Lynx.info: La cour Constitutionnelle a mis à exécution le renvoie des députés proche de l’ANC. On dirait que rien ne peut arrêter le RPT quand il veut écarter un ennemi. C’est votre avis aussi ?
Pr. Aimé Gogué : C’est vrai qu’il faut voir là la volonté du RPT, aidé par son nouvel allié, d’écarter ses adversaires politiques. Que le RPT veuille éliminer ses adversaires est peut être choquant mais peut être compréhensible. Il faut cependant reconnaître qu’un parti qui s’inscrit véritablement dans la pratique de la démocratie devrait éviter de tels actes. Ce qui est plutôt difficile à comprendre et à accepter, ce sont les comportements de l’Assemblée nationale et surtout de la Cour Constitutionnelle.
L’Assemblée nationale représente tous les Togolais et devrait œuvrer dans la recherche de l’intérêt général et non adopter des décisions qui renforcent la division du peuple Togolais. Si vous avez entendu les réactions de la population même de militants du RPT vous auriez compris que nous approchons la ligne rouge. Jusqu’à quand peut-on continuer ainsi à provoquer en toute impunité le peuple.
La Cour Constitutionnelle est supposée s’assurer entre autres, que les lois adoptées dans la république sont respectées et ce pour que tous les fils et filles de ce pays se sentent égaux devant la loi. Mais comme vous le savez, la Cour Constitutionnelle n’est pas à sa première forfaiture. Vous vous rappelez que déjà en 1998, contrairement aux dispositions du code électoral, elle avait proclamé les résultats de l’élection présidentielle transmis par le ministre de l’intérieur ! Tout en sachant que le coup d’état est un crime imprescriptible suivant la constitution, elle a fait prêté serment à Faure Gnassingbé au lendemain du décès de son père et après que les officiers de notre « armée » l’ait désigné comme président ! La Cour Constitutionnelle a servi de conseiller juridique au président de l’Assemblée Nationale et sans que ce dernier ait suivi ces conseils, a décidé de « renvoyer » des députés : est-elle sous les ordres de l’Assemblée Nationale et du RPT. Mais on se rappelle également de la sortie du président de la Cour Constitutionnelle fustigeant la corruption au sein du corps judiciaire. Combien sont-ils ces Togolaises et Togolais à avoir rêvé qu’enfin la Cour Constitutionnelle saura lire le droit !
Pourquoi le FRAC a cessé de montrer sa non reconnaissance des élections de mars 2010 par les marches de protestation?
Il y a eu effectivement une « pause » dans les manifestations du FRAC contre les résultats des élections du 4 mars 2010. De grâce ce n’est pas parce que nous reconnaissons les résultats proclamés ! Après 20 semaines de marches les samedis et de séances de prières les mercredis, le régime RPT avec les forces de sécurité et ses nouveaux alliés ont opté pour la violence : gaz lacrymogènes ; rafles de jeunes ; passage à tabac de manifestants, etc. Nos amis opposés à Gilchrist Olympio au sein de l’UFC avaient besoin d’une concentration pour trouver une solution à leur avenir politique. Il était donc nécessaire que le FRAC prenne du recul pour redéfinir la stratégie de contestation. Vous savez que des partis politiques d’opposition et les organisations de la société civile ont jugé et continuent de juger les formes d’actions du FRAC comme inefficaces. Pour nous du FRAC, cette « pause » devaient également leur donner l’occasion de proposer aux Togolaises et aux Togolais des stratégies idoines. Et nous étions prêts à nous associer à eux si quelque chose de concret nous avait été proposé. Malheureusement nous attendons toujours.
Nous demeurons toujours persuadés que pour donner un sens au vote dans ce pays, il est important que la population togolaise continue à contester les résultats proclamés à l’issue des élections du 4 mars 2010. C’est pour cette raison, que vous allez entendre parler de nous ces prochains jours. d’autres types d’actions : ceci s’intensifiera dans l’avenir. Mais, en soutien aux manifestations qui vont reprendre bientôt, nous avons commencé à mettre en œuvre
Parlons du FRAC si vous le voulez. Pourquoi n’avez-vous pas transformé ce vaste creuset en parti politique?
Vous vous doutiez bien que toutes les organisations membres du FRAC y ont réfléchi. On peut très bien a postériori nous accuser de ne pas vouloir nous débarrasser de ce mal endémique qui est la division de l’opposition. La transformation du FRAC en parti politique suppose deux actions. La première est la dissolution des partis politiques et organisation légalement constitués, membres du FRAC : l’ADDI et le PSR et Sursaut Togo. Ensuite la constitution du FRAC. Si la première action avait été effectuée, vous vous imaginez un seul instant la situation de l’opposition si les autorités compétentes refusaient d’octroyer le récépissé au FRAC. Ce n’est pas parce que OBUTS et l’ANC ont obtenu leur récépissé qu’un refus d’octroi de récépissé au FRAC est une hypothèse d’école.
En outre, comme vous le savez, l’ADDI a toujours œuvré pour l’union de l’opposition. Le FRAC constitue un groupement d’organisation « compact », autour duquel il aurait été facile de former un mouvement citoyen qui regrouperait l’ensemble des forces de l’opposition. Cependant, connaissant « un peu » les organisations de l’opposition, nous pensons qu’il serait indiqué d’éviter que certains hésitent à joindre ce mouvement, uniquement parce qu’ils penseraient qu’ils seront considérés comme venus en deuxième position. Il va cependant que nous n’allons pas attendre indéfiniment. Ce qui est important, c’est que les responsables de l’ANC sont résolument engagés à travailler dans le FRAC. Les responsables du FRAC se font mutuellement confiance. Les dispositions que les responsables des organisations membres du FRAC nous permettront de montrer au peuple togolais notre adhésion à travailler ensemble. est un outil de travail. Sans tout voir en noir, je dirai qu’il y a deux camps au Togo : d’un côté le RPT et ses alliés et de l’autre ceux qui s’opposent au régime en place. Chacun doit pouvoir choisir son camp : la neutralité n’est pas une option.
Faure donne l’impression d’être très l’aise. On dirait que Olympio combat l’opposition pour lui. c’est aussi votre sentiment?
J’espère qu’il n’est pas à l’aise ! S’il est à l’aise, je me demande de quel type d’être humain il s’agit. En tant qu’être humain, en tant que Togolais, qu’il soit ou non président, il ne peut pas être à l’aise avec ce que vivent les Togolais ! Peut on être à l’aise si plus d’un de ses compatriotes sur deux ne mangent pas à sa faim ! Quel sentiment a-t-on si en roulant dans la ville de Lomé, la « coquette » au volant de sa grosse voiture, on tombe dans des trous tous les 20 mètres ? Peut on être à l’aise si ses compatriotes ne sont pas en mesure d’acheter des comprimés à au plus 500 FCFA pour se soigner contre le paludisme ? Peut-on prétendre être à l’aise quand beaucoup de ses compatriotes croupissent dans les prisons ? Peut-on être à l’aise quand une cour constitutionnelle sous ses ordres prend des décisions qui peuvent faire basculer dans l’anarchie. Peut-on être à l’aise si le pays que l’on est supposé présidé, est cité en exemple pour ces incongruités ?
Il m’est cependant difficile de dire si Faure travaille pour Gilchrist ou si c’est le contraire ! Je crois plutôt qu’ils s’entraident. Gil utilisant le RPT et les institutions de l’Etat pour assouvir sa soif de vengeance ce qui profite au RPT qui pense ainsi fragiliser l’opposition. Mais comme je l’ai dit le samedi 27 novembre lors du meeting de l’ANC, la crise interne de l’UFC nous a montré que l’opposition historique au régime RPT, n’était ni Gilchrist Olympio, ni un leader en particulier d’un parti de l’opposition ou d’une organisation de la société civile. Le leader historique de l’opposition au Togo est le peuple togolais tout entier. C’est pour cette raison qu’en pensant fragiliser l’opposition, l’attelage RPT-UFC renforce plutôt la détermination du peuple togolais dans sa lutte contre la dictature.
Vous avez écrit un article quand Abass Bonfoh a renié l’existence des morts en 2005. Comment le décrivez-vous ?
Nous avions écrit suffisamment sur des positions prises par son excellentissime Abass Bonfoh. Il est possible qu’il ne connaisse pas bien les fonctions d’un Président de Parlement. Il n’est pas également aidé dans ses fonctions par les députés RPT de son parti. Il revient à ces derniers de discuter avec lui et de lui montrer ses erreurs voire ses fautes qui sont loin de faire honneur au RPT, au pays et à l’Afrique. Il est fortement regrettable que l’Assemblée Nationale, l’institution qui doit contrôler les actions du Gouvernement, soit sous la botte non pas uniquement du gouvernement, non pas uniquement d’un parti politique mais d’un individu ! Je suggère à son Excellentissime seulement d’écouter aussi les députés RPT.
Abass Bonfoh n’est-il pas victime d’un système et d’un parti qui s’acoquine très bien comme les togolais le disent à la médiocrité ?
Il n’est victime de rien du tout. Il veut servir aveuglement un système, un homme. C’est dommage. Et il n’est pas seul dans ce cas. Il en profite pour, peut être, réaliser certains objectifs personnels, notamment, s’enrichir. Il ne se préoccupe nullement du sort des Togolais voire de ceux qui l’ont élu. Il faut voir l’incidence de la pauvreté et le taux de scolarisation des préfectures de Bassar et Dankpen. Je crois qu’il aurait mieux fait de s’inquiéter du fait qu’en 2006, il n’y avait que 1,9% de la population de la préfecture de Bassar qui avait accès à des latrines !
Et le bilan des accords RPT et Gilchrist il paraît selon les proches de ce dernier qu’il est prometteur…
Je ne suis pas partie prenante des négociations qui ont abouti aux accords RPT-UFC. Le délai de six mois prévu est maintenant expiré. Si nous devons nous en tenir à ce qui est publié, il est difficile de dire qu’il y a des acquis. Il était difficile de s’attendre à autre chose en voyant les portefeuilles et les postes de directeur de cabinet et de secrétaires généraux de ministères obtenus par UFC/AGO. Mais comme vous le savez, dans les accords, il y a souvent des clauses secrètes et des non dits. Quels étaient les objectifs réels de cet accord ? Je ne le sais pas. Il est possible que, par exemple, l’expulsion des députés proches de Jean Pierre Fabre fasse partie de ces points d’accord. Dans ces conditions, pour faire un bilan complet, il faudra les connaître. Demandez à ceux qui ont participé aux négociations, ils pourront vous donner des réponses plus circonstanciées. Peut être que l’exclusion des proches de JP faisaient partie des objectifs de l’accord.
On évoque à l’UFC le recensement par exemple….
J’espère qu’ils ne sont pas sérieux en maintenant comme réalisation de l’accord, le recensement général de la population et de l’habitat ! Vous savez, suivant les normes acquises, un pays doit réaliser le recensement de sa population tous les dix ans. Le dernier recensement du Togo date de 1981 ! Des dispositions étaient prises avant le scrutin présidentiel de mars 2010, pour la réalisation de cette activité capitale.
L’ADDI votre parti n’a pas appelé les Togolais à aller se faire recenser…
Ce n’est pas vrai. En amont, nous avions attiré l’attention des responsables techniques du recensement sur la sous estimation du budget ! Nous étions constamment en contact avec nos structures à l’intérieur du pays pour les inviter à sensibiliser la population à se faire recenser. Nous avions également discuté avec des partenaires au développement qui ont soutenu le Togo dans cet exercice à examiner les possibilités d’un soutien complémentaire pour l’extension de la période de recensement.
Vous êtes économistes. Pourquoi la pauvreté ne recule pas au delà du climat des affaires que le pouvoir dit propice ?
Parler de climat des affaires propices avec les prouesses de l’appareil judiciaire, et la corruption endémique serait faire preuve d’un cynisme dont je ne crois capable le régime en place. Le phénomène de pauvreté n’est pas uniquement économique. La crise politique a un impact non négligeable sur la pauvreté. Il faut d’abord voir la structure de la pauvreté dans le pays : elle est plus importante dans certaines régions, elle affecte plus la population rurale, les femmes et les jeunes, elle dépend de l’accès aux infrastructures de santé, d’éducation, de transport, etc. Elle dépend également de la gouvernance. Pour une réduction significative et rapide de la pauvreté dans le pays, il est important de concevoir et mettre en œuvre des politiques appropriées pour s’attaquer de manière courageuse aux causes. Depuis longtemps le taux de croissance économique au Togo est inférieur au taux de croissance démographique : c’est dire que la population augmente plus vite que la production ; dans ces conditions, la pauvreté ne peut qu’augmenter. Depuis le début du millénaire, le taux de croissance économique du Togo a toujours été inférieur à ceux du Burkina Faso et du Mali, pays enclavés !
Bien qu’il y ait des améliorations qui auraient pu être apportées, nous croyons que la version finale du Document Complet de Stratégie de réduction de la Pauvreté (DSRP), adoptée par le Gouvernement en 2009, contient une série d’actions qui bien mises en œuvre aurait pu donner des résultats. Quelques efforts pour l’amélioration du capital humain sont à noter. Avec l’assistance de la Banque mondiale, des sources de croissance ont été identifiées. Malheureusement le secteur privé attend les mesures concrètes pour l’amélioration du climat des affaires (appareil judiciaire, corruption, etc.) et l’efficacité de l’administration publique pour rendre l’économie plus compétitive. L’amélioration de la gouvernance politique et économique, pourtant retenue comme premier pilier du DRSP, est un leurre. Tous les Togolais savent que la création d’emplois tarde à venir alors qu’il y a plutôt un renforcement dans les inégalités de la redistribution des fruits d’une croissance qui n’existe d’ailleurs pas.
Lynx.info : Merci Pr Aimé Gogué
Interview réalisée par Camus Ali Lynx.info