Les désordres et les dysfonctionnements qui s’observent autour de nos élections expliquent, pour l’essentiel, notre retard sur les chemins du développement.
Cela pourra paraître trop simple, mais affirmons-le avec foi et conviction : résolvons l’équation des élections en Afrique et nous aurons réussi à créer les conditions nécessaires et suffisantes pour placer nos différents pays sur l’orbite du progrès. C’est seulement alors qu’une Afrique enfin réconciliée avec elle-même fera entendre sa voix et se fera entendre dans tous les fora du monde. Ce n’est ni un rêve irréalisable ni un simple souhait ni un vœu pieux. C’est une direction d’idée et d’action à faire couronner d’un résultat précis et déterminé.
Au risque de choquer plus d’un, affirmons que l’Afrique peine à se développer parce qu’elle ne se donne pas la peine de résoudre l’équation de ses élections. Un tableau non exhaustif des blocages actuels du continent montre que la question des élections est vécue ici et là, d’un pays à l’autre, comme un dangereux cancer. Il ronge les chairs. Il détruit les tissus.
La Guinée-Conakry, la semaine dernière, a compté et pleuré ses morts. C’est suite au différend qui oppose le gouvernement à l’opposition sur la date et sur les modalités d’organisation des prochaines consultations électorales dans ce pays.
Madagascar, plongé dans une longue convalescence, rechute en une lente agonie. Il a suffi que le problème des élections soit clairement posé pour que tous les démons du désordre pointent du nez. Des candidatures fusent de toutes parts. La commission électorale est prise de vertige et piétine allègrement les principes et les règles qu’elle s’était elle-même imposée. Tout cela ne peut augurer d’un avenir serein.
Le Mali commence à respirer après qu’un puissant coup de main extérieur l’eut dégagé de l’étau djihadiste. Mais dès que fut posé le problème des élections, la peur s’est emparée des esprits, le ciel a commencé à s’assombrir. Il pleut depuis sur le Mali encore sous le choc de l’assaut djihadiste. Les élections, ici comme ailleurs, voilà le mal qui répand la terreur.
Le Bénin et le Togo sont deux pays voisins et frères. On eut dit qu’ils se sont entendus pour ne pas tenir à échéance échue les élections locales. Ce qui, ici et là, ouvre une ère d’incertitude, ponctuée des rumeurs les plus folles, agitée par des spéculations les plus délirantes. Ainsi, les deux pays se vident lentement de leur sang, donc de leurs forces, du fait d’un simple bouleversement introduit dans leur calendrier électoral.
La Côte d’Ivoire et le Kenya sont au registre des pays qui, du fait des élections agitées et mouvementées ont eu à gérer, chacun, une guerre civile. Les séquelles de ce grand désordre sanglant ne s’effaceront pas de si tôt. Elles affecteront longtemps le développement de ces deux pays. Trop lourd le prix qui a été payé aux élections. Rien ne saurait justifier un massacre perpétré à une aussi grande échelle. De précieuses ressources humaines anéanties. D’importantes infrastructures acquises à grands frais détruites. La culture de la haine entre frères et sœurs célébrée. Il n’en faut pas plus pour qu’un pays abandonne sa marche en avant, tourne le dos à son développement, hypothèque son avenir. Alors, s’il devait en être ainsi, n’hésitons pas de pousser jusqu’aux limites de l’absurde et du déraisonnable nos interrogations sur les élections dans nos pays.
Première interrogation : en démocratie, existe-t-il une seule manière d’organiser les élections, de voter ?
Deuxième interrogation : si l’esprit nous est donné pour trouver des réponses à nos interrogations, pourquoi, en Afrique, ne réfléchirions-nous pas à des modes ou à des systèmes alternatifs de dévolution du pouvoir ?
Troisième interrogation : s’il ne s’agit pas de faire du neuf pour faire du neuf, l’Afrique peut-elle, tout en innovant, promouvoir une démocratie apaisée et porteuse de développement ?
Ces trois interrogations ouvrent un chantier de réflexion et d’action pour le changement. L’absence ou la défection de l’un quelconque d’entre nous rimerait, malheureusement, avec trahison.
Jérôme Carlos in La Nouvelle Tribune