« La pensée européenne se trouve à un tournant. Ce tournant, sur le plan historique, n’est autre chose que la fin de l’impérialisme. La crise de la pensée occidentale est identique à la fin de l’impérialisme. » Michel Foucault
L’intronisation du nouveau président et gouvernement “socialistes” ne laisse aucun doute quant à la continuité de la politique étrangère de leurs prédécesseurs : alignement au millimètre près sur la “politique atlantiste” et totale servitude aux intérêts de l’Empire américain.
Tout particulièrement, au Moyen-Orient : soutien aveugle aux gérontocratiques absolutismes des pétromonarchies et aux dérives suicidaires de l’extrémisme sioniste.
En Amérique Latine : hostilité permanente à l’encontre des pays revendiquant indépendance économique et respect de leur souveraineté nationale (Cuba, Bolivie, Equateur, Venezuela). Avec appui indéfectible aux ploutocraties, travesties en ’démocraties électorales’, régies par des castes de milliardaires livrant leurs pays au pillage (Chili, Colombie, Mexique, Pérou).
Même approche en Europe dite ’de l’Est’, totalement inféodée à l’OTAN : solidarité inconditionnelle avec les régimes mafieux camouflés, là encore, en ’démocraties’ (Albanie, Bulgarie, Roumanie, etc.). Tout en harcelant la Russie, pour entraver son développement. Ou, en Asie : les régimes ultra corrompus, tels que ceux de Thaïlande ou des Philippines, seront encensés par rapport à une Chine qui sera, bien évidemment, sans cesse diabolisée.
Manière, pour ce qui est de la Russie ou de la Chine, de se relaxer dans la “bonne conscience” en sniffant une ligne aux “droits de l’homme”…
Rien de neuf sous l’euphorie du cynisme.
Mais, qu’en sera-t-il de la position de notre pays à l’égard de l’Afrique ? Du moins, de nos relations avec l’Afrique subsaharienne liée à l’espace francophone. Alice Primo pose la question (2) :
« Françafrique : le changement est-il en route ? »
François Hollande
Car, depuis les indépendances politiques ou théoriques difficilement concédées dans les années soixante, les Etats européens ont implacablement poursuivi les politiques de prédation de leurs anciennes colonies africaines, notamment la France et la Grande-Bretagne. Quels que soient les partis au pouvoir : “Travaillistes” ou “Conservateurs”, “Droite” ou “Gauche”…
Le mode opératoire de la France avec ses ex-colonies africaines, dans la corruption et le soutien aux pires dictatures, a été surnommé : « Françafrique » (3). Concept forgé par le regretté François-Xavier Verschave, reprenant l’expression (4) du dirigeant de la Côte d’Ivoire Félix Houphouët-Boigny, dans son livre paru au printemps 1998 : « La Françafrique, le plus long scandale de la République ». (5)
Ne cessant, rappelons-le, de dénoncer avec courage, rigueur, dans ses ouvrages, ses travaux au sein de l’association Survie dont il est un des fondateurs, l’emprise mafieuse de la France sur ses anciennes colonies africaines.
La France n’hésitant pas à soutenir des dictateurs, ou des dynasties de dictateurs sévissant de père en fils : les Eyadema, au Togo ; ou, les pathétiquement célèbres Bongo, au Gabon … Dictateurs, protégés par notre pays, se considérant, ou complaisamment qualifiés par la propagande : « amis de la France ». (6)
La France suscitant, ou organisant, des coups d’Etat. Soit, pour renverser des dirigeants refusant ce système : l’honnête et charismatique Thomas Sankara du Burkina-Faso, assassiné dans un putsch. Soit, même au prix d’une guerre civile, pour imposer un gouvernant à sa solde : le général Sassou Nguesso fondé de pouvoir des intérêts français dans l’Etat pétrolier du Congo-Brazzaville (7). Parmi tant d’exemples, dont les récents évènements en Côte d’Ivoire, avec l’éviction du président Gabgo, ne sont que la sanglante répétition …
Sujets, évidemment, jamais abordés dans les médias dominants, propriétés ou serviteurs des bénéficiaires de ce système : les chaînes TV et radios, dites du “service public”, concourant à cette complicité. Le pillage de l’Afrique impose le silence.
Un des responsables des services secrets français en Afrique, Dominique Fonvielle, le reconnaît dans son livre, « Mémoires d’un agent secret » (8) :
« Au lieu d’assister les transitions démocratiques, la France a au contraire aidé plusieurs chefs d’Etat corrompus à rester en place, par sa simple présence d’abord, par des actions militaires ensuite […]. Les raisons n’étaient pas idéologiques. A gauche comme à droite, seul comptait l’argent. »
L’Afrique est vampirisée dans une méthodique exploitation, dont cinq cercles s’emboitant dans une ambivalente synergie en fournissent l’illustration : fructueuse, pour les occidentaux et leurs nomenklaturas ; mortifère, pour des générations d’africains.
i) Pillage des ressources naturelles
Le premier cercle, le cœur de cible : les ressources naturelles et matières premières dont l’Afrique regorge.
Les spécialistes en ce domaine qualifient le continent de « scandale géologique », tellement il en est comblé. On veut l’ignorer : loin d’être ’pauvre’, l’Afrique est immensément ’riche’. Son niveau de vie devrait être supérieur à celui de l’Europe, qui n’en recèle pas le millième. Sa “pauvreté” apparente, ses bateaux de migrants clandestins affamés, n’étant que la conséquence de la rapacité des puissances coloniales.
L’Afrique : rongée jusqu’à l’os par les piranhas occidentaux. Matières premières et minerais en tous genres, des plus courants (cuivre, fer, bauxite) jusqu’aux plus rares (diamant, coltan). Avec, à profusion, les ressources énergétiques les plus demandées dans cette décennie : pétrole, gaz, et surtout uranium.
Aucune transformation locale, si ce n’est pour faciliter son enlèvement par transport maritime. Même pas un chantier naval apte à construire un chalutier (autre qu’en bois), un vraquier ou un pétrolier. Ce ne sont pas quelques usines de montage de véhicules, dont toutes les pièces sont importées, qui doivent faire illusion…
Sans oublier les richesses halieutiques de ses interminables côtes, notamment du Golfe de Guinée, pillées par les flottes de pêche “occidentales” : Japon et Corée du sud étant aussi actifs ou voraces, avec leurs bateaux-usines et flottilles de chalutiers sophistiqués, que les pays européens… (9) Ou agricoles, dont le détail mérite une encyclopédie.
Les empoignades actuelles se déroulant dans les pays du Sahel de l’Atlantique à la Mer Rouge, sur fond de chaos organisé à la sauce islamiste par les services secrets occidentaux (10), ne sont que la résultante des mainmises sur les colossales réserves d’uranium de la région : « Uranium Belt », « La Ceinture de l’Uranium ». D’où la partition du Soudan, et l’appropriation du Darfour par les occidentaux.
Tombouctou au Nord du Mali
La sécession du nord du Mali en cours, annonçant celles d’autres pays de la région, suivant le même schéma appliqué pour les ’bassins pétroliers’ de la péninsule arabique, lors de la ruée du pétrole à la suite de la dernière guerre mondiale : un émirat par zone… Ou encore, en Asie : le sultanat de Brunei érigé en “Etat indépendant”, par les britanniques, pour enlever la zone pétrolière de l’île de Bornéo à l’Indonésie et à la Malaisie. (11)
Tous les grands groupes français participent à la curée, principalement dans la partie africaine dite « francophone ». Les plus connus étant Areva sur le marché de l’uranium, et Total, qui au passage a absorbé la sulfureuse Elf, dans le pétrole et le gaz.
ii) Monopole des travaux d’infrastructure et grandes constructions
Le deuxième cercle concentre le monopole des travaux d’infrastructure et grandes constructions par les groupes BTP français, tel l’incontournable Bouygues. Pressurant, au passage, leurs meilleures marges : routes, ports ou aéroports, barrages, programmes de logements, hôtels, bâtiments publics et palais présidentiels. Y compris des cathédrales ou basiliques, comme l’ubuesque et pharaonique reproduction de la Basilique Saint-Pierre du Vatican à Yamoussoukro, en Côte d’Ivoire.
Architectes, bureaux d’études, ingénieurs, cadres et ouvriers spécialisés, ne seront pas africains. Tant et si bien, qu’il n’existe pas à ce jour une seule société de BTP africaine capable de se substituer à ces groupes pour exécuter ces énormes marchés, dans l’endettement imposé. Encore moins, d’exporter son savoir-faire sur d’autres continents à l’exemple de sociétés brésiliennes ou iraniennes. (12) La puissance coloniale veillant à ce qu’il n’y ait aucun transfert de technologies, ni de compétences.
iii) Accaparement des services publics
L’appropriation des services publics par des groupes français, sous forme de « privatisations », représente le troisième cercle. Systématiquement bradés par le pouvoir politique en place, ces services publics représentent de véritables rentes de situation. Très recherchées pour leur facilité de gestion, les marges plantureuses et la régularité quasi quotidienne du chiffre d’affaires, tout particulièrement : télécommunications, distribution d’eau et d’énergie, transports y compris transports maritimes. Figurent aux premières places : Bolloré et Bouygues.
Le siphonnage de ces rentes de situation par les groupes français, étroitement contrôlé par une multitude d’expatriés, correspond à une véritable hémorragie de devises pour les pays asservis. Aucune valeur ajoutée, spécialement en termes d’accès des cadres africains à des postes de responsabilité autonome, ni transfert de technologie. A ce panier de rentes de situation, se rajoute la Grande Distribution française avec le déversement des produits importés. Selon l’application de la règle de base de toute exploitation coloniale : le minimum fabriqué sur place, le maximum importé !…
iv) Enrichissement personnel de la caste politique française
La « Françafrique » représente pour la France, dans ce quatrième cercle, la caverne d’Ali-Baba du remplissage des caisses électorales de ses principaux partis politiques et, avantage collatéral, de l’enrichissement personnel de sa nomenklatura.
Car, on ne sait pas trop où commence “la caisse électorale”, vertueux prétexte à corruption, et où se termine la poche des personnes manipulant ces fonds secrets. En ce domaine du tripatouillage, le comportement des réseaux de François Mitterrand et de son fils, Jean-Christophe, par la multitude de scandales plus ou moins étouffés qui ont émaillé son septennat, n’a rien à envier à celui les réseaux de la « Droite ».
Dominique Fonvielle, cite quelques exemples :
« Nous avons par exemple recueilli des témoignages précieux sur la promesse d’un secrétaire d’Etat français à la Santé d’intervenir directement auprès du ministre de la Coopération pour accélérer le déblocage des fonds destinés à un hôpital africain en échange du reversement de la moitié des sommes concernées sur son compte personnel pour alimenter les caisses de son parti. » (13)
Retenons l’information, qui donne une idée du niveau des montants en jeu et de l’impudence de cette voyoucratie française : « … la moitié des sommes concernées sur son compte personnel … ».
Ou encore, en pleine ère mitterrandienne, les services secrets français ’officiels’ ne sachant plus où donner de la tête devant pareil grouillement :
« A l’époque de Pierre Marion, la situation en Afrique était totalement incontrôlable, et le ministère de la Coopération écoulait des armes au Tchad par l’intermédiaire d’une société privée. » (14)
v) Poubelle gratuite de l’industrie européenne
Le sinistre navire Probo Koala
Dernier cercle, stade ultime de l’infernale corruption, celui tout aussi occulte de la transformation de l’Afrique en ’poubelle gratuite’ pour les déchets hautement toxiques de l’industrie européenne. Dans l’impunité. Il faut la déflagration d’une catastrophe sanitaire pour voir émerger le sommet de l’iceberg de cette activité criminelle qui capitalise beaucoup, beaucoup, d’argent et de gangstérisme…
Comme celle provoquée par le bateau Probo Koala affrété, en 2006, par une multinationale d’origine britannique Trafigura, du secteur de l’énergie, des mines, et des matières premières. Pour déverser 500 tonnes de déchets extrêmement toxiques en Côte d’Ivoire, censés être enfouis dans 18 endroits des environs de la capitale, Abidjan.
« Peu de temps après l’exécution de cette opération sont apparus, à grande échelle dans la population, des signes d’intoxication graves entraînant de nombreuses hospitalisations et la mort rapide d’une quinzaine de personnes ».
Un rapport d’experts internationaux, le Minton Report, publié en septembre dernier, a estimé que l’intoxication avait atteint un minimum de 108.000 personnes. Confirmant qu’il s’agissait bien d’intoxication en provenance du déversement de ces déchets
« … capables d’entraîner de graves conséquences sur la santé humaine, y compris la mort ». (15)
Le désastre écologique timidement identifié en Somalie, existe dans d’autres parties de l’Afrique, y compris de la zone “francophone”. Sous couvert de l’anarchie ambiante, les pays occidentaux en profitent pour se délester de leurs produits toxiques, même nucléaires, sommairement enfouis à terre, ou simplement jetés le long de ses côtes maritimes.
Il est vrai que les coûts de revient sont avantageux. Suivant la nature des déchets : de 200 à 300 euros jusqu’à 1000 $, la tonne, en Occident, on obtient des coûts d’enfouissement, ou de déversement, de 30 euros la tonne, pouvant descendre à $ 2,50.
Compte tenu de ces éléments ou de ce constat, de cet habitus colonial, peut-on effectivement envisager un “changement”, pour reprendre l’interrogation d’Alice Primo ? Sans se vouloir pessimiste, elle semble en douter au vu de la formation, de l’expérience, du parcours professionnel des principaux collaborateurs chargés des relations avec l’Afrique, tant auprès du président de la République que de son ministre des Affaires étrangères…
La réponse à cette question semble plus évidente, si on la formule à partir d’un postulat de base :
Comment un gouvernement, incapable d’appliquer des réformes indispensables, urgentes, de justice économique et sociale, en France, serait en mesure d’éradiquer les comportements de sa nomenklatura, fondés sur la corruption et la prévarication néocoloniales, à l’égard de l’Afrique ?…
Supprimer la « Françafrique » ou la « FrançàFric », cet eldorado de l’enrichissement personnel, aussi occulte, impuni que fulgurant ?…
La caste politique française, tous partis confondus, n’en a ni l’envergure, ni la qualification, ni la légitimité.
Trop vermoulue.
Georges Stanechy
1) Michel Foucault, dans « Penser d’un Dehors (La Chine) – Entretiens d’Extrême-Occident », François Jullien & Thierry Marchaisse, Seuil, 2000, p. 29.
(2) Alice Primo, « Françafrique : le changement est-il en route ? », 13 juin 2012, http://survie.org/billets-d-afrique/2012/214-juin-2012/article/francafrique-le-changement-est-il
(3) « Petit Guide de la Françafrique : un voyage au cœur du scandale », juin 2010, http://survie.org/publications/brochures/article/petit-guide-de-la-francafrique
(4) François-Xavier Verschave, Noir silence – Qui arrêtera la Françafrique, Les Arènes, 2000, p. 266.
(5) François-Xavier Verschave, La Françafrique – Le plus long scandale de la République, éditions Stock, 1998. Ouvrage fondateur et indispensable.
On ne peut comprendre les problèmes de développement, économiques et politiques, de l’Afrique sans avoir lu aussi ses autres travaux, notamment :
– L’aide publique au développement, avec Anne-Sophie Boisgallais, Syros, 1994
– France-Afrique – Le crime continue, Tahin Party, 2000
– Noir silence – Qui arrêtera la Françafrique, Les Arènes, 2000
(6) « Les Dictateurs amis de la France !? », février 2006, http://survie.org/publications/brochures/article/les-dictateurs-amis-de-la-france
(7) Lire, sur ce coup d’Etat, les chapitres remarquablement bien documentés (interventions de l’armée française, soutien des partis politiques français y compris de la ’gauche plurielle’, propagande des médias, etc.) dans le livre de François-Xavier Verschave Noir Silence, Op. Cit., pp. 15 à 69.
(8) Dominique Fonvielle, Mémoires d’un agent secret, Flammarion, 2002, p. 144.
Excellent ouvrage (malgré son titre…), par un homme du métier, dont le regard critique livre une réflexion de qualité, très éloignée des habituels clichés journalistiques ou narcissiques des anciens dirigeants et prétendus “experts” du renseignement dans notre pays.
(9) J’ai travaillé sur cet épineux problème. Sans solution, en l’absence d’une volonté et d’une indépendance politiques, confortées par une marine de guerre articulée sur des gardes-côtes, en mesure de faire respecter la souveraineté des pays africains sur leurs eaux territoriales ou les ’quotas’ de pêche “librement” négociés.
Le constat de l’ampleur de ce pillage néocolonial, de la corruption (de toutes les parties “prenantes”), de l’épuisement de la ressource, m’a laissé un goût amer, face à la « pauvreté » des populations spoliées …
(10) C’est reparti : faire sauter un coup des églises, le coup suivant des mosquées… Susciter guerre civile et prétendues incompatibilités de vie commune entre chrétiens et musulmans en pulvérisant des lieux saints. Scénario favori des services secrets occidentaux, et des médias de la propagande…
(11) Cet Etat fantoche, dont le sultan est un des hommes les plus riches du monde, est administré de fait par la compagnie pétrolière britannique British Petroleum (BP).
(12) L’Iran construit des barrages, des routes, des voies ferrées, des lignes à haute tension, ou des programmes de logements, chez ses voisins du Moyen-Orient ou d’Asie Centrale et jusqu’au Venezuela…
(13) Dominique Fonvielle, Op. Cit., p. 144.
(14) Dominique Fonvielle, Op. Cit., p. 144.
(15) Cf. : http://stanechy.over-blog.com/article-afrique-pillage-et-pol…
Lien original: http://stanechy.over-blog.com/