituer à l’Assemblée Nationale un groupe suffisamment puissant pour rendre possibles ces réformes, et même que c’est pour y travailler à alléger les souffrances du peuple togolais. Combien  seront-ils dans ce groupe à l’Assemblée pour réaliser leurs nobles objectifs? Est-ce à moi de leur répondre qu’ils n’y pourront rien? Ils le savent eux-mêmes. Mais ils se bousculent sur le « boulevard », s’enfièvrent, chantent et dansent ( le chant et la danse devenant un défouloir, leur permettent d’oublier la mauvaise odeur dans laquelle ils vont se vautrer pour ne penser qu’aux avantages ) :« Ne wo ma yi oa, ago mayi!» ( Si tu ne veux pas y aller, laisse-moi y aller! ). Or, lorsque l’opposition semblait unanime pour réclamer des réformes avant les législatives, lorsque des collectifs se créaient d’un côté et de l’autre, lorsque des leaders de l’opposition lançaient le mot d’ordre de désobéissance civile, juraient qu’ils ne négocieraient avec Gnassingbé que son départ du pouvoir, lorsque des foules d’opposants marchaient et chantaient « Gake mi yi Adéwui » ( Et pourtant, nous avons été à Adéwui ) le pouvoir savait que le temps de cet autre chant, AGO MA YI, chant de la division, de la cacophonie, chant irrationnel du chacun pour soi, auquel n’ont pas résisté les AGO après 2010 viendrait. Comment donc voulez-vous que le pouvoir, assuré de ce moment favorable pour obtenir ce qu’il veut, assuré même de pouvoir, le moment venu, compter sur certains partis dits de l’opposition pour entonner ce chant, concède, dans de prétendues négociations quoi que ce soit à l’opposition qui l’empêche d’atteindre ces buts?

Finalement, que reste-t-il de nos slogans, de nos exigences avant toute élection? Combien y croient encore? J’ai lu une déclaration d’un des responsables de parti qui participent encore aux négociations que celles-ci n’ont pas avancé d’un pouce. J’ai  eu envie de demander à ce responsable : croyiez-vous vraiment qu’elles puissent avancer? Un autre paradoxe de la vie politique togolaise : savoir que tel acte, telle démarche ne produira rien, n’apportera aucun changement dans les données actuelles et pourtant l’effectuer. On ne sait jamais. Le miracle peut être au rendez-vous.

Face à un pouvoir que la majorité des Togolais reconnaissent comme basé sur l’arbitraire, le paradoxe et même l’incohérence de nos attitudes nous nuisent et expliquent largement pourquoi nous n’atteignons pas nos objectifs. Un fait encore brûlant d’actualité : dans l’affaire des incendies de marchés, Agbéyomé Kodjo a été arrêté et détenu pendant quarante jours, puis libéré sans jugement, donc sans justification valable ; et, malgré toute la tragicomédie qui se joue sous nos yeux, nous ne savons toujours pas quels sont les auteurs de ces incendies, nous ne voyons pas encore le dénouement. Un fait un peu moins récent : des députés de l’opposition avaient été exclus de l’Assemblée Nationale, sans qu’aucun recours, aucune juridiction ait pu les faire réintégrer dans leurs droits bafoués, dans cette institution où le peuple les avait élus. Un fait un peu plus lointain : Kofi Yamgnane avait vu sa candidature à la présidence de la République rejetée pour des raisons qu’on ne peut qualifier que de fallacieuses. Un fait que certains ont peut-être oublié : Atsutsé Agbobli avait été trouvé mort à la plage de Lomé un matin, nu sauf une chaussette et l’enquête officielle qui ne convainc personne avait conclu au suicide…Non, je ne remonterai pas aux massacres de 2005, ni plus loin encore, et je n’irai pas errer dans les dédales des détails qui ne sont pourtant pas à négliger, dans mon entreprise, gratuite peut-être, de nous amener à remuer notre mémoire. Un de nos leaders a martelé bien fort que lui et ses camarades n’ont pas créé leur collectif pour être  sous la botte de quelqu’un. C’est une vérité que je ne discute pas. Je préfère poser la question suivante, simple, aux leaders des collectifs de l’opposition qui se voulaient complémentaires et même unanimes, mais qui se révèlent aujourd’hui rivaux : vaut-il mieux être victime impuissante, malmenée, ballottée de gauche à droite, fouettée, étouffée, assassinée sous la botte d’un tel pouvoir arbitraire qu’être sous la botte d’un collectif, pour la simple raison que ce collectif-là est rival du nôtre? Je pensais que l’objectif premier de tous les collectifs de l’opposition était de mettre fin à ce pouvoir arbitraire.

Et, que penser maintenant que j’entends déjà aujourd’hui le chant imbécile de ceux qui veulent aller se bousculer sur le boulevard, secrètement contents que leurs rivaux s’apprêtent à le déserter: « Ne wo ma yi oa, ago mayi »?

Sénouvo Agbota ZINSOU

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