Afrique: un poison dénommé la famille? Vraiment ? [ Par Komla Kpogli]

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Alors que toutes les autres sont laminées, l’une des dernières institutions qui titube encore en Afrique est en train de subir des attaques de plus en plus sanglantes de la part des esprits « noirs » éblouis par les phares de l’individualisme occidentaliste vanté, aussi bien par les canaux ordinaires de la communication que par le biais des nouvelles techniques de la propagande, par le capitalisme libéral et marchand triomphateur. Il s’agit de la famille.

En effet, ces derniers temps, la famille, cellule de base de toute société, est élevée au rang de l’ennemi à abattre. Les guerriers, partant de quelques exemples de conflit familial, affirment que pour que l’homme aille mieux en Afrique, il faut qu’il se coupe de sa famille.

Quelles seraient donc les fautes de la famille africaine pour qu’elle devienne cette nouvelle cible à abattre?

Il est dit que l’africain qui a « réussi » serait tiré vers le bas par ses frère, sœur, mère et père, cousin, cousine, neveu, nièce, tante, oncle, grands-parents, nièce…

Il est dit aussi que la famille africaine ruinerait les économies des personnes qui, en son sein, se sont hissé, par des entreprises individuelles, solitaires dans lesquelles ces héros samsonniens n’avaient eu aucun coup de main, au sommet de la vie matérielle.

Il est affirmé que la famille africaine ne favoriserait pas l’épargne et donc l’investissement capitaliste et qu’elle serait le vivier d’êtres très méchants, bêtes, malfaisants et gratuitement haineux alors même que l’individu ayant « réussi » se tue à les aider.

Comme on peut le constater, il manque de peu pour que les guerriers contre la « famille africaine » ne tombent pas bien bas en nous sortant l’argument qui tue: celui des frères et sœurs qui vont voir le charlatan pour bloquer le succès du héros de la famille ou de la tante sorcière, de l’oncle sorcier et des grands parents sorciers qui se transforment en rat ou musaraigne pour ronger ou imbiber de son odeur les produits de la boutique du neveu de la cousine de l’oncle ; ou qui rentrent dans le corps du hibou au regard gluant qui, par ses cris stridents dans la nuit, empêche l’élève de l’école coloniale africaine d’assimiler ses leçons et de réussir à l’examen de fin d’année, ou encore qui ont mangé l’utérus de la fille d’un proche qui a eu « la chance » d’avoir épousé un « blanc »…

Ainsi, la famille africaine est actuellement portée au rang d’un des derniers obstacles à abattre pour que l’africain, enfin, vole vers les cimes du succès miroité par les lumières aveuglantes du libéralisme marchand qui ne cesse de séduire les esprits africains complètement désorientés.
Cette thèse de la « famille africaine-obstacle » ne date pourtant pas d’aujourd’hui. Elle vient de la colonisation, puis elle a été reprise par les africanistes, notamment les économistes tiers-mondistes des années 70-80 pour qui, si l’Afrique ne décollait pas économiquement, c’est parce que l’individualisme prôné par le capitalisme libéral et consumériste n’était pas assez avancé en Afrique où la solidarité est, à leur goût, trop forte. Rapidement, et comme toujours, cette idée a gagné des esprits en Afrique où, d’ordinaire, toute pensée en provenance de l’extérieur trouve écho au-delà même des espérances de leurs émetteurs vivant loin, au-delà des Pyrénées. Mais, c’est de nos jours que l’idée de la famille-obstacle trouve le plus de résonance en Afrique ; et les temps à venir ne sont pas faits pour arranger la détestation rampante de la cellule de base de la société africaine, elle-même mise à mal depuis si longtemps.

L’une des caractéristiques les plus marquées d’une société gravement malade est son incapacité à comprendre ses problèmes et à leur formuler les solutions les plus adaptées. Depuis bientôt 03 millénaires, l’Afrique est ce continent qui ne sait plus résoudre ses problèmes. Parce qu’elle ne sait plus les analyser convenablement et surtout courageusement, en remontant à la racine de ses maux. C’est qu’au lieu de voir en la famille l’obstacle à éliminer, l’on devrait plutôt constater que c’est le manque d’Etat, c’est-à-dire, la structure au-dessus des familles qui fait que l’ensemble de l’édifice sociétale africaine s’écroule et n’élève plus l’africain dont la préoccupation essentielle se résume globalement à ce qu’il doit manger dans les heures qui suivent. Et pour ceci, il est prêt quasiment à tout.

C’est que l’africain qui a « réussi » et qui, urbi et orbi, appelle son alter égo féminin ou masculin, à ne penser qu’à lui-même, en s’écartant dorénavant de sa famille, a la mémoire courte. Il a, grâce à une ignorance crasse, oublié que lorsque les structures au sommet se sont effondrées, c’est la base, la famille africaine, qui a reçu tout le fardeau. Car, depuis que la société africaine est déstructurée puis démolie par les razzias négrières de toute sorte, puis par la colonisation qui perdure sous nos yeux paludiques, c’est le cadre familial qui prend en charge l’individu qu’il est. Du sperme de son géniteur à sa tombe en passant par le ventre de sa mère, ses couches, ses vêtements, ses premiers pas, sa scolarité coloniale…La famille africaine, malgré son affaiblissement progressif et ses conflits intérieurs ouverts ou larvés, n’a pas démérité. Si les parents directs n’ont pas fait, un oncle a fait ; une tante a fait ; une nièce a fait ; un neveu a fait ; un cousin a fait ; un grand parent a fait ; une sœur a fait ; un frère a fait…Qu’il y ait des variations en la matière, comme d’ailleurs en toute autre, qui peut le nier ? Mais, ces variations n’excluent pas le fait que ce soit la famille qui ait jusqu’ici assumé la responsabilité première en Afrique depuis que ses structures supérieures furent dynamitées et remplacées par des anomalies institutionnelles abusivement appelées Etats africains. Que des familles aient adopté des valeurs qui ne sont pas authentiquement africaines et en meurent en dévorant leurs propres enfants transformés en machine à sous, est-ce la faute à la « famille africaine » ? L’Etat colonial avec sa nationalité coloniale et ses identités coloniales dont beaucoup d’africains sont si attachés et si fiers, est-il un Etat véritable et prescripteurs de normes, organisateur de la solidarité à une échelle plus élevée et régulateur plus ou moins autorisé des phénomènes sociaux dans un cadre organisé en Afrique ? N’eût été donc la famille les chocs subis par les individus seraient encore plus violents et le chaos, plus généralisé.

Là où l’africain qui a « réussi » veut rompre avec sa ruineuse et méchante famille, devrait plutôt émerger une critique agissante contre une Afrique minée par des Etats garde-barrières coloniales, continuant joyeusement l’œuvre coloniale du démantèlement complet de la société africaine qui, hier, avait merveilleusement bien fonctionné sur le principe de la solidarité. Ainsi, l’appauvrissement grandissant, les régulateurs socio-économiques étant dynamités, les « réussites » secrétées au compte-goutte par le libéralisme marchand étant de plus en plus inégalitaires, il n’est que logique de voir les charges familiales pesées sur un nombre de plus en plus réduit d’individus, portant à bout de bras toute une famille africaine.

Le devoir auquel nous sommes appelés en tant que masses d’hommes et de femmes en lutte pour redevenir un peuple, c’est d’aller de manière organisée et disciplinée, sous un leadership nouveau et foncièrement africain, à la reconquête de notre espace qui nous a échappé depuis si longtemps afin de le transformer et d’y faire émerger une nouvelle civilisation qui retrouve les traces de ses précurseurs dont la pensée doit être améliorée, si besoin. Il ne s’agit pas pour nous de relayer les guerres que les autres ont décidé de nous livrer pour mieux nous désarmer en s’attaquant nous-mêmes aux derniers bastions qui résistent péniblement en Afrique et ainsi nous transformer durablement en consommateurs serviles qui se taillent les pieds pour les faire entrer dans leur modèle. Il ne s’agit pas pour nous de commencer une bataille suicidaire supplémentaire contre la famille, qui, si elle a besoin d’être probablement réformée à la suite d’une refondation globale de l’éducation en Afrique, ne doit pas être détruite, comme nos « nouveaux riches » qui se dénomment fièrement Africapitalistes nous le recommandent incessamment ces derniers temps. Il est question plutôt de redynamiser les liens familiaux. Remettre au sein de la famille, les valeurs ancestrales de la solidarité et de l’autorité fondée sur le respect de l’Être et non de l’Avoir, car il faut être avant d’avoir. L’Afrique, ça n’est pas l’individualisme (libéralisme) contre la société, ça n’est pas non plus la société contre l’individu (socialisme/communisme), mais c’est le couple inséparable Société-Individu (la solidarité). C’est autour de ce principe cardinal que l’Afrique des temps détruits a connu ses heures de gloire. C’est uniquement autour de ce principe, s’il le faut modernisé et proportionné aux réalités de notre situation dans le monde, que les africains, éclairés par l’ensemble de leur parcours historique, feront renaître ce continent qui est actuellement dans l’errance et dans un mimétisme plat, au lieu de se réconcilier avec lui-même, sous un leadership éclairé et courageux, pour redevenir grand.

KPOGLI Komla

Moltra

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